Chaque matin les actualités délivrent les nouvelles, répétitives, d’un monde qui charrie son flux de violences et d’injustices. À ce constat, qu’on lit déjà dans l’Ecclésiaste : « Rien de nouveau sous le soleil », Péguy répondait en opposant au ressassement du quotidien le surgissement de l’art ou de la littérature : « Homère est nouveau, ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui » (1914, Note sur Bergson).
Je pensais à cette force toujours nouvelle de l’invention artistique en découvrant Un nouveau jour, l’exposition de Jean-Marc Cerino dans la singulière Galerie Saint-Séverin, qui accueille pour un an frère Marc Chauveau comme commissaire d’exposition.
Il ne faut assurément pas passer trop vite le long de cette vitrine-galerie, ni regarder l’image rapidement en cherchant un simple choc visuel instantané. Arrête un peu ton pas, promeneur ! Il se trouve ici quelque chose de merveilleux à voir, une réalité extra- – ou infra – ordinaire, une chose qui peut te concerner, te toucher, pourvu que tu stoppes ta marche, un instant, un long instant.
Alors, la photographie trop rapidement aperçue d’une femme devant les ruines de Berlin en 1945, ouvre à une expérience nouvelle. On découvre ce qui est en fait une peinture sur les deux faces d’une plaque de verre, cette matière transparente symbole de la fragilité, puisque le verre est à la fois dur et fragile, prêt à se briser en mille éclats et capable d’affronter le passage du temps, sans même s’altérer. Sur ce verre, support rare en peinture qu’utilisa notamment Marcel Duchamp, Jean-Marc Cerino a soigneusement transcrit trait pour trait une ancienne photographie anonyme, en travaillant avec de l’huile et de la cendre sur une face du verre, et avec de l’huile et de la peinture synthétique de l’autre face. Minutieux travail de reproduction, de répétition du cliché qui nous invite, nous spectateurs de 2024, à regarder autrement cette image passée, ces ruines de 1945, à en faire une (re)création contemporaine.
huile et peinture synthétique à la bombe sous verre, in Un nouveau jour,
Galerie Saint-Séverin © Jean-Marc Cerino, courtesy galerie sator, paris.
La violence et les guerres n’ont, hélas, rien de nouveau et sont contemporaines de tous les âges de notre humanité. Et pourtant, en peinture, cette femme qui regarde Berlin en ruine fait aujourd’hui comme un contrepoids au cours tragique du monde. On ne voit pas son visage, mais sa silhouette, droite et élégante, semble remettre d’aplomb une histoire, un siècle, qui s’est déroulé selon un cours inverse à nos rêves ou à nos désirs. En écho à cette composition esseulée derrière la vitrine, on croit même entendre une voix qui rompt avec la sempiternelle reprise des tragédies : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21-5). Plus que d’une simple promesse, il s’agit de l’avènement ici et maintenant d’Un jour nouveau dans les décombres d’un ordre toujours ancien, toujours actuel.
Exposée dans cette vitrine offerte aux passants, cette peinture se révèle plus qu’une illustration de la vertu, théologale, de l’Espérance. Elle nous fait entrer dans un autre ordre, celui de l’expérience chrétienne d’un monde nouveau, entr’aperçu dans cette fragile illumination de Cerino.
Chaque jour, un matin nouveau se lève qui a la force de déchirer et métamorphoser le quotidien, le « quotirien » du train-train des actualités, en faisant, pour nous et avec nous, toutes choses nouvelles.
— Paul-Louis Rinuy