Traditionnellement, à l’Epiphanie (manifestation), on parle de trois mages qui apportaient trois présents à l’Enfant-Dieu : de l’or, symbole royal, de l’encens en l’honneur de Dieu et de la myrrhe pour une sépulture à venir. Voici une méditation sur les Rois Mages invitant à chercher avec eux le Fils de Dieu qui s’est fait homme, extraite de L’Homme au miroir de l’année chrétienne, Mame, 1966, du Révérend Père Karl Rahner (1904-1984), prêtre jésuite allemand et professeur de théologie.
Les mages sont guidés par l’étoile. Leurs noms sont inscrits sur la mosaïque : Balthasar, Melchior, Gaspar. Ils ne sont pas couronnés ; ils le seront à l’époque byzantine et romane. Venus d’Orient, ils sont habillés à la mode persane avec le bonnet phrygien, la chlamyde, le chiton (tunique courte), l’anaxyride (pantalon collant).
C’est ainsi que les Mages ont ouvert leur cœur. Leur cœur s’est mis en route vers Dieu en même temps que leurs pas se dirigeaient vers Bethléem. Ils sont de ceux qui, dévorés par la faim et la soif de justice, aspirent vers le Sauveur et repoussent la pensée que l’homme pourrait, sur la route de la rencontre avec Dieu, négliger de faire le petit pas qui lui est demandé, sous prétexte que Dieu, lui, doit en faire mille.
Ils le cherchent donc, lui, le Salut. Ils le cherchent au firmament du Ciel, mais aussi dans leur cœur ; dans le silence, mais aussi par les questions qu’ils posent aux hommes, y compris aux Juifs et à leurs saintes Écritures.
Ah ! leur cœur aura bien tremblé un peu lorsque leur science, rejoignant l’idée vague, répandue autour d’eux, que les Juifs attendaient un Sauveur, a pris brusquement l’allure d’une exigence pratique, celle d’un voyage très concret à entreprendre. Ils se seront effrayés de leur propre audace.
Ne te décourage pas : l’étoile est là, elle luit. Les saints Livres nous disent où se trouve le Rédempteur, et nous sommes aiguillonnés par cette ardente insatisfaction qui dévore notre cœur.
Animés d’un saint courage, ils partent. Et voilà soudain leur cœur plus léger.
Allons, mon cœur, risque à ton tour ce voyage vers Dieu ! Allons, en route ! Oublie le passé, il est mort. La seule chose qui te reste, c’est l’avenir. Regarde donc en avant : la vie est là et ses possibilités entières, Car on peut toujours trouver Dieu, toujours le trouver davantage. Un atome de réalité surnaturelle a tellement plus de prix que nos rêves les plus grandioses : Dieu est l’éternelle jeunesse et il n’y a point de place pour la résignation dans son Royaume !
Ne te décourage pas : l’étoile est là, elle luit. Les saints Livres nous disent où se trouve le Rédempteur, et nous sommes aiguillonnés par cette ardente insatisfaction qui dévore notre cœur.
Les premiers hommes auxquels le Christ s’est révélé publiquement sont venus de loin, et ont dû entreprendre un voyage aventureux pour parvenir jusqu’à cet enfant qui était leur rédempteur. L’Épiphanie est ainsi la célébration du bienheureux voyage de l’homme en quête de Dieu sur le chemin où il pérégrine ici-bas, de l’homme qui trouve Dieu parce qu’il l’a cherché.
On trouve une scène peinte sur un sarcophage de la basilique Sainte-Marie-Madeleine de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume représentant l’Adoration de l’Enfant Jésus par les Mages :
Jésus est représenté emmailloté dans des bandelettes funéraires qui évoquent sa nature humaine et mortelle. Joseph est absent dans l’art paléochrétien. Le bœuf et l’âne ne sont mentionnés nulle part dans les évangiles canoniques ; ils renvoient à un verset du livre d’Isaïe « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître, Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas » (Is 1, 3). Cette phrase, interprétée par les Pères de l’Eglise, signifie que les animaux reconnaissent dans le nourrisson la présence du Dieu, créateur de l’univers, alors que les Juifs et les Gentils ont peine à admettre ce mystère. Les deux bêtes ayant reconnu la divinité de l’Enfant, le réchauffent de leur haleine. L’art paléochrétien va ouvrir la voie à l’art byzantin et à l’art roman.
Oui, c’est notre propre histoire, l’histoire de notre pèlerinage sans fin que nous déchiffrons à travers ces Mages venus de la lointaine Babylone, conduits par l’étoile, vainqueurs obstinés de l’immensité des déserts aussi bien que de l’indifférence et de la politique, et parvenant finalement à trouver l’enfant et à l’adorer comme le roi sauveur.
Oui, c’est notre histoire que nous lisons… que nous devrions lire, à travers ce récit. Ne sommes-nous pas tous des pèlerins, des voyageurs, des hommes sans domicile fixe, même si nous n’avons jamais eu à quitter notre « chez nous » ? (…) Mais comment faire cette route ? C’est notre cœur qui doit se mettre en branle. (…)
Nous venons d’entrer dans une nouvelle année. Tous les chemins qui la traversent, de l’Orient à l’Occident, seront entraînés avec elle dans l’écoulement sans fin des années et des siècles. Mais on peut, même sur ces chemins, être de ces bienheureux pèlerins qui marchent vers l’Absolu, de ceux dont le voyage terrestre est un voyage vers Dieu. Allons, mon cœur, ouvre-toi et mets-toi en route, car l’étoile a lui. Tu ne peux sans doute emporter beaucoup de bagages, et tu en perdras bien d’autres en chemin. N’importe, va de l’avant. L’or de l’amour, l’encens du désir, la myrrhe de la souffrance, tu possèdes déjà tout cela. Il acceptera tout cela. Et nous finirons par le trouver. Karl Rahner
Martine Petrini-Poli