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L’histoire de l’art de la prédication : Le genre littéraire du sermon

Avec ce nouveau cycle du blog Écrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous invite à explorer l’histoire de la prédication chrétienne et l'art de l'homélie, en tant qu’œuvre littéraire, héritière de la Bible, qui évolue au cours des siècles : des Pères de l’Église au Moyen Âge, du XVIIe siècle à nos jours. Cette première publication consacrée à l’art de l’homélie propose une étude de ce genre littéraire qui apparaît dès l’Ancien Testament.
Publié le 23 juin 2022
Écrit par Martine Petrini-Poli

Cette nouvelle série d’articles portera sur l’art de l’homélie, un genre littéraire qui apparaît dès l’Ancien Testament, s’épanouit dans le Nouveau Testament avec la prédication du Christ. Le genre se développe avec les Pères de l’Eglise (en particulier St Augustin) et évolue au cours des siècles. Sur le plan littéraire, l’homélie pose la question de l’éloquence sacrée et de ses rapports avec la rhétorique.

A la fin du Moyen Âge, on trouve une floraison de manuels sur l’art de prêcher. Les sermons y sont classés en quatre catégories d’après leur style :
1. rigoureux et d’un bon niveau théologique
2. d’un accès plus aisé,
3. raffiné et ostentatoire
4. plus simple pour l’édification et l’instruction du peuple.

Il existe ainsi une stylistique du sermon que les protestants vont développer. Pierre Bayle, dans son Dictionnaire historique et critique, écrit à l’article « Claude » : « Les sermons (du pasteur Jean Claude) contenaient tout ce que les huguenots demandaient : un grand ordre, une profonde théologie, beaucoup de grandeur et de majesté, une éloquence mâle, un raisonnement solide. Ceux de la religion ne font nul cas de ces ornements mondains, et de cette rhétorique efféminée dont les prédicateurs de l’autre parti se parent. »

Il est vrai que l’éloquence sacrée des grands prédicateurs catholiques français, Bossuet (1627-1704) ou Bourdaloue (1632-1704), est ornée des fleurs de la rhétorique, ce qui leur a valu aussi une plus grande notoriété littéraire. Un colloque s’est tenu en 2004, les textes réunis par Landry ont été publiés en 2006, sous le titre « Le temps des beaux sermons ». Cet ouvrage retrace l’histoire de la prédication chrétienne, en tant qu’œuvre littéraire, héritière de la Bible. On découvre un champ encore inexploré : tous les genres de l’éloquence sacrée en usage au XVIIe siècle (homélie, prône, conférence, sermon, panégyrique, oraison funèbre). « Le sermon est l’un des genres les plus fascinants, à la fois objet esthétique et moment liturgique. De cette tension naît un discours à la fois attendu et toujours surprenant, hésitant entre une formulation ornée et une expression véhémente ». Nous verrons pourquoi la Réforme liturgique du Concile Vatican II recourt plus volontiers au terme d’homélie.

L’homélie juive et synagogale

Dans le livre biblique de Néhémie, la proclamation de la Parole par le prêtre et scribe Esdras, sur une estrade en bois, avec la traduction et l’explication, est le modèle de la première homélie. Elle est suivie de l’adhésion de l’assemblée par « amen », d’une action de grâce et d’un repas de fête. Les gestes liturgiques consistent à lever les mains, à se prosterner la face contre terre. Les premiers derashot (sermons) furent, en effet, prêchés par Esdras, scribe versé dans l’étude de la Loi de Moïse. Il faisait suivre la lecture des textes de la Torah d’une explication pour le peuple. Il évoque l’installation en Terre Sainte du peuple de Dieu au retour de l’exil vers 538. Le souverain perse Cyrus avait mis fin à l’empire babylonien et sa tolérance religieuse permet la reconstruction du Temple, vers 515, et sa dédicace. Ces homélies faisaient partie intégrante de la liturgie juive.

Tout Jérusalem se rassemble pour écouter debout, en plein air, la lecture de la Loi qui est traduite de l’hébreu (qui n’est plus compris) en araméen, langue imposée par Darius. Lors de cette fête des Tentes, une des plus grandes fêtes juives, la liturgie se déroule depuis le lever du jour jusqu’à midi. Il s’agit pour Esdras de renouveler l’Alliance conclue au Sinaï et de reconstituer une communauté.

Esdras lisant la Loi, in Histoires de la Bible, Saint-Quentin, 1350, Paris, BnF, Français 1753 f.134 © Source gallica.bnf.fr

En ces jours-là, le prêtre Esdras apporta le livre de la Loi en présence de l’assemblée, composée des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre. C’était le premier jour du septième mois. Esdras, tourné vers la place de la porte des Eaux, fit la lecture dans le livre, depuis le lever du jour jusqu’à midi, en présence des hommes, des femmes, et de tous les enfants en âge de comprendre : tout le peuple écoutait la lecture de la Loi. Le scribe Esdras se tenait sur une tribune de bois, construite tout exprès. Esdras ouvrit le livre ; tout le peuple le voyait, car il dominait l’assemblée. Quand il ouvrit le livre, tout le monde se mit debout. Alors Esdras bénit le Seigneur, le Dieu très grand, et tout le peuple, levant les mains, répondit : « Amen ! Amen ! » Puis ils s’inclinèrent et se prosternèrent devant le Seigneur, le visage contre terre. Esdras lisait un passage dans le livre de la loi de Dieu, puis les Lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre. Néhémie le gouverneur, Esdras qui était prêtre et scribe, et les Lévites qui donnaient les explications, dirent à tout le peuple : « Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! » Car ils pleuraient tous en entendant les paroles de la Loi. Esdras leur dit encore : « Allez, mangez des viandes savoureuses, buvez des boissons aromatisées, et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à notre Dieu ! Ne vous affligez pas : la joie du Seigneur est votre rempart ! » – Parole du Seigneur. Ne 8, 2-4a.5-6.8-10

Martine Petrini-Poli

Esdras écrivant inspiré par le Saint-Esprit, Initiale N du livre 2 d’Esdras 7,70 de l’Ancien Testament, Bible 1200-1224, Bibliothèque Mazarine, Ms 40 Biblissima.fr © SOURCE GALLICA.BNF.FR
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