Le thème nucléaire s’articule alors dans son œuvre à une thématique religieuse et mystique. Au printemps 1950, Dali rencontre le père Bruno de Jésus-Marie qui lui montre une reproduction du dessin de Jean de la Croix, exécuté pour une moniale, sœur Anne-Marie, et conservé dans un ostensoir au monastère des carmélites de l’Incarnation à Avila. Subjugué, l’artiste exécute un dessin préparatoire à son célèbre tableau « Christ de Saint Jean de la Croix ».
Dans cette étude, Dali montre comment il a exploré le portrait du Christ sur la Croix et dessiné la Croix à un angle à la fois horizontal et vertical. Le corps du Christ est inscrit dans un triangle, la tête décentrée vers le bas.
Au bas d’un double dessin de Dali affiché au Musée de Glasgow, est noté ceci :
« 1. En 1950, j’ai eu un rêve cosmique dans lequel je vis en couleur cette image qui, dans mon rêve, représentait le « nucleus de l’atome ». Ce nucleus prit par la suite un sens métaphysique, je le considère « l’unité de l’univers », le Christ !
2. Quand grâce aux indications du Père Bruno (carmélitain) je vis le Christ dessiné par San Juan de la Cruz, je résolus géométriquement un triangle et un cercle qui, « esthétiquement », résument toutes mes expériences antérieures et inscrivis mon Christ dans ce triangle. » Salvador Dali.
Salvador Dali reprend à Jean de la Croix sa vision du Christ crucifié qui surplombe l’humanité, symbolisée, au bas du tableau, par la barque et les deux pêcheurs qui ramassent leurs filets dans la baie de Port Lligat.
« Le Ciel, voilà ce que mon âme éprise d’absolu a cherché tout au long d’une vie qui a pu paraître à certains confuse et, pour tout dire parfumée au soufre du démon. Le Ciel ! Malheur à celui qui ne comprendra pas cela. […] Le Ciel ne se trouve ni en haut, ni en bas, ni à droite, ni à gauche, le Ciel est exactement au centre de la poitrine de l’homme qui a la Foi.
P.S. Á cette heure je n’ai pas encore la Foi et je crains de mourir sans Ciel. »
« L’explosion atomique du 6 août 1945 m’avait sismiquement ébranlé. Désormais l’atome était mon sujet de réflexion préféré. Bien des paysages peints durant cette période expriment la grande peur que j’éprouvai à l’annonce de cette explosion, j’appliquais ma mémoire paranoïaque-critique à l’exploration de ce monde.
Je veux voir et comprendre la force des lois cachées des choses pour m’en rendre maître évidemment. Pour pénétrer au cœur de la réalité, j’ai l’intuition géniale que je dispose d’une arme extraordinaire : le mysticisme, c’est-à-dire l’intuition profonde de ce qui est, la communication immédiate avec le tout, la vision absolue par la grâce de la vérité, par la grâce divine. Plus fort que les cyclotrons et les ordinateurs cybernétiques, je peux en un instant pénétrer les secrets du réel… À moi l’extase ! m’écriai-je. L’extase de Dieu et de l’homme.
À moi la perfection, la beauté, que je puisse la regarder dans les yeux. Mort à l’académisme, aux formules bureaucratiques de l’art, au plagiat décoratif, aux aberrations débiles de l’art africain. À moi Thérèse d’Avila !…
C’est dans cet état de prophétisme intense que je compris que les moyens d’expressions picturaux ont été inventés une fois pour toutes avec le maximum de perfection et d’efficacité à la Renaissance et que la décadence de la peinture moderne vient du scepticisme et du manque de croyance, conséquence du matérialisme mécaniste.
Moi, Dalí, réactualisant le mysticisme espagnol je vais prouver par mon œuvre l’unité de l’univers en montrant la spiritualité de toute substance. »
On lit sur un autographe de Salvador Dali, daté de 1952, à Neuilly, 1 heure du matin :
« Reconstitution du corps Glorieux dans le ciel
A mon ami in San Juan de la Cruz le Révérend Père Bruno et José-Maria Sert ; la communion spirituelle avec eux fut l’origine de mon Christ de San Juan de la Cruz. »
Une sculpture de Salvador Dali moins connue porte le nom du tableau « Christ de Saint Jean de la Croix » et présente aussi le Christ plongeant sur l’univers…