La vie d’Hildegard von Bingen s’articule autour de la date charnière de 1147. Dixième enfant d’une famille noble de Bemersheim, en Rhénanie, elle entre à 12 ans au couvent des Bénédictines du Disibodenberg, auprès de sa tante, Jutta de Sponheim, qui est abbesse. Elle y passera 40 ans de son existence. À la mort de Jutta de Sponheim, en 1136, Hildegarde a 38 ans. Elle est élue, par les sœurs du monastère, abbesse du couvent. Pendant ces années, elle se forme à la vie monastique, rythmée par le travail, l’étude et la prière liturgique, et elle acquiert une grande érudition.
Entre 1141 et 1151, pendant dix ans, elle dicte ses premières visions à son secrétaire, Volmar, et commence ainsi à composer son premier livre, le Scivias (Connais les voies).
On voit ici Hildegard recevoir l’inspiration du Saint-Esprit représentée par des langues de feu qui touchent son front, ses oreilles et ses yeux comme à la Pentecôte. Elle dicte ses visions à son secrétaire Volmar, qui écrit en latin. Le fond est doré comme sa cellule. Toutes ces scènes ont été peintes par les sœurs de Rupertsberg qui ont transcrit ses visions en images. Pendant la dernière guerre, ces miniatures ont été protégées dans un couvent de Dresde. La ville a brûlé, le couvent a été bombardé, mais le coffre avec les miniatures est resté intact.
Grâce à un échange épistolaire avec Bernard de Clairvaux, qui discerne dans ses visions « la grâce divine », elle accepte de les publier. La même année, au synode de Trêves, des extraits du livre de ses visions sont lus par le pape, qu’il reconnaît officiellement en1147. « Il est dit que vous serez élevée au ciel, que bien des choses vous seront révélées, et que vous écrirez de grandes oeuvres et découvrirez des chants nouveaux… » lui écrivit le Maître Odo de Paris en 1148.
En 1150, à 50 ans, elle fonde, avec vingt religieuses, son propre couvent de Rupertsberg, sur le Rhin, en face de Bingen. Une gravure du XVIIe siècle et une maquette moderne montrent l’importance des bâtiments conventuels dotés d’eau courante, avec une très grande église, une chapelle, un cloître, dont il ne reste rien. Son autorité, son rayonnement et sa créativité artistique se déploient dans son rôle de Mère supérieure. Entre 1151 et 1158, elle écrit et compile ses compositions musicales destinées à être chantées par les soeurs du couvent lors de cérémonies. Elle les nomme Symphoniae harmoniae celestium revelationum, témoignant de leur inspiration divine, et de la valeur de la musique, summum de l’activité humaine, miroir des harmonies et sphères célestes, et des choeurs angéliques.
En effet, elle s’est formée à la musique dans le petit couvent féminin de Disbodenberg, qui vivait à l’ombre du monastère bénédictin masculin dont il dépendait, nettement séparé, mais avec des offices chantés en commun. Entre 1158 et 1173, le Livre des mérites de la vie l’occupe quatre ans, le Livre des œuvres de Dieu, onze ans. Pendant cette époque, elle écrit une Physique et un Livre sur les causes des maladies et les arts de la guérison. Ce sont des ouvrages médicaux liés aux connaissances du temps, au souci de soigner l’homme global.
Pendant cette même période, elle entretient une vaste correspondance avec de grands personnages ecclésiastiques et séculiers. Elle s’engage tout autant dans la vie de son temps qu’elle se voue à la vie religieuse et se dévoue à ses soeurs au couvent.
Dans son œuvre foisonnante de lumières, de couleurs et de visions étranges, Hildegard retrace « l’histoire du salut depuis la Création du monde jusqu’à la Rédemption finale en passant par l’Incarnation, la Crucifixion, la Résurrection et l’édification de l’Église. À chaque chapitre, elle décrit la vision, l’interprète et lui donne son sens spirituel. » Elle le fait à travers les images bibliques, enrichies par la lecture des Pères de l’Église, avec une étonnante vigueur et une audace de style. Chaque vision est une révélation d’un aspect du Mystère divin. Au centre de ses recherches théologiques, elle discerne Dieu fait Homme, le Christ, qui rejoint notre humanité.