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L’église ensablée (Danemark)

Une construction humaine face aux forces de la nature
Publié le 14 juin 2009

 

den tilsandede kirke, dk

Fig. 1- L’église ensablée (© C. Levisse)

 

L’ « Eglise ensablée » (« Den Tilsandede kirke ») est l’une des attractions touristiques du Danemark. Il s’agit en réalité de l’ancienne église paroissiale de Skagen, la ville la plus au Nord de la péninsule du Jutland. Skagen se trouve à quelques kilomètres du site qui nous intéresse ;  désormais l’église est au milieu des arbres et des dunes.

L’église, construite à la fin du 14ème siècle, était dédiée à saint Laurent. Il s’agissait d’une église typiquement danoise, avec ses murs de briques peints en blanc et sa tour au sommet crénelé, recouverte de tuiles (Fig. 1). Les premières complications se manifestèrent au 16ème siècle, lorsque les habitants remarquèrent que le vent amenait de plus en plus de sable autour de l’église ; la nature gagnait du terrain. Au 17ème siècle, les paroissiens devaient creuser et dégager le sable pour pouvoir entrer dans l’église et célébrer l’office. Face à tant d’ennuis, un édit royal ordonna en 1795 la fermeture du lieu de culte, remplacé au siècle suivant par une nouvelle construction, cette fois-ci au cœur même de la ville de Skagen.
Aujourd’hui, avec l’avancée du sable, le sol s’est élevé de 2 à 3 mètres par rapport à son niveau lors de la construction de l’église Saint-Laurent. La photo ci-dessous (Fig. 2) est prise depuis l’emplacement original du chœur, à l’Est. Dans l’alignement se trouvait la nef, puis la tour, qui seule demeure, bien qu’amputée de quelques mètres. Sous nos pieds, recouverts par quelques mètres de sable – et donc inaccessibles – reposent la nef, le chœur, la sacristie et le cimetière.
Son nom et son histoire confèrent à l’ « Eglise ensablée » une expression romantique, propre aux vestiges, qui sont les traces d’une histoire révolue, les témoins du temps qui s’écoule. Disparition et effacement ; le changement imposé par le temps et la nature est-il irrémédiable ? Il l’était au 18ème siècle ; mais aujourd’hui, la technologie viendrait probablement à la rescousse de la construction humaine. On pense au Mont-Saint-Michel et au « combat » monumental qui s’y livre, contre l’ensablement – dans ce cas causé non pas par le vent, mais par l’action des marées et par les aménagements touristiques – qui menace d’altérer un haut lieu du patrimoine.

 

Fig. 2 – L’église ensablée, vue de l’est depuis l’ancien emplacement du choeur

(© C. Levisse)

 

Récemment, une œuvre de Deborah Ligorio, intitulée The Submerged Town (La ville submergée, 2008, film)1, a porté à mon attention un site tout aussi frappant : les vestiges du village de Curon Antica (Alt Graun), au nord de l’Italie ; un village qui fut volontairement inondé pour créer le lac Resia. L’unique témoin de l’existence passée du village, c’est le clocher de l’église, qui seul émerge hors de l’eau. De la même façon, c’est précisément la tour de l’ « Eglise ensablée » qui seule résiste à l’ensablement. Comme l’écrit le Père Robert Pousseur, les tours d’églises et clochers sont des éléments fondamentaux de nos paysages et de nos cultures : « le clocher rappelle par sa stature que l’Eglise en France a réorganisé l’espace. Il rappelle aussi qu’elle a réorganisé le temps par la sonnerie des cloches matin, midi et soir »2. Ce constat n’est pas uniquement valable pour la France, dans le paysage des pays de culture chrétienne, le clocher, longtemps l’élément le plus haut des communes, est un marqueur et un repère dans l’organisation et la signification de l’espace, du temps et de l’histoire.
 

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Notes

1. Article de Kristy Bell, « Deborah Ligorio. Sedimentation and submersion ; the effects of images on the past, the present and the future », in Frieze, No 121, Mars 2009, p. 132-133 ; et sur le site de Deborah Ligorio : http://www.deborahligorio.com/v_st.html

2. Robert Pousseur, Les églises seront-elles des musées ? Paris, les Editions de l’Atelier/les Editions Ouvrières, 1999, p. 23

 

 

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