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Entretien avec le photographe Gautier Deblonde : dans l’intimité des grands ateliers

Pendant dix ans, Gautier Deblonde a parcouru le monde et photographié les ateliers des artistes parmi les plus connus : Takashi Murakami, Richard Prince, Ai Wei Wei, Wim Delvoye, Jeff Koons, Pierre Soulages, Chuck Close, Ron Mueck, Damien Hirst, Bill Viola, Annette Messager, Anish Kapoor ... A l'occasion de son livre "Atelier" publié en 2014, Anne Da Rocha, responsable de la commission diocésaine d'Art Sacré à Lille, s'est entretenue avec cet artiste majeur. Rencontre...
Publié le 12 mai 2016
Messager © GAUTIER DEBLONDE, 2014

– Qui êtes-vous ?

Je suis Gautier Deblonde, photographe, réalisateur.

– Quelle est votre formation ?

4 ans à St-Luc à Tournai que j’ai quitté avant le bac. Un départ à Londres en janvier 1991. Je rêvais de voyager et la raison de mon départ à Londres était d’acquérir un niveau d’anglais suffisant pour parcourir le monde. Je pensais y rester 1 an. J’y ai vécu 15 ans et je continue à travailler à Londres régulièrement.

Baselitz © Gautier Deblonde, 2014

– Vous avez publié en 2014 le livre « Atelier ». Comment avez-vous été amené à choisir cette thématique ?

Je travaille avec les artistes contemporains depuis 20 ans.  J’ai commencé ma carrière à Londres en faisant beaucoup de portraits pour la presse française et britannique. Je me suis vite spécialisé dans la culture avec un goût plus prononcé pour l’art contemporain.
J’étais présent pendant les dix années Blair (Premier ministre Tony Blair). Il y a beaucoup à lui reprocher mais une énergie positive, sans comparaison en Europe, était fortement papable. Tout semblait possible, la culture (musique, théâtre, art contemporain) en a beaucoup profitée. Les jeunes artistes britanniques appelés les YBA (Young British Artists) avec en tête l’enfant terrible Damien Hirst ont bousculés fortement la scène artistique Anglaises.
Je suis plus au moins de la même génération et je fréquentais ces artistes (YBA) assidument avant que certain deviennent des stars internationales de l’art contemporain. Je faisais à cette époque exclusivement du portrait et les portes de leurs ateliers m’étaient ouvertes. J’ai commencé ma série Atelier en 2004 que je n’aurais pas pu mener à bien sans l’expérience acquise dans les années 90.


Bausch © Gautier Deblonde, 2014

– Etes-vous allé voir les artistes régulièrement ?

Il m’était possible de voir quelques artistes régulièrement en Angleterre et en France. J’ai financé ce projet principalement avec mes propres fonds. Il ne m’était pas possible de retourner aux Etats-Unis ou en Asie pour suivre l’évolution des artistes choisis.
J’ai photographié plus de 120 ateliers, nous (l’éditeur et moi même) avons sélectionnés 69 photographies pour le livre. Ce choix drastique, nous avons gardés les photographies que nous considérions les meilleures, m’a aidé à pallier l’impossibilité de suivre les artistes américains ou asiatiques comme je l’aurais souhaité.

Gormley © Gautier Deblonde, 2014

– Qu’est-ce que vous aimez dans l’ambiance de ces ateliers ?

L’intimité de l’atelier. Il appartient à un et un seul artiste. Il/elle peut travailler avec un groupe important de techniciens, d’assistants, mais l’identité de l’atelier dépend de l’artiste et de l’artiste uniquement.

Huan © Gautier Deblonde, 2014

– Comment avez-vous instauré un lien de confiance pour qu’ils vous ouvrent leurs portes ?

Je vivais toujours à Londres lorsque j’ai démarré ce projet. Un lien de confiance était déjà instauré avec beaucoup d’artistes anglais. Ils ont acceptés de me recevoir rapidement et m’ont aidés à contacter certain des artistes américains à New York et à Los Angeles. Ces introductions étaient d’une grande aide. J’ai envoyé à chaque artiste une lettre et quelques tirages photographiques. Chaque lettre était personnelle, je leur expliquais ma démarche, je leur parlais de leur travail, que je connaissais.
Je voulais faire leurs portraits à travers l’atelier sans qu’ils soient présents. Un portrait d’une présence dans l’absence. Les artistes étaient sensibles à cette idée. Une fois le projet démarré, il me fallait être patient, sans perdre le fil conducteur, le pourquoi du projet, et en en écrivant très régulièrement aux artistes.

Kapoor © Gautier Deblonde, 2014

– Est-ce une photographie à un moment donné ou un reportage évolutif ?

Chaque photographie est un moment donné et choisi. Donné par l’artiste et choisi par moi même. J’ai toujours photographié les ateliers au moment du déjeuner. Les ateliers de Nan Goldin et de Miroslaw Balka, la première et dernière photographie du livre sont les deux seules exceptions.
J’arrivais le matin, j’observais les artistes et assistants dans leur travail et réfléchissais à mon image. Que l’on soit en Europe, aux Etats Unis ou en Asie, tout le monde s’arrête pour déjeuner. C’est une parenthèse dans le processus de création. Ce n’est pas une fin de journée. Tout est laissé en plan, rien n’est rangé. C’est un moment en suspension.
C’est cette parenthèse que je recherchais car tout est encore possible. La présence de l’artiste y était d’autant plus forte. J’ai fait la même photographie pendant dix ans, c’est une discipline que je me suis imposé. Elles sont toutes prises frontalement avec le même appareil panoramique posé sur un pied à une hauteur de 1 mètre à 1,5 mètre. Cette discipline m’a permis de ne pas me laisser submerger par les fortes personnalités des artistes, je restais maître de mon projet.

Kelly © Gautier Deblonde, 2014

– Qu’est-ce qu’un atelier pour vous ?

L’atelier d’artiste m’a toujours intrigué et il me fascine. Ce n’est pas seulement un espace, ce n’est pas seulement une pièce. Quelque chose s’y passe. La création a lieu. C’est l’endroit où l’artiste est vraiment un artiste, c’est là où la magie est possible.

– Quand vous entrez dans l’atelier, qu’est-ce que vous voyez ? Les oeuvres achevées, celles en cours, les instruments de l’artiste ?

Lorsque que j’entre pour la première fois dans un atelier, il y a évidemment les œuvres achevées, celles en cours et les instruments de l’artiste qui peuvent être visuellement très fort. Mais ce qui me frappe à chaque visite et que j’aime profondément, est l’odeur. Nous pourrions comparer cette odeur au parfum que dégagent les pages d’un livre lorsque nous l’ouvrons pour la première fois. Je me nourrissais de ce parfum, j’abordais une histoire qui n’était pas la mienne mais qui m’était offerte.

Morellet © Gautier Deblonde, 2014

– Comment faire transparaître en photo la spiritualité des œuvres, des artistes eux-mêmes ?

La spiritualité est un caractère opposé à la matérialité. A travers mes photographies, j’essaie avec force de ne pas tomber dans le piège de la représentation. Lors de mes prises de vues, j’utilise un temps de pause long, 2 à 3 minutes. J’absorbe le temps, ce temps en suspension pendant la pause déjeuner, qui m’est si cher.
Je travaille avec la lumière de l’atelier, lumière choisit par l’artiste, souvent douce (lumière du nord) qui enveloppe les œuvres. Il faut accepter le sujet tel qu’il nous est présenté.

Comme le dit si bien le photographe Belge Harry Gruyaert ; « Le résultat photographique est un hasard maîtrisé, une sorte de petit miracle parce qu’on est disponible est concentré. »

Je crois que nous pouvons comparer ce petit « miracle » à la spiritualité des œuvres et des artistes, il n’a pas toujours lieu mais je le souhaite à chaque fois.

Prince © Gautier Deblonde, 2014

– Quelle est votre inspiration actuelle, vos projets ?

Je travaille sur différents projets, qui ne sont pas tous en relation avec les artistes, mais ils sont et resteront d’une grande importance dans ma vie de photographe.

J’ai eu l’opportunité de faire mon premier film en 2013 pour la Fondation Cartier pour l’art Contemporain avec le sculpteur Ron Mueck. Grace à cette expérience, qui fût très forte, je vais tourner dès l’automne prochain une série de courts métrages sur l’art contemporain. C’est un projet qui prendra 12 à 18 mois de travail.

J’ai aussi beaucoup voyagé dans les iles de Svalbard en Arctique entre 2004 et 2009. J’espère y retourner début 2016 mais il y a encore beaucoup à organiser !

Gautier Deblonde © Réseau Lalan

Entretien avec Gautier Deblonde par Anne da Rocha Carneiro, responsable de la commission diocésaine d’Art Sacré à Lille.

Pour aller plus loin… 

Découvrez l’ensemble des ateliers photographiés par Gautier Deblonde dans son ouvrage : 

Gautier Deblonde, Atelier
Première Edition 2014
©2014 pour les photographies, Gautier Deblonde
©2014 pour le texte, Jim Lewis
©2014 Steidldangin Publishers pour cette édition 

ISBN 978-3-86930-732-9
Prix conseillé 88€
 

Son actualité

Les photos de Gautier Deblonde ouvrent l’exposition Dans l’atelier en cours jusqu’au 17 juillet 2016 au Petit Palais : Lire ici l’article dédié à cette actualité dans les pages de Narthex.

Gautier Deblonde a suivi la réalisation du Chemin de Croix par des personnes en situation de handicap dans le cadre d’un atelier d’art sacré créé en 2014 par le Diocèse de Lille. Ses photos sont exposées jusqu’au 20 mai 2016 à Lomme (59). Découvrez en quelques-unes en cliquant ici.

 
 
 
 
 
 
 
réalisation du Chemin de Croix à Lomme, 2016 © Gautier Deblonde
 
 
 
 
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