C’est dans un petit atelier de Saint-Ouen que nous avons rencontré le peintre Thomas Lévy-Lasne. Un artiste haut en couleur, qui nous a mis à l’aise dès la première seconde. Bourreau de travail, bon vivant et doué d’un excellent sens de l’humour, nous avons partagé avec lui quelques heures chaleureuses et conviviales. Rencontre avec un artiste atypique donc la peinture est totalement à contre-courant des productions actuelles.
La première chose qui frappe à la découverte de ses tableaux est le choix figuratif. A l’heure où les représentations abstraites dominent son style tranche totalement. Une immense toile a tout de suite attiré notre attention lorsque nous sommes entrés. Une toile horizontale, non aboutie, représentant une vingtaine de personnages, côte à côte, statiques. Ce tableau surprenant provient d’une commande privée dont nous voulions absolument connaître l’histoire. C’est ainsi que Thomas Lévy-Lasne nous a raconté la naissance de ce projet grandiose issue de la volonté d’un homme d’affaire de se faire représenter avec ses amis les plus chers. Patiemment, l’artiste a rencontré tous les personnages du tableau afin de capter les caractères de chacun. Un travail de longue haleine, minutieux, rigoureux qui fait parfaitement écho au soin que porte l’artiste dans chacune de ses toiles.
Car Thomas Lévy-Lasne, c’est un peu le peintre de la « perfection ». Sa maitrise du dessin est étonnante et ses toiles se rapprochent presque de la photographie, tant par sa technique picturale que par le choix de ses sujets. Car ce qui intéresse Thomas Levy-Lasne c’est le réel. Donner au réel une forme de présence, et, pour ce faire, en exposer des instantanés.
Il photographie les choses, puis les reconstitue lentement, attentivement, dans le moindre détail. Une manière pour lui d’immortaliser l’anecdotique. Car au final, le banal, les choses de tous les jours ont leur intérêt propre. Une manière de ne pas oublier ces moments intemporels et universels de la vie. D’ailleurs ses œuvres ne sont pas sans rappeler les productions de peintres hollandais (Brueghel, Vermeer et tant d’autres…), attachés à mettre en lumière la vie quotidienne. Il s’en inspire comme en témoigne la multitude de reproduction d’œuvres qu’il collectionne sur ses murs. Il a d’ailleurs filmé les œuvres des plus grands maîtres pendant quatre ans dans les musées d’Europe, alors qu’il assistait le critique d’art Hector Obalk. « La banalité c’est là qu’il faut regarder, en tout cas c’est ce qui m’intéresse, c’est comme un défi […] il faut réussir à y réactiver quelque chose. […] La haine de la réalité est partout. Le réel photoshopé par dégoût. » C’est ainsi que nous découvrions au fil de nos échanges des représentations quasi « banales » : un nourrisson tout juste né et une vieille femme sur son lit de mort fonctionnant en écho, un malade sur un lit d’hôpital, des jeunes filles déguisées en princesse…
Au cours de notre rencontre, deux hommes ont sonné à l’interphone pour ramener une toile partie le temps d’une exposition. C’est alors que nous avons assisté au déballage d’un tableau. Sous nos yeux, le papier bulle s’est défait petit à petit, et nous étions là, silencieux, dans l’attente de ce que nous allions découvrir. Tout à coup c’est une toile au paysage surchargé qui nous est apparu. Au milieu de la toile, minuscule face à l’immensité du paysage, se distingue un homme allongé, le regard fixé sur son portable. C’est là toute la singularité de Thomas Lévy-Lasne : créer un élément perturbateur. Cette toile, ce n’est pas juste une performance artistique sur le traitement du paysage ; il veut nous faire réagir face aux réalités de notre temps. Car devant la beauté d’un tel paysage que fait l’homme d’aujourd’hui ? Il reste absorbé dans la contemplation de son téléphone…
Ainsi la peinture de Thomas Lévy-Lasne ne doit pas être réduite à une simple reproduction de la réalité. Elle est plus complexe que cela, plus subtile. Il ne s’agit pas seulement de rendre compte du réel par nostalgie mais de s’intéresser à des détails qui font notre temps et surtout à nous faire regarder là où on ne regarde jamais. La plupart du temps les personnages de ses toiles ne fixent pas le spectateur mis à part quelques portraits. Dans ses aquarelles, il dévoile des moments de faiblesses, d’abandon, des personnages dormants, d’autres faisant la fête dont les visages, hors du cadre, nous laissent simplement voir leurs corps dansants. « Ce qui m’intéresse d’abord, c’est de rendre dans sa richesse et sa complexité un moment du monde des apparences, en rendre la densité […] cette capacité à rendre l’évènement qu’est le monde, je crois qu’il n’y a que la peinture qui la restitue aussi bien » dit-il.
Car c’est là tout le secret de la peinture. On y fabrique une image tandis que la photographie ne fait que capter un instant. Ainsi, bien que la peinture de Thomas Levy-Lasne s’apparente à des instantanés, il y cache des secrets de fabrication que nous percevons à peine. Les photographies à partir desquelles il travaille, il les retouche, change les lumières, réalise des montages, fait des zooms sur les textures. A partir de tout cela, il se re-fabrique en peinture des scènes à lui comme en témoigne les portraits d’hommes dans leur activité professionnelle. Car pour cet artiste, la peinture transfigure le sujet, le fait échapper à la temporalité, lui donne une autre dimension.
Peindre de manière figurative ce n’est pas juste donner à voir, c’est révéler.
Caroline Becker