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Letizia Battaglia photographe. « Pas besoin de technique pour faire une bonne photo, juste du cœur »

Letizia Battaglia (1935-2022) était une photographe sicilienne ancrée dans la vie de son île. Ses images en noir et blanc ne sont pas seulement des reportages photographiques pris sur le vif, en particulier pour le quotidien palermitain l’Ora. Ils ne sont pas réductibles à de magnifiques clichés, dont la composition toujours parfaite leur donne accès aux cimaises des musées. Ils restent inscrits dans notre mémoire une fois vus et ils demeurent actuels. C’est l’amour de la vie qui l’a poussée à s’engager toute sa vie pour les autres, que ce soit par la photographie, le volontariat en hôpital psychiatrique, l’édition ou le partage de son talent.
Publié le 16 avril 2025
Écrit par Sylvie Bethmont-Gallerand

Le musée du Jeu de Paume du Château de Tours, expose les photos de Letizia Battaglia (1935-2022) jusqu’au 18 mai 2025 (Fig. 1). Cette photographe porte un nom programmatique : en italien Letizia c’est la Joie et Battaglia, la Bataille. 

Le joie et la bataille

C’est tout un programme qui est en effet contenu dans le nom de celle qui prend ses photos « à la distance d’un coup de poing ou d’une caresse ».  Letizia : la joie de vivre même au sein de la misère dont témoignent les photos de sa terre natale. Une joie qui rassemble toutes les générations lors des fêtes de Pâques, que survole une colombe saisie en vol par son objectif. La joie au sein  ou malgré la bataille, tant elle a été animée, dès l’enfance, par une passion pour la justice qui ne l’a jamais quittée. 

Fig 1 Letizia Battaglia 28 Novembre 2010 © wikimedia commons

L’exposition rétrospective, que lui consacre le musée du Jeu de Paume du Château de Tours, propose un aperçu très complet de toutes les périodes de sa vie de photographe. Ce travail photographique, en noir et blanc, a d’abord été un instrument de libération et de conquête ; Libération du joug imposé par une société patriarcale, après un mariage à l’âge de16 ans suivi de la naissance de ses trois filles. Et conquête lorsqu’elle s’est extraite d’un destin tout tracé pour devenir autonome et travailler.

Si elle débute son activité professionnelle à Milan par des reportages photos sur l’évolution des mœurs en Italie au début des années 1970, ce sont ses clichés quotidiens pris « à chaud », pour le journal l’Ora, durant les « années de plomb »  (1970-1990) de la « guerre » entre les forces de l’ordre et la Cosa nostra (Mafia sicilienne) qui lui ont apporté la notoriété. Ainsi « les deux Christ » dont le titre fait autant référence au tatouage du visage du Christ sur le dos de ce jeune homme –  face contre terre – saisit par la mort, qu’à son statut de victime déclarée ainsi innocente (Fig. 2). Elle abandonnera ce combat de témoin après l’assassinat des juges Falcone et Borsellino en 1992. 

Fig 2 Vue de l’exposition avec la photographie « Les deux Christ » © SB

Elle s’empare alors du monde pour témoigner encore en donnant une voix à ceux qui n’en n’ont pas. Les petites filles d’abord. Celle qu’elle a été et dont l’enfance a été marquée par un traumatisme. Celles qu’elle croise ensuite, devenues adolescentes puis femmes, dont elle se sent proche. Cette jeunesse elle la photographie encore en Turquie et en URSS, comme  aux Etats-Unis et en Ecosse.  

Elle donne une voix à tous les « sans voix », qu’ils soient prisonniers politiques, patients enfermés dans un hôpital psychiatrique, ou encore ces Roms qu’elle photographie avec le même cœur que les habitants de sa ville, Palerme. 

Le sommet de cette vie, sans cesse engagée dans le partage, est atteint par la création, en 2017, de ce « miracle » qu’est le Centro Internazionale di Fotografia  (« Centre international de la photographie ») dans les friches des chantiers culturels de la Zisa à Palerme. Un lieu de cours, de résidences d’artistes et d’expositions de photos, où elle présente les œuvres des plus grands comme celles d’artistes émergents. 

Mais une photographie est-elle destinée à devenir une œuvre muséale ? Peut-on la sortir de son contexte ? Les temps et les personnes que Letizia a photographiés ne sont plus et pourtant les photographies qu’elle en a prises nous touchent au plus près.

L’œil et le coeur

Le jeune homme aux Dreadlocks, croisé au sein de l’exposition de Tours, ne s’était pas trompé, (Voir la première partie de cet article dans Narthex.fr : « c’est une image de la Renaissance italienne »). Il y a bien un aspect pictural dans ses photographies qui (comme beaucoup de travaux de photojournalistes) font souvent référence aux grands types iconographiques déployés par l’art chrétien. « Vous avez l’œil », ai-je dit spontanément à ce jeune homme éveillé. 

Mais, depuis, je pense aux professions de foi – maintes fois réitérées  – de Roger Thérond (1924 – 2001) que ses collaborateurs appelaient l’Œil. Promoteur passionné du photojournalisme, il a été le directeur de rédaction de l’Hebdomadaire Paris-Match durant deux décennies et demie (1976-1999). Il conseillait alors à ses collaborateurs de fréquenter le Louvre pour devenir un bon photographe de presse. 

Dans une interview de 1998,  à la question de Bernard Pivot : « Et qu’est-ce que c’est qu’une (sic) bonne photo pour vous ? », Roger Thérond a répondu :

 « …Il faut qu’il y ait une composition graphique. Il faut qu’il y ait un élément d’intérêt puissant dans l’actualité – quand on fait un magazine… Alors le comble c’est quand vient s’ajouter une véritable émotion, qui vient du plus profond de vous-même, ou bien que vous n’analysiez même pas ». (Bouillon de culture, 23 octobre 1998). 

En écho à cette profession de foi en la puissance de l’art dans la composition, à la passion de l’actualité, à l’émotion qui saisit son auteur pour donner forme aux photographies, l’hommage muséal que lui rend le musée du Jeu de Paume à Tours, nous fait entendre  la voix de Letizia Battaglia : 

« Moi j’ai mon appareil photographique dans le ventre, la connaissance dans l’œil, le professionnalisme dans le doigt » (interview par Maria Rosaria SPANO, 2002). 

 

Exposition jusqu’au 18 mai 2025 :
ACCÈS ET HORAIRES :  Château de Tours 25, avenue André-Malraux 37000 Tours +33 2 47 70 88 46 Mardi-dimanche : 14 h-18 h Fermeture le lundi. Plein tarif : 4,20 € Tarif réduit : 2,10 € Gratuit pour les scolaires. 

Pour aller plus loin

À lire

À voir

  • « Une bonne photo selon André Thérond », Bouillon de culture, 23 octobre 1998, archives de l’INA mediaclip
  • « Letizia Battaglia, photographe des années de sang », documentaire de Cécile Allegra, (2024), sur France 5 documentaire, le vendredi 18 mars 2025 à 23h 05, (50 mn)
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