L’Espérance : une figure théologale par excellence

« L’avenir appartiendra à ceux qui auront su donner des raisons d’espérer aux générations de demain ». (1) Teilhard de Chardin (1881-1955)
Publié le 12 mars 2025
Écrit par Jeanne Villeneuve
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Le jour de la fête de l’Ascension, le 9 mai 2024, le pape François a proclamé (selon une tradition ancienne effectuée par tous les papes tous les 25 ans), un document officiel de la curie romaine : une bulle d’indiction du jubilé ordinaire de 2025, sous le titre de « Spes non confundit » ; « l’espérance ne déçoit pas ». Sous le signe de l’espérance est donc le message central du jubilé de cette année pour tous le pèlerins d’espérance et pour tous les autres. Saint Paul (1° siècle) avait déjà mentionné dans le passage de la première lettre-épître aux Corinthiens chapitre 13, (1 Co 13, 13), le courage de la communauté chrétienne de Rome brandissant avec fougue cette vertu chrétienne de l’espérance qui est une disposition à espérer une vie éternelle après la mort, plongeant son origine dans les racines du judaïsme de l’Ancien Testament. En effet, le modèle se trouve en Abraham lorsqu’il s’est senti purifié par l’épreuve du sacrifice, lorsque Dieu lui a demandé de lui offrir son fils Isaac en sacrifice sur le Mont Moriah : « Espérant contre toute espérance, il crut et devint ainsi père d’une multitude de peuple ». (2) Elle est donc l’une des trois vertus théologales (ayant Dieu pour objet) avec la foi et la charité. La foi est plutôt une disposition à croire aux vérités révélées, la charité est une vertu qui dispose à vivre notre relation dans notre amour à Dieu et dans celui de notre humanité. Ces trois vertus sont couronnées dans l’iconographie classique, car elles sont reines et ouvrent l’accès au royaume de Dieu. Il y a aussi plus précisément, sous-jacent à cette vertu de l’espérance : le sentiment de l’espoir. Ce sentiment est alors le fondement anthropologique de la vertu théologale de l’espérance. Plus tard au Moyen-Age, l’Eglise complètera ces trois vertus théologales par quatre vertus cardinales : la prudence, la tempérance, le courage (la force d’âme) et la justice. Dans Iconologie de Cesare Ripa (3), nous trouvons une description de l’espérance représentée sous la forme d’une jeune femme, habillée de vert (couleur de l’espérance). Elle porte aussi une couronne de fleurs et tient un jeune enfant qu’elle allaite. Il y a bien l’espoir en la manifestation de son affectivité pour son petit enfant. C’est à dire un espoir en son amour et en l’avenir. 

Dans sa deuxième lettre encyclique de 2007, « Spe Salvi facti sumus », « Sauvés dans l’Espérance » (4), Benoit XVI quand à lui, distinguait la Grande espérance : la vertu théologale qui rejoint uniquement le Bien incréé qu’est Dieu et les petites espérances qui sont les biens finis et créés. En étudiant cette vertu théologale d’espérance, nous ne parlerons que de l’objet premier de l’Espérance qui est la béatitude éternelle, le face à face avec Dieu, l’attente de celui qui vise Dieu comme fin ultime. Saint Augustin parle même d’une dilatation intérieure qui nous adapte au don divin. Ces vertus disposent l’homme à vivre en relation avec Dieu. Elles sont infusées par Dieu dans nos âmes pour nous rendre capable d’agir comme de doux agneaux et de mériter la vie éternelle.

C’est ainsi, que l’espérance a été fréquemment représentée, sous forme allégorique dans les arts, soit toute seule, soit associée aux deux autres vertus théologales : la foi et la charité. Ce genre allégorique se fondra au grand siècle pour rentrer peu à peu dans le romantisme ou l’homme sera au centre de toute composition.

Nous allons prendre, pour illustrer nos propos sur l’allégorie de l’Espérance, un tableau de Pierre Mignard, (1612-1695) daté de 1692, conservé au Musée des Beaux-Arts de Quimper, sous le titre de : l’Espérance. (5)  L’on peut d’emblée admirer une allégorie réalisée sous les traits d’une vierge raphaélienne, dans une grande composition classique de dévotion, peinte pour le roi et ses grands décors ou pour les hôtels particuliers de l’aristocratie de l’époque. Ces mêmes visages sont devenus si célèbres dans toute l’Europe qu’elles furent surnommées « les mignardes ». De prime abord, l’on pourrait s’étonner de voir en cette scène l’illustration de l’espérance. Mais, en citant à  nouveau l’ouvrage « Iconologia » de Césare Ripa publié en France en 1640, qui s’attache à expliquer de façon nouvelle, les images, les emblèmes, les figures hiéroglyphiques, des vertus, des vices, des arts et des sciences (…) et qui servira de vade-mecum ou de modus operandi à ce texte ; nous trouvons qu’il y a un sentiment sous-jacent à la vertu peinte sous les traits de la très jeune femme, à cette figure qui porte des attributs en relation avec l’idée qu’elle incarne. Elle correspond bien à l’espérance divine et certaine :
Elle est en effet représentée ferme, assise, pieds nus, stable sur un socle en pierre posé sur la plage, les mains jointes et les yeux levés vers le ciel bleu pale en signe de prière. Son regard levé, signe le détachement des choses d’ici-bas et surtout indique en qui la figure met son espérance, avec une lumière de soleil diffus en fond de paysage. Un petit enfant, ceint d’un drapé bleu-Roy tient une couronne étoilée et une gerbe de blé annonçant les belles récoltes à venir. La couronne de fleurs posée sur l’allégorie, annoncerait les beaux fruits. Un autre petit putti, à gauche de la figure centrale majestueuse, porte plutôt un bouquet de fleurs mauves. Certains y ont vu la palme du martyr ? Le voile d’or de l’Espérance flottant par le vent marin au-dessus d’une mer bleue que l’on entrevoit derrière. Cela pourrait signifier que l’Espérance demande le sacrifice des plaisirs de tous genres sur terre. Cet art du peintre vaut ailleurs pour la qualité de l’attention accordée au réel et aux détails de la végétation délicate.

 Une ancre assez imposante dépasse de la composition dans le noir de son métal. Paul de Tarse en Cilicie aurait dit de cet attribut traditionnel : « Cette espérance nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide, elle pénètre au-delà du voile ». (6)

C’est ainsi que l’espérance sera également et ordinairement accompagnée par l’ancre marine ; autre symbole chrétien qui remonte au Nouveau Testament. Cette masse retient en effet les bateaux malgré l’agitation de la mer. Elle symbolise donc stabilité et assurance. Ainsi par extension, cette vertu permet à l’homme qui chancelle d’échapper quelque peu aux remous de l’existence. Par ailleurs, la forme de cette ancre se rapproche de celle de la croix (lire à ce sujet l’article de Sylvie Bethmont paru dans Narthex qui analyse le logo du jubilé). 

Cette ancre symboliserait le port que l’on espère atteindre un jour au milieu des périls de notre existence où nous la jetterons un jour. Elle nous invite aussi à accueillir le don de Dieu qui vient assurément à celui qui croit dans un bel acte de foi. Les croyants attendent de Dieu avec confiance, sa grâce.

 

Notes

(1) La place de l’homme dans la nature. Teilhard de Chardin, préface de jean Onimus, 250 pages, édition Albin Michel.
(2) Le sacrifice d’Isaac, (Genèse 22, 1-14).
(3) Iconologia de Cesare Ripa 1560_1622, (Rm, 5, 5).
(4) Encyclique Spe salvi de Benoit XVI, publiée le 30 novembre 2007
(5) L’Espérance de Pierre Mignard, huile sur toile, H. 48, 5 cm X L. 62, 5 cm. Dépôt du Musée du Louvre en 1897 à la ville de Quimper et actuellement conservé au Musée des Beaux-Arts de Quimper.
(6) Hébreux 6 :19-20 S21

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