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Le regard des artistes contemporains sur l’Apocalypse de Saint-Jean

L’Apocalypse de Saint-Jean est le dernier livre du Nouveau Testament, et de la Bible. Rédigé d’après les visions de Saint-Jean lors de son exil sur l’île de Patmos, en Grèce, et sous le règne de l’empereur romain Néron (54 à 68 ap. J-C.), il révèle les signes de la fin des temps, et annonce le Royaume de Dieu. En grec, apokálupsis signifie le fait de se dévoiler, et c’est tout le mystère de ce texte fascinant et décisif. Aujourd’hui méconnu et peu lu dans notre société laïque, les termes apocalypse ou apocalyptique sont pourtant régulièrement utilisés lorsque l’on parle de désastres ou de bouleversements, particulièrement à travers les changements climatiques. Ce mot évoque une peur universelle, même lorsque l’on n’est pas croyant : la fin du monde, et donc la fin de sa propre vie. Une idée qui, lorsqu’elle n’est pas aidée par la Révélation, peut devenir une souffrance. Cette observation est confirmée quand on remarque que le thème de l’Apocalypse est un sujet noble et longuement traité à travers l’histoire de l’art. Les artistes ont toujours su puiser dans son symbolisme et sa grandiosité, une source inépuisable de représentation. En passant par les frères de Limbourg (1), Van Eyck (2), Georg Meistermann (3) ou encore Le Greco (4), pour ne citer qu’eux, l'Apocalypse selon Saint-Jean traverse l’art et les époques. On l’a vue là où les horreurs, les guerres et les tempêtes frappaient le monde. Qu’en est-il aujourd’hui? Comment l’artiste contemporain appréhende-t-il le thème de l’Apocalypse, au travers d’une époque si troublée ?
Publié le 05 mars 2025
© Apocalypse – Jacqui Parkinson

L’Apocalypse de Jacqui Parkinson : une extraordinaire vague d’espoir pour l’avenir

Les artistes contemporains du XXIème siècle s’approprient les codes de ce texte sacré et éternel, en se tournant vers l’avenir et s’émancipant des codes classiques. L’eschatologie devient alors une façon de déchiffrer les problématiques modernes, et d’y donner un sens. C’est notamment le cas avec l’artiste britannique Jacqui Parkinson et son œuvre textile magistrale intitulée Apocalypse : Révélation d’un avenir, d’une espérance, produite en 2021. Artiste chrétienne, elle a cousu bout à bout des milliers de morceaux de soie pendant plus de trois ans, afin de mettre en scène quatorze passages clés des visions de Saint-Jean. À travers cette œuvre unique (c’est le plus grand projet textile produit par un seul artiste), Jacqui souhaite interpeller le spectateur de par les matériaux utilisés, mais également à travers une esthétique contemporaine, où les couleurs rayonnantes contrebalancent avec le chaos présupposé de l’Apocalypse. Elle explique : « J’ai toujours été fascinée et perplexe devant le livre de l’Apocalypse. Cela peut sembler un enchevêtrement de manuscrits, de trompettes et de coupes, avec quantité de désastres et de fléaux, mais c’est aussi la vision d’un Dieu merveilleusement Saint, qui a un plan magnifique pour chacun de nous et pour l’ensemble de la Création. » (5)

L’œuvre est enrichie par une bande sonore, composée de musiques et de réflexions personnelles de l’artiste. En plus de l’aspect immersif qu’offre le travail textile et visuel, le spectateur peut donc se plonger dans ce récit fascinant grâce à l’écoute. Nous sommes captivés, intrigués et encouragés à en savoir plus. C’est tout le but de Jacqui Parkinson : rassembler autour d’une invitation spirituelle.
Au travers de son interprétation artistique du livre biblique, elle nous interpelle par la beauté chatoyante de son œuvre, et actualise un message d’espérance : « Dieu et le livre de l’Apocalypse demeurent pour toujours un mystère profond. Mais ces mystères peuvent parler à chacun de nous de différentes manières. J’ai l’espoir qu’en démêlant les fils de ces mystères nous trouvions des bénédictions ! ». (6)

Nous sortons donc de la découverte de cette artiste emplis d’espérance en l’avenir, comme le dit si bien le titre de son œuvre !

L’Apocalypse d’Olivier Masmonteil : une continuité d’histoire et d’humanité au-delà de la simplicité contemporaine

Un autre artiste, Olivier Masmonteil, peintre parisien à la renommée internationale, notamment connu pour sa série de tableaux La mémoire de la peinture, s’est également approprié les scènes de l’Apocalypse de Saint-Jean. Cela commence lorsque deux promoteurs de la Tour Trip, à Angers, commandent à l’artiste une œuvre inspirée de la Tenture de l’Apocalypse du château de la même ville (7) (œuvre médiévale gigantesque, qui inspira aussi d’ailleurs notre artiste précédente), destinée à être exposée dans un lieu de coworking et de formation. Masmonteil accepte et crée sept toiles qu’il termine et expose en 2024. Elles sont imposantes : 1,40m sur 1,20m chacune, et reprennent sept scènes de l’Apocalypse traitées dans la célèbre tapisserie médiévale. 

L’artiste explique qu’il a pu observer longuement l’œuvre d’origine, et fut fasciné par ses détails, ses symboles, sa technique et sa scénographie. « Face à cette richesse iconographique impressionnante, nous ressentons une forme d’ivresse », nous révèle-t-il humblement lors d’un entretien. Dans une démarche de reproduction, il se laisse porter par un instinct artistique qui lui dicte quels personnages et quels passages représenter dans son propre travail. « C’est l’œuvre qui me choisit », nous avoue-t-il avec passion.
Quant au thème de l’Apocalypse, Masmonteil a voulu en premier lieu remettre à jour la tapisserie historique, mais a su ensuite s’approprier ce thème profond, bâtisseur de notre société et notre culture. Pour cela, il découvre à nouveau le livre de Saint-Jean, qu’il avait lu plus jeune. Pour lui, ce texte fondateur s’adapte et se révèle différent à chaque époque : « Nous faisons une erreur en employant les termes “passé” et “contemporain”, c’est un texte universel. (…) C’est la magie d’un chef d’œuvre : il traverse le temps. »

L’artiste a utilisé une technique particulière de peinture acrylique sur une toile de lin brute, afin de se rapprocher du rendu de la tapisserie originale. Le résultat est velouté, et les couleurs utilisées aquarellées : elles se rapprochent de ce qu’était, à l’époque, la tenture. Lumineuses et enchanteresses, les toiles ne reflètent pas l’idée de notre Apocalypse moderne. Il explique : « L’Apocalypse veut aussi dire renaissance. La connotation est négative aujourd’hui, mais elle a un double sens dans les Écritures. (…) C’est intéressant d’interroger cette notion dans un contexte très anxiogène. »

Il fait un parallèle intéressant entre cette Tenture de l’Apocalypse, la grotte de Lascaux, ou bien encore Les Nymphéas de Monet. Pour lui, l’artiste se doit de témoigner, et non pas d’expliquer, le mystère qu’est la vie. Chaque œuvre est héritière de l’art passé, et porte en elle un patrimoine sous-jacent, de façon presque métaphysique. Avant de terminer, il explique : « Si j’ai un message à faire passer, c’est que cela vaut le coup de se plonger dans ces textes intemporels, dans l’histoire de l’art, des religions et des mythes. Ils nous permettent de comprendre la complexité de notre monde, dans une époque où l’on a tendance à tout simplifier. Trop simplifier vient à vulgariser, et nous perdons alors la profondeur des choses. »

Olivier Masmonteil est fasciné par les mythes fondateurs, bibliques entre autres. Il souhaiterait sûrement en aborder d’autres dans le futur, notamment le Déluge, qui pour lui a beaucoup de similitudes avec le livre de Saint-Jean. Un artiste à suivre, dont la vision artistique nous amène à réfléchir, interpréter et ressentir notre époque à travers l’héritage de nos prédécesseurs !

Une Apocalypse renouvelée, plus proche de la vérité biblique : le retour d’une complexité entre destruction et résurrection

Cette vision plutôt flamboyante d’une Apocalypse qui croit à un monde nouveau, est le reflet d’un rejet des vices de notre temps, comme le consumérisme, le vide intellectuel, ou l’abandon de notre héritage. Sûrement souhaitons-nous un retour à l’essentiel, au beau et à l’espoir. Cela n’a pas toujours été le cas. En effet, nous sommes aujourd’hui héritiers d’une Apocalypse dont les codes découlent majoritairement de sa représentation du siècle dernier. De celle-ci n’en ressort qu’une vision pessimiste d’un monde corrompu voué à sa perte.
Avec les atrocités perpétrées tout au long du XXème siècle et le glissement vers l’existentialisme, les artistes de cette époque ont dépeint un monde absurde où l’espoir s’est tari. Par exemple, l’artiste-peintre expressionniste allemand George Grosz (1893-1959) réalisa des œuvres sombres, mettant en scène Hitler suant au milieu du feu et des squelettes de l’Enfer (8). De nombreux artistes représentèrent l’absurde et l’abomination, sans chercher la beauté. Comment leur en vouloir de ne pas avoir réussi à peindre l’espérance dans un contexte si tragique ?

L’idée d’un monde sans Dieu, ou dénué de sens, voué à la destruction et à la merci d’hommes de mauvaise volonté, s’inscrit encore aujourd’hui dans les imaginaires collectifs : l’Apocalypse est, pour la majorité, une fin du monde destructrice, causée par la bêtise des hommes, où il n’y a plus de délivrance. Les artistes actuels que nous avons évoqués, qui s’attachent à une représentation de l’Apocalypse biblique, renouvellent la définition pessimiste et limitée de l’Apocalypse que la société a retenue. Ils ont donc comme mission de transformer la vision tragique de cet épisode final, en une épopée complexe et riche, afin de redonner l’espoir aux spectateurs.
Croyants ou non, connaisseurs du texte de Saint-Jean ou pas, nous voyageons à travers une représentation optimiste et sophistiquée de celui-ci, qui nous fait voir vers l’avenir, et où il est toujours possible de s’élever et non plus de subir. C’est donc bien cette Apocalypse qu’il est nécessaire de mettre en avant ! 

« La nuit aura disparu, ils n’auront plus besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, parce que le Seigneur Dieu les illuminera ; ils règneront pour les siècles des siècles. » (9)

 

Lisa Laroche
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Notes

(1) Frères de Limbourg : enlumineurs français ayant vécu au 14ème et 15ème siècles, et ayant représenté certains passages de l’Apocalypse de Saint-Jean dans le livre Les Très Riches Heures du duc de Berry, commandé par le duc de Berry en 1410-1411.
(2) Hubert et Jan Van Eyck : frères belges ayant vécu pendant le 15ème siècle, ils peignirent un polyptyque peint sur bois intitulé l’Adoration de l’Agneau mystique (1432) représentant les codes de l’Apocalypse de Saint-Jean.
(3) Georg Meinstermann : peintre allemand (1911-1990) qui réalisa une peinture murale dans l’église berlinoise Maria-Regina-Martyrum représentant les codes de l’Apocalypse.
(4) Domínikos Theotokópoulos, dit Le Greco : peintre d’origine grecque qui exerça en Espagne (1541-1614) dont les œuvres d’inspiration chrétienne représentèrent des passages de l’Apocalypse de Saint-Jean.
(5) Propos recueillis dans la brochure officielle de l’exposition française de l’œuvre, organisée dans la cathédrale de Lille en 2021
(6) Ibid.
(7) La Tapisserie Apocalypse du château d’Angers, ou Apocalypse de Louis Ier d’Anjou, est la plus grande tapisserie médiévale conservée. Inscrite au patrimoine de l’UNESCO, elle est commandée en 1375 par le duc Louis Ier d’Anjou, et est composée à l’origine de six grandes pièces textiles de vingt-trois mètres de long et six mètres de haut.
(8) Caïn ou Hitler en Enfer, peinture de 1944, mettant le dictateur nazi en parallèle avec le premier meurtrier de l’humanité.

Bibliographie et sources utilisées :

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