L’Apocalypse, entre imaginaire et vérité
C’est entre 1939 et 1941 que le compositeur Jean Françaix (1912-1997) a conçu ce qui allait devenir son chef-d’œuvre : « L’Apocalypse selon saint Jean ». L’évocation des terribles catastrophes, décrites dans le dernier livre de la Bible, entrait évidemment en écho avec les non moins terribles évènements de la guerre mondiale qui commençait. Pourtant, l’Apocalypse de saint Jean n’est pas que l’annonce d’une fin du monde dramatique et définitive, mais la révélation, le dévoilement (c’est le sens du mot apocalypse) d’un monde nouveau dans lequel nous fait entrer le musicien.
L’affrontement entre le monde « infernal » et le monde « céleste » est matérialisé par deux orchestres : l’enfer dans la fosse, le ciel sur la scène. Le compositeur a choisi lui-même les épisodes qu’il a développés, inspiré naturellement par la vigueur des images et des fléaux qui tombent sur le monde.
Tout ce déchaînement d’éclats et de violences sonores se conclut sur la contemplation de la Jérusalem céleste chantée sur un choral aux accents liturgiques, transfiguré par la tonalité brillante et transparente de do majeur.
Voici quelques repères pour aider l’audition de cette fresque sonore pour chœur, quatre solistes et deux orchestres. Chaque numéro correspond au minutage de l’enregistrement, les références au texte de l’Apocalypse sont données entre parenthèses.
Le déroulement de l’Apocalypse de Jean Françaix
OUVERTURE
L’œuvre s’ouvre sur un longue et immobile tenue des cordes et une cellule obstinée de harpe sur les mots : « Il est, il était, il vient. »
PREMIERE PARTIE
1(29) : « Cette révélation, il l’a fait connaître à son serviteur Jean par l’envoi de son ange » (Ap 1,1) Solo de basse.
6(30) : « Devant le Trône, il y a comme une mer aussi transparente que du cristal. Au milieu, autour du Trône, quatre Vivants. » (Ap 4, 6-7)
8(25) : « Qui donc est digne d’ouvrir le Livre et d’en briser les sceaux. » (Ap 5,2) Orchestre céleste et chœurs (ténors et basses).
12(27) : « J’ai vu un Agneau debout, comme égorgé… Il s’avança, prit le Livre. » (Ap 5,6)
Chœur sopranes et alti, affrontement lumière ténèbres (consonances/dissonances).
15(40) : « Ils chantaient ce cantique nouveau : tu es digne de prendre le Livre et d’en ouvrir les sceaux. » (Apo 6,9)
18(13) : « Quand il ouvrit le sixième sceau, il y eut un grand tremblement de terre. » (Ap 6,12)
22(36) : « Quand il ouvrit le septième sceau, il y eut dans le ciel un silence d’environ une demi-heure. » (Ap 8,1) Marche vers la sérénité confiante.
DEUXIEME PARTIE
23(35) : « Puis les sept anges qui avaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner. » (Ap 8,6) Cette partie est la plus évocatrice d’images.
25(21) : « Le premier sonna de la trompette, il y eut de la grêle et du feu. » (Ap 8,7) Images évoquées par le chœur.
26(05) : « J’entendis un aigle qui volait en plein ciel, disant d’une voix forte : Malheur ! Malheur ! » Ap 8,13)
26(32) : « Le cinquième ange sonna de la trompette, et j’ai vu une étoile qui était tombée du ciel sur la terre : c’est à elle que fut donnée la clé du puits de l’abîme. » (Ap 9,1)
27(58) : « Et de la fumée sortirent vers la terre des sauterelles. » Ap 9,3) cordes pincées, croches en mode piqué, par l’orchestre infernal.
29(52) : « Alors furent libérés les quatre anges qui étaient prêts pour cette heure, afin de tuer le tiers de l’humanité. » (Ap 9,15)
31(08) : « Et je donnerai à mes deux témoins de prophétiser, vêtus de toile à sac, pendant mille deux cent soixante jours. » (Ap 11,3) Rupture de ton, après les épisodes d’angoisse, retour au récitatif et à la sérénité.
TROISIEME PARTIE
39(46) : « Un grand signe parut dans le ciel : une Femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds. » (Ap 12,1) : soprane et basse, affrontement des deux orchestres.
41(53) : « Il y eut alors un combat dans le ciel : Michel, avec ses anges, dut combattre le dragon. » (Ap 12,7)
42(53) : « J’ai vu monter de la mer une Bête ayant dix cornes et sept têtes. » (Ap 13,1) Musique dissonante par les quatre solistes accompagnés par des arpèges de guitare.
44(56) : « J’ai vu monter de la mer une autre Bête ; elle avait deux cornes comme un agneau. » (Ap 13,11) Bête terrifiante sur un rythme de jazz.
4655 : « J’ai vu une femme assise sur une bête écarlate qui était couverte de noms blasphématoires. » (Ap 17,3) Image de la Babylone diabolique sur une musique de cabaret avec mandoline et accordéon.
50(35) : « J’ai u des trônes : à ceux qui vinrent y siéger fut donné le pouvoir de juger. » (Ap 20,4) Orchestre discret, chœur bouche fermée.
53(33) : « Quand les mille ans seront arrivés à leur terme, Satan sera relâché de sa prison : il sortira pour égarer les gens des nations. » (Ap 20,7-8)
56(15) : « Alors j’ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre s’en étaient allés… Et la Ville sainte, la Jérusalem nouvelle, je l’ai vue qui descendait du ciel. » (Ap 21, 1-2) Lumière conclusive sur le choral en do majeur.
EPILOGUE
« Il est, il était, il vient » en écho sur la même musique que celle de l’ouverture.
La musique, révélation, appropriation ?
Jean Françaix a cherché dans ce qu’on peut appeler cette symphonie avec chœurs à concilier une juxtaposition d’épisodes fortement contrastés et une architecture musicale solide, comme se présente, au fond, l’Apocalypse : au-delà des images fortes, c’est le chemin vers la lumière depuis nos ténèbres qu’il faut percevoir.
Le compositeur précise le sens de sa recherche par cette belle image : « Il y a beaucoup de notes, mais la pensée générale reste claire et j’ai soigneusement compté les gouttes de cette pluie. »
L’Apocalypse est le message « d’une espérance lucide, poussant drue sur un ciel de conflits et une terre labourée d’affrontements. Une espérance fondée sur la fidélité à Dieu, maître de l’avenir. » (Cahier Evangile n° 11, 1975) Tout cela n’est-il pas de tous les temps ?