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Pascal Convert. Tant de mystère dans tant d’éclat

Contemplant la Cristallisation (fig.1) de Pascal Convert, que je nommerais volontiers Christallisation tant les métamorphoses du verre s’ordonnent ici en une véritable transsubstantiation, je crois entendre Mallarmé s’exclamer, devant les toiles de Gauguin, « il est extraordinaire qu’on puisse mettre tant de mystère dans tant d’éclat. » Car ce verre brillant de mille feux, faussement transparent, exprime autant par ses brisures et ses éclats que par son rayonnement lumineux. Avec l’aide d’Olivier Juteau, Pascal Convert a porté l’ancienne statue en bois jusqu’à 880 degrés et l’a entourée de pâte de verre pour que le verre se cristallise, en même temps que le bois se transforme en charbon, en poussière. Dans l'œuvre réalisée, le bois reste là dans sa disparition même, comme la figure du Christ atteste de sa divinité autant que de son humanité, toutes deux présentes pareillement, et pourtant rationnellement impossibles dans leur jonction même. Il reste à voir un visage, un corps, une souffrance, puissants dans leur faiblesse et leur résistance.
Publié le 19 février 2025
Écrit par Paul-Louis Rinuy
(fig.1) Cristallisation n°3 2014 (Détail) Verre, Maître verrier Olivier Juteau – église Saint-Eustache, Paris , Don de la Fondation Antoine de Galbert©Pascal Convert

 

(fig.2) Pietà du Kosovo, 2000, Cire, résine et cuivre, 224 x 278 x 40 cm, Collection Mudam Luxembourg ©Pascal Convert

Dès le Bas-relief (fig.2) réalisé en 2000 d’après la photographie d’une mère veillant son enfant mort –Veillée funèbre au Kosovo de Georges Mérillon –  Pascal Convert réussit à  transformer une image en mystère. Il fait de ce cliché photographique une sculpture en creux, qui   produit  un effet d’ouverture sensible  en déréalisant les référents. Jusque dans le vide, Pascal Convert  met en valeur l’attitude expressive    des corps souffrants. La réserve et le  dépouillement de  la sculpture suscitent une émotion plus ouverte   que la photographie dont elle émane : l’artiste universalise une scène d’histoire, tout en lui rendant justice.

(fig.3) Panoramique de Bâmiyân (2017) au Louvre Lens (2021). Premier plan Gudéa, 2120 avant J.-C ,.©Pascal Convert

Je pense aussi à l’extraordinaire travail sur les Bouddhas de Bamyian, mutilés  en 2001 par les talibans, à l’aventure  menée en Afghanistan pour   les  reconstituer  en film et en 3D. Il s’agissait de   fabriquer « l’empreinte photographique » de cet ensemble monumental et de   témoigner ainsi de sa beauté  ancienne d’il y a 1600 ans et  de la violence de sa destruction  contemporaine. Ce projet, non retenu pour le  Pavillon français de la Biennale de Venise de 2016 mais exposé au Musée Guimet puis au Louvre Lens en 2021(fig.3), constitue le point d’orgue d’une ambition plastique multiforme qui donne la valeur cardinale, à  l’homme, à sa capacité à résister à  tout ce qui le nie et  blesse l’humanité, dans sa splendeur, dans  sa fragilité.

(fig.4) Les trois anges de l’abbatiale de Saint-Gildas-des-bois, verre, maitre verrier Olivier Juteau,  2011, commande publique du Ministère de la culture, ©Pascal Convert

Mais c’est surtout dans le verre que Pascal Convert incarne  ses  recherches, inquiètes et  bienveillantes à la fois.  En 2011 les vitraux pour l’Abbatiale de Saint-Gildas-des-Bois (Loire-Atlantique) donnent de vraies visages et des présences  à des  figures de l’ombre, en transposant  dans l’épaisseur du verre des photographies médicales d’enfants  aliénés, soignés dans les locaux de l’abbaye à la fin du XIXe siècle. Ici (fig. 4)  ce sont trois personnes qui nous contemplent frontalement, les yeux douloureusement vides. Nulle couleur dans cette plaque de verre transparente. Nulle vie, nulle expression dans ces regards  et visages absents. Mais ils  sont là tous les trois, anges venus de je ne sais où, pour je ne sais quoi. Force poignante de  ces figures, étrangeté de ces représentations devenues présences, dans leur stature singulièrement fragile.  La  curieuse alliance du « dur et du fragile » que condense le verre, selon les mots de Francis Ponge se noue dans un compagnonnage avec le maitre verrier Alain Juteau. La fragilité du verre résonne comme un appel silencieux et impérieux : regarde-moi, même si je ne dis rien ! Écoute-moi parce que je ne dis rien ! Prends soin de ce que je suis, de ce que j’annonce ! 

(fig.5) Projet de vasque baptismale, 2024,  image de synthèse Maître Verrier Olivier Juteau, Coordination technique CHR Art Maker ©Pascal Convert

Tout récemment, je songe évidemment au projet non retenu  d’aménagement pour Notre Dame  de Paris, à cette vasque baptismale (fig. 5), ruisselante de lumière et de vie sans être éclatante ni triomphante, qui devait ouvrir le chemin vers l’autel et l’ambon, puis vers la croix de Marc Couturier.  Pascal Convert condense en un même surgissement les ténèbres traversées et l’avènement de la lumière, jaillit de l’ombre même de l’abîme. Comment l’éclat de cette lumière  se nourrit-il des mille  brisures, toujours possibles, du verre ? Et par quels mystères la  dureté du verre fait-elle écho à ce cœur de chair que nous sommes appelés à devenir ? 

Le verre à la singularité d’être une matière qui n’existe pas à l’état naturel, il est toujours  fabriqué  de main d’homme. Ainsi révèle-t-il l’humanité  en  son éblouissante    ingéniosité, en sa fragilité essentielle. La singularité esthétique des créations de Pascal Convert incarne à mes yeux l’expérience de l’homme, pluridimensionnel, à jamais  brisé et  toujours  ressuscité. En ses contradictions qui le fondent, tel  Jésus désigné par Syméon comme le « signe de contradiction » (Luc 2, 35) par excellence. 

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