Lors d’un conseil économique et paroissial en 2023, Monseigneur Bruno Lefèvre-Pontalis, curé de l’église Saint François-Xavier des Missions Etrangères à Paris, a annoncé le retour de cette œuvre remarquable. Exposé dans la sacristie des prêtres fermée au public, ce tableau représente une des créations majeures de Lubin Baugin, peintre réputé du XVIIe siècle pour ces natures mortes. Ce retour s’inscrit dans le cadre des travaux de rénovation et de restauration de Notre Dame de Paris, qui ont mis en lumière les nombreuses chapelles et ornements historiques de la cathédrale.
Un trésor méconnu et une histoire mouvementée
Le tableau de Baugin, autrefois accroché au-dessus de l’autel de la chapelle Sainte Geneviève, a connu une histoire riche en péripéties. Pendant la Révolution française, en 1798, Alexandre Lenoir, créateur du Musée des Monuments Français, le vend à l’administration, illustrant ainsi les déplacements d’œuvres suite à la nationalisation des biens du clergé.
La chapelle Sainte Geneviève
La chapelle se trouve dans le collatéral sud renommé “Allée de la Pentecôte” et dans laquelle on trouve 7 chapelles qui portent des noms de saints parisiens associés aux dons de l’Esprit. Sainte Geneviève représente le don de l’esprit de force car elle a sauvé Paris de l’invasion des huns conduite par Attila et de l’épidémie de choléra. Parmi les “Veni Creator Spiritus”, on se souvient qu’il y a sept dons de l’esprit: don de sagesse, d’intelligence, de conseil, de force, de connaissance, de piété et de crainte de Dieu.
En 1812, le tableau est déposé à l’église Saint Roch à Paris par le Musée Napoléon. Plus tard Eugène Viollet-le-Duc disperse plusieurs œuvres de Notre Dame jugées encombrantes, y compris les célèbres Mays, offertes chaque moi de mai par les orfèvres parisiens. Finalement l’œuvre de Baugin se retrouve à une date inconnue dans l’église Saint François-Xavier.
Le style et l’iconographie de Lubin Baugin
Lubin Baugin, membre de la confrérie des peintres parisiens est reconnu pour ses natures mortes et ses œuvres de dévotion. Après son retour d’Italie en 1641, il se spécialise dans les sujets religieux, influencé par les maîtres italiens tels que Le Corrège, Le Parmesan et Raphaël. Ses commandes incluent des tableaux, retables et décorations pour des édifices religieux, dont Notre Dame de Paris.
Dans La Vierge à l’Enfant avec Saint Jean-Baptiste et Sainte Geneviève, l’agencement des figures reflète une profonde réflexion théologique et la proximité des figures est bien trop ancrée dans la tradition chrétienne pour être ignorée par Baugin. Les trois têtes alignées en diagonale symbolisent une connexion spirituelle entre la Vierge, Jésus et Jean-Baptiste, tandis que Sainte Geneviève, patronne de Paris, veille sur la scène. La composition triangulaire évoque aussi la Sainte Trinité et les regards des personnages soulignent la quête de la protection divine. On s’extasie aussi sur cette atmosphère délicate de huis-clos au bord d’un temple imaginaire et non comme le souhaitent les Evangiles au désert. La peinture fine souligne la pudeur de sentiments entre Saint Jean-Baptiste (celui qui permet théologiquement d’accéder à Jésus) et Sainte Geneviève thaumaturge. Saint Jean-Baptiste est une figure majeure du christianisme qui reconnaît Jésus son disciple comme plus grand que lui. Quand à Sainte Geneviève, elle est représentée vêtue d’une robe comme celle que portaient les jeunes filles nobles de la bonne société italienne, tenant à la main un cierge.
Une œuvre oubliée
Le fait marquant de l’histoire de ce tableau, c’est qu’il aura survécu à l’incendie tragique de la cathédrale en 2019 puisqu’il était conservé en un autre lieu. La restauration de cette peinture est un hommage à l’héritage spirituel et artistique de Paris, placé sous la protection de Sainte Geneviève depuis le XVIIe siècle.
Conclusion
Le tableau illustre à la fois le génie artistique de Lubin Baugin et son aptitude à allier la beauté visuelle à une profondeur symbolique. L’utilisation subtile des couleurs telles que le bleu et le rose pour les drapés de la Vierge, témoigne de l’influence italienne et du raffinement de l’art français du XVIIe siècle. En 1651, un an après cette création, Baugin rejoint la jeune Académie Royale, bien que son parcours y soit interrompu par des divergences de point de vue. A sa mort, il tombera dans l’oubli ; sa manière de peindre n’étant pas appréciée par le classicisme triomphant de la fin du XVIIe siècle. Il faudra attendre, l’article écrit par l’historien de l’art Jacques Thuillier, intitulé : Lubin Baugin, –paru dans la revue l’Oeil en 1963, pour obtenir enfin la pleine reconnaissance de l’œuvre Baugin.