Glimpse

Charlotte Simonnet : Glimpse, église Saint-Eustache du 8 octobre au 15 décembre 2024
Cette exposition, organisée à l’église Saint-Eustache dans le cadre du Prix Rubis mécénat décerné à un étudiant de l’École des Beaux-Arts de Paris, présente le travail de Charlotte Simonnet. L’installation principale qui rend hommage à la notion de communauté s’accompagne d’une démarche auprès des paroissiens et des visiteurs pour réaliser des ex-votos. Cet article est aussi l’occasion d’ouvrir une réflexion sur cette pratique, son histoire et le sens qu’elle peut avoir dans l’église.
Publié le 22 octobre 2024
Écrit par Françoise Paviot Co-directrice de la galerie Françoise Paviot
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Françoise PaviotDirectrice de la Galerie Françoise Paviot (Paris) et chargée de la programmation artistique à l’église Saint-Eustache (Paris), contributrice régulière de la rubrique Réflexions / Autour de l’image

Charlotte Simonet, Esquisse 1

Charlotte Simonnet est la quatrième lauréate du Prix créé par Rubis Mécénat mené avec les Beaux-Arts de Paris et l’église Saint-Eustache. Ce prix propose aux artistes émergents de l’Ecole des Beaux-Arts de créer une installation spécifique pour Saint-Eustache. Un appel à projet auprès des étudiants a été lancé en mars dernier. Une quinzaine d’étudiants ont répondu à cet appel. La lauréate a été choisie par un jury qui réunissait des membres du Collège visuel de Saint-Eustache et des Beaux Arts de Paris. C’est Stéphanie Pécourt, directrice du Centre Wallonie-Bruxelles qui, cette année, en est la commissaire. Stéphanie Pécourt était également une des trois commissaires de Crush, un événement qui a eu lieu aux Beaux arts de Paris en janvier dernier (1). Elle présente ainsi l’exposition :

« Avec Glimpse, Charlotte Simonnet rend hommage à la notion de communauté qui imprègne l’église Saint-Eustache. En déclinant et « repotentialisant » la forme de la corde, l’artiste évoque le lien tissé entre l’église et ses résident·es  et fait la part belle au travail des matériaux et à leur relation avec l’architecture de l’église. Cette installation rhizomique envahit l’espace de l’église entre deux colonnes du bas-côté et cinq chapelles, selon un principe de dissémination très présent dans le travail de l’artiste.

L’installation principale, composée de cordes réalisées en verre de vitrail et fer à béton, lie entre elles des colonnes de l’église tandis que des plaques en cuivre frappé sont disséminées au cœur des chapelles. Évoquant la pratique des ex-voto, ces plaques de cuivre martelées sont le fruit d’une collecte d’objets réalisée par l’artiste auprès des paroissien·nes et visiteur·euses occasionnel·les du lieu et laissent apercevoir la contre forme des objets donnés, dispersées ensuite dans l’église, telles des plantes épiphytes (organismes qui poussent en se servant d’autres plantes comme support). Elles seront ensuite rendues aux donateur·rices une fois l’exposition finie, liant ainsi l’artiste et les paroissien·nes avec comme point de rencontre, Saint-Eustache, le lieu qui les accueille. (2)

Charlotte Simonnet , Ex-votos

Cette installation est aussi l’occasion est d’évoquer le principe des ex-voto qui sembleraient avoir peu à peu disparu de nos églises et sur lesquels cet artiste porte un regard nouveau. Le terme « ex-voto » est une contraction de l’expression latine « ex voto suscepto » : « selon le vœu fait ». Son origine remonte à plusieurs siècles, mais pour l’ère chrétienne, représente un symbole de foi et de reconnaissance. Le marin ou le soldat en grand danger se vouait généralement à la Vierge Marie, voire un Saint de son village et lui offrait à son retour, en accomplissement de son vœu, une réplique de bateau, un diorama, une peinture, une armure (3), voire une pièce du navire, du gréement ou tout simplement un cordage ou un bout placé qui était placé dans un lieu vénéré. Certains de ces ex-voto concentrent tout un récit illustré à la fois par une peinture et un texte qui en raconte les circonstances.

Il peut aussi être un don afin de solliciter la grâce ou la protection d’un saint ou d’une sainte : il prend dans ce cas l’appellation d’ex-voto propitiatoire. Il pourra également être remis par simple dévotion, ex-voto gratulatoire ou ne pas attendre quoi que ce soit en retour : ce sera alors un ex-voto surérogatoire. (4)

Certains ex-voto sont des œuvres d’artistes célèbres comme la toile de Philippe de Champaigne conservée au Musée du Louvre. Réalisée en 1662, elle représente  La Mère Catherine-Agnès Arnaul et la sœur Catherine de Sainte Suzanne de Champaigne. Le peintre l’a réalisée pour le couvent de Port-Royal des Champs, en remerciement du miracle rendant à sa fille l’usage de ses jambes.

Philippe de Champaigne – Ex voto de 1662

D’autres prennent des proportions impressionnantes comme l’explique la récente exposition du Musée des Beaux-Arts de Draguignan consacrée au « Voeu de Marguerite Maeght » qui a transformé le décor intérieur de la chapelle de Sainte-Roseline, située aux Arcs-sur-Argens. Cet édifice religieux du XIe siècle, classé monument historique en 1980, a fait l’objet d’une commande passée par Marguerite Maeght à quatre artistes contemporains : Raoul Ubac, Jean Bazaine, Diego Giacometti et Marc Chagall en remerciement de la naissance de son unique petit-fils. L’exposition a reconstitué la genèse de cette commande privée et singulière, pensée comme un acte et un objet de dévotion. (5)

L’ex-voto de Christophe Mabillon dans l’église de la Trinité à Hossegor – c Jeff RUIZ Photographies
Gros plan sur l’image conçue par Christophe Mabillon c Jeff RUIZ Photographies

Enfin, tout récemment, et signalé par le Père Gautier Mornas : l’ex-voto installé depuis le 12 novembre dans l’église de la Trinité de Soorts-Hossegor est à l’image de ce que font les gens de mer avec leurs bateaux dans les nefs des églises : il s’agit d’une forme de reconnaissance d’une protection divine. C’est la première fois qu’une planche de surf est offerte et bénie au cours d’une messe dans une église de France. Christophe Mabillon a créé, sur une planche fabriquée par Paul Duvignau, une interprétation artistique du Saint-Suaire de Turin qui relie l’ancien à la technique moderne. Le dessin est composé de milliers d’éléments dont l’épaisseur s’intensifie ou s’atténue en fonction du contraste en référence à l’empreinte du Saint-Suaire.

Charlotte Simonnet souhaite également, et à sa manière, interpréter l’idée du don, une valeur chrétienne, mais aussi un acte qui peut accompagner un échange dans toute sa gratuité.

« J’ai été touchée par la nature des ex-voto, comme un contrat d’un échange entre Dieu et le/la fidèle » explique Charlotte Simonnet. « Ceci m’a rappelé au concept de don et de contre-don de Marcel Mauss (6). Selon lui, ce qui implique le fait de rendre au donateur serait « l’esprit des choses ». Il entend par là que les objets portent en eux quelque chose du donateur et qu’ils ne cessent jamais d’appartenir à celui-ci : « présenter quelque chose à quelqu’un, c’est présenter quelque chose de soi ». C’est dans cette idée de donner et de rendre que je souhaite, une fois l’exposition finie, rendre à chaque personne ayant participé la plaque de cuivre comportant le vide de l’objet qu’il ou elle a donné. Dans l’idée que j’en ai, cette pièce existe et ne fait sens que dans le lieu qu’est Saint-Eustache, et il me semble logique de rendre ces objets par gratitude envers le don effectué. Comme l’utilisation d’ex-voto, le don de ces objets devient un symbole d’un lien, d’une connexion. L’œuvre devient alors liée aux paroissiens et paroissiennes, et est un point de rencontre, d’échange et d’entrelacement où seule l’absence d’objet subsiste. »

Pour Marcel Mauss, la morale du don est éternelle et universelle, et les sociétés marchandes ne doivent pas trop l’oublier…

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