Chanter à Notre-Dame (2/2)

Nous poursuivons notre rencontre avec quelques musiciens qui ont traversé au fil du temps la vie liturgique de la cathédrale de Paris et y ont laissé quelques pages encore chantées aujourd’hui. En 1651 naissait à Paris Jean-François Lalouette, dont le nom pourtant prédestiné à une carrière de musicien est un peu oublié : peu de publications, peu d’enregistrements, et pourtant…
Publié le 27 mars 2015
Écrit par Emmanuel Bellanger
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Après des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

Jean-François Lalouette (1651-1728), compositeur français, élève puis assitant de Lully, maître de chapelle à Notre-Dame de Paris de 1700 à 1716, estampe par J. Tardieu, 1728 © Gallica, Bnf

On peut lire sur un journal de l’époque la notice nécrologique suivante :

« Bénéficier, Maître de musique de l’église Saint-Germain l’Auxerrois et ensuite de l’église métropolitaine de Paris où il a été inhumé, étant mort le 31 août 1728 âgé d’environ 75 ans. »

Ainsi est résumé en quelques mots le parcours artistique d’un homme qui eut en son temps un certain succès : formé par Jean-Baptiste Lully, il se tourna, après quelques œuvres destinées à la scène, vers le sanctuaire où il vécut l’essentiel de sa carrière couronnée par sa nomination au poste envié de Maître de musique de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Voici un « petit » motet pour une voix soliste et accompagnement, opposé à l’époque de Lalouette aux « grands » motets pour solistes et chœurs, bien représentatif de ce qui convenait à l’autel au temps de Louis XIV : le motet au Saint Sacrement « Ô mysterium inefabile ».

Ô mysterium inefabile !
          Ô mystère insondable ! 
Ô caritatis sacramentum admirabile !
          Ô admirable sacrement de charité !
Ô bonitatis prodigium !
          Ô prodige de bonté !
Ô pietatis miraculum !
          Ô miracle de piété !
Ô amor ! Ô pietas !
          Ô amour ! Ô piété !
Ô epularum jucunditas !
         Ô agrément de la nourriture !
Ô convivarum felicitas !
          Ô bonheur des convives !

Dans l’esprit de la Contre-Réforme du XVIIème siècle, cette musique de Jean-François Lalouette s’appuie sur une manière de soupir d’adoration et d’admiration que traduisent les interjections « Ô » qui lancent chaque vers. C’est bien sur ce phonème que se développe chaque vers, relancé à chaque fois sur « Ô » après une cadence qui organise la page en une architecture musicale.

On sait combien le regard est sollicité dans la liturgie du siècle : le Christ se rend présent sous l’apparence visible de l’hostie exposée. Le chant Ô mysterium inefabile pourrait se décrire comme un chant de l’immobilité, un chant du regard davantage que de l’écoute, pourrait-on dire…

Au fond, qu’importent les paroles si elles ne trouvent pas vie dans la contemplation immobile mais nourrie de vie intérieure. Jean-François Lalouette, dans la beauté simple mais tellement juste de ces « Ô » a bien saisi la fonction du chant dans le rituel du salut du Saint Sacrement : arrêter toute forme de vie extérieure, fermer les oreilles au monde profane, orienter tout son être vers la Présence transcendante du Seigneur.

Ce bref motet est en trois parties, la troisième étant la reprise de la première.

 

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