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Nouveaux croyants, nouveaux lieux de culte. L’exemple du « nouveau Vincennes » à la fin du 19ème siècle.

Dans la paroisse Saint-Louis de Vincennes, nous avons été particulièrement affectés par la prise d’otages sanglante du 9 janvier 2015. Dans le sillage de tous les attentats commis durant cette terrible semaine, une question a été remise sur le devant de la scène politique française : celle de la construction de nouveaux lieux de culte pour de nouveaux habitants du territoire national.
Publié le 23 février 2015

L’histoire des deux lieux de culte, l’église Saint-Louis et la synagogue de Vincennes – Saint-Mandé, qui voisinent depuis plus d’un siècle, rue Céline Robert, à Vincennes, tout près de l’endroit d’un des drames, peut apporter des éclairages intéressants pour les discussions qui demain, peut-être, vont s’ouvrir de nouveau au Parlement et dans l’opinion publique.

Une actualité dramatique

Le 9 janvier 2015, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab et François-Michel Saada ont été assassinés dans l’hypermarché cacher de la porte de Vincennes.
Situé en bordure du boulevard périphérique, juste à la limite entre les villes de Paris et Saint-Mandé, le lieu de ce crime atroce est tout proche de l’église Saint-Louis.
Depuis l’attentat, la mémoire des victimes et celle du drame sont présentes dans l’esprit de tous les habitants du quartier, et aussi lors de chacun des offices paroissiaux.

L’hypermarché cacher (à gauche) et le campanile de l’église Saint-Louis (à droite)

L’église et la synagogue plus proches que jamais

Une autre raison ajoute au sentiment de proximité devenu soudain plus palpable, quelles que soient les convictions ou les croyances religieuses.
En effet, les lecteurs de ce blog connaissent bien l’église Saint-Louis de Vincennes. Mais nous n’avons encore jamais évoqué ici la synagogue située au n°30 de la rue Céline Robert à Vincennes, et relevant de l’association du consistoire israélite de Paris.

Or les deux édifices ne peuvent être plus proches l’un de l’autre : l’accès aux locaux paroissiaux s’effectue par le n° 23 de la rue Céline Robert, presque vis-à-vis de la synagogue. Et le n° 25 abrite le centre culturel Hatikva qui accueille de nombreuses réunions et fêtes de la communauté israélite.

La synagogue au n° 30 de la rue Céline Robert

Un même enracinement dans l’essor urbain de la seconde moitié du XIXe siècle

Le voisinage de ces deux lieux de prière et de rassemblement, l’église Saint-Louis et la synagogue de Vincennes – Saint-Mandé, n’est pas complètement l’effet du hasard. Il s’inscrit dans l’histoire du quartier.
En effet, ces deux édifices, toujours pleins de vie, sont les enfants d’une même époque : les cinquante années qui ont suivi l’instauration définitive de la République en France, après la proclamation de la troisième République en 1870 et la disparition de l’opposition monarchiste en 1879.

Ils sont aussi les témoins de l’exode rural, de la perte de l’Alsace et de la Moselle qui, amplifiant une évolution amorcée depuis le début du XIXe siècle, ont entraîné des mouvements de population massifs en direction de Paris. Alors que le territoire parisien comptait 630 000 habitants en 1802, ils étaient 3 300 000 en 1898.

La banlieue parisienne fut, directement ou indirectement, le principal réceptacle de cet afflux démographique. Et c’est ainsi que l’on vit s’urbaniser les terres jusqu’alors entièrement agricoles situées à proximité de l’enceinte fortifiée entourant Paris, à l’ouest du village de Vincennes : 1 seule maison en 1829, 85 en 1861 (700 habitants), 210 en 1891 (3 120 habitants) et 267 en 1911 (4 700 habitants). Le quartier dit de la Prévoyance était né !

C’est à cette époque que le chemin des laitières descendant chaque jour de Montreuil pour livrer les parisiens devint la rue des Laitières. La coopérative d’artisans et d’ouvriers parisiens La Prévoyance donna son nom à la rue qu’elle fit ouvrir, entre la rue de Lagny et l’actuelle avenue de Paris, pour desservir les maisons construites pour ses membres (et la rue donna son nom au quartier).
Hors le cas de cette coopérative, l’urbanisation fut principalement réalisée par des particuliers, sous forme de lots aménagés en vue de la construction puis cédés à d’autres particuliers qui firent construire les maisons ou immeubles, le plus souvent à usage locatif. Les noms des propriétaires d’origine ont encore été gardés pour certaines rues : Renon, Massue, Viteau, etc.

Plan du quartier de la Prévoyance et des quartiers voisins
(La rue de la Prévoyance, non représentée sur ce plan, est parallèle à la rue Céline Robert)

Une histoire commune

C’est aux enfants de Pauline Aglaé Faÿs, veuve de Jean-Louis Viteau, décédée en 1892, que s’adressèrent successivement le consistoire israélite de Paris puis l’archevêché de Paris pour acheter des terrains dans le lotissement de 70 parcelles qui avait été aménagé dès 1895 au Nord de l’avenue de Paris. Après avoir pris à bail pendant quatre ans les lots qu’il souhaitait acquérir, le consistoire devint propriétaire en 1907. La synagogue fut mise en chantier dès 1906, et inaugurée le 5 septembre 1907 (sur l’histoire de l’édifice et de la communauté, lire La synagogue de Vincennes – Saint-Mandé, Dominique Jarrassé, ISBN 978-2-7466-2441-2, 2010).

Pour sa part, l’archevêché de Paris suivit un parcours analogue à celui du consistoire, mais avec des décalages chronologiques qui ne cessèrent pas de s’accentuer : les lots destinés à l’implantation de l’église furent, eux aussi, loués dans un premier temps, en 1911. L’acquisition intervint dès 1912, et le concours d’architectes pour la construction de l’église fut immédiatement lancé. Mais les premiers coups de pioche ne furent donnés qu’en juin 1914 et, compte-tenu de l’interruption du chantier pendant la guerre de 1914-1918, la consécration de l’église eut lieu seulement le 9 novembre 1924. Et le campanile qui parvient encore aujourd’hui à signaler l’église, malgré l’élévation des immeubles, ne fut achevé qu’en 1934.

 
Le campanile de l’église Saint-Louis.
Vu depuis le carrefour de la rue Massue et de la rue de la Prévoyance.

Les conséquences identiques de la Séparation des Églises et de l’État (9 décembre 1905)

Dans le livre que nous avons écrit, Paul Guillaumat et moi-même, sur l’histoire de la construction et de la décoration de l’église Saint-Louis (voir billet du 26 juin 2014), nous avons souligné les nombreuses tentatives effectuées, à partir de 1875, par le clergé local pour obtenir la construction d’un lieu de culte destiné aux nouveaux arrivants – qualifiés à juste titre d’habitants du nouveau Vincennes par la municipalité de l’époque. Mais ces tentatives se heurtèrent à la volonté des gouvernements de l’époque d’utiliser le Concordat de 1801-1802 pour empêcher toute construction de nouveaux édifices religieux dans l’agglomération parisienne.

De manière paradoxale, c’est la loi de Séparation du 9 décembre 1905, adoptée dans un climat très hostile à l’Église catholique, qui permit de lever le verrou gouvernemental et de réaliser les projets attendus depuis de nombreuses années pour répondre aux besoins religieux des populations ayant afflué vers Paris.
Cependant, privée des crédits de l’État, et ne disposant pas elle-même des moyens de venir en aide à des habitants peu fortunés, l’Église ne put faire autrement que de s’appuyer sur les concours de riches mécènes. Par exemple, l’église Saint-Louis n’aurait probablement jamais vu le jour sans le concours d’enfants d’industriels vincennois, qui fournirent les fonds pour l’achat du terrain, et du comte et de la comtesse de Malval qui financèrent le gros-oeuvre.

De la même manière, Dominique Jarrassé relève que les afflux d’immigrés juifs, d’abord d’Alsace-Lorraine, puis d’Europe centrale et orientale, avaient fait naître, avant la fin du XIXe siècle, la volonté d’ouvrir de nouveaux lieux de culte, mais que ces projets durent attendre la loi de Séparation pour voir le jour.

Comme l’église Saint-Louis, mais avant elle, la synagogue de Vincennes – Saint-Mandé, enclavée dans un lotissement urbain en dehors des grands axes de circulation, faute d’avoir pu choisir plus tôt une meilleure solution, est donc le témoin d’une époque à la fois difficile et exaltante pour les religions. Comme l’église, la synagogue doit son existence à des financements extérieurs à la communauté, en l’occurrence ceux d’un étonnant personnage, Daniel Iffla (1825-1907), qui se faisait appeler Osiris.

Des enseignements pour aujourd’hui

Les évènements récents soulèvent avec une acuité dramatique la question de l’expression des croyances religieuses dans des sociétés marquées par de profonds bouleversements
A leur manière, l’église Saint-Louis et la synagogue de Vincennes – Saint-Mandé témoignent de la réponse qui a été apportée à cette question par la religion catholique et la religion juive, dans une période qui était aussi troublée que la nôtre, sinon plus.

La construction d’un lieu de culte n’est jamais un évènement éphémère. Elle engage l’avenir. Et elle enracine aussi les habitants dans leur territoire.

L’une et l’autre ont eu la conviction de devoir répondre à un besoin spirituel fondamental de populations soumises par ailleurs à des conditions matérielles souvent difficiles, précaires : le besoin de se rassembler pour prier Dieu. Les deux lieux de culte voisins, rue Céline Robert, attestent, un siècle plus tard, que cette ambition était raisonnable : le quartier s’est transformé, la société a changé, mais les habitants qui le souhaitent trouvent toujours ici une réponse à leurs attentes personnelles. La visibilité de l’église et de la synagogue, même imparfaite, est toujours aussi nécessaire aujourd’hui qu’hier.

Sans oublier les obstacles que l’archevêché et le consistoire israélite de Paris ont dû surmonter, on retiendra que la construction d’un lieu de culte n’est jamais un évènement éphémère. Elle engage l’avenir. Et elle enracine aussi les habitants dans leur territoire.
Cela, Henri Marret l’avait parfaitement exprimé en peignant les deux fresques qui entourent le porche de l’église Saint-Louis. Après leur toute récente restauration, elles délivrent aux passants, avec une fraîcheur incomparable, leur message d’accueil et de mémoire : « Souvenez-vous de vos pères / Qui vous ont prêché la parole de Dieu ».

Nos pères, ce sont Sainte Clothilde, St Saturnin, St Rémy, St Loup, St Vincent de Paul, St Denis, Ste Jeanne d’Arc, Ste Geneviève, St Martin, St Potin, Ste Blandine et beaucoup d’autres saints de notre pays, la France.

Fresque de Henri Marret – Porche de l’église Saint-Louis (côté droit)
[Souvenez-vous de vos pères] Qui vous ont prêché la parole de Dieu

Claude de Martel

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