A Saint-Louis de Vincennes, le fidèle, comme le visiteur, voient aujourd’hui un autel que la réforme liturgique du Concile Vatican II a placé au début du chœur, juste derrière les barrières de communion que Maurice Dhomme a décorées de ses céramiques chatoyantes.
Tous deux peuvent aussi voir, dans la splendeur de ses céramiques et de son tabernacle dû à Raymond Subes, l’autel initialement installé par les architectes au fond du chœur.
Pourtant peu de personnes savent aujourd’hui que le premier projet des architectes, Jacques Droz et Joseph Marrast, prévoyait que l’autel soit placé au milieu de la nef, sous la lanterne que portent les deux pa ires d’arcs en béton armé qui constituent la remarquable novation du plan des architectes. En fait, l’autel était alors placé à quelques mètres en avant (c’est à dire vers l’abside) du milieu géométrique de cette croisée des arcs.
Une petite peinture sur gouache, non signée et non datée, conservée dans les locaux paroissiaux, comme quelques plans des architectes, témoignent de ce plan initial qui fut soumis au jury du concours de décembre 1912, et obtint – à une voix près – l’unanimité des suffrages de ses membres.
Cette peinture permet, entre autres détails, de se rendre compte de l’emplacement très centré de l’autel, d’ailleurs surmonté d’un ciborium (superstructure qui met en valeur l’autel, point central de la célébration de l’eucharistie).
Malgré l’absence de documents écrits des architectes, qui permettraient de justifier ce choix d’un autel « centré », il est loisible de penser qu’ils ont voulu répondre au cahier des charges qui leur avait été donné, d’une église où les fidèles pourraient assister aux célébrations sans que leur vue de l’autel ne soit entravée par aucun pilier. Le concept architectural choisi, les possibilités de portée des grands arcs grâce au recours au béton armé, ouvraient en effet la porte à un autel centré, situé au point focal de la nef.
C’était alors une solution peu usitée, dont on ne connaissait que quelques exemples dans la chrétienté. Le plus connu, et sans conteste le plus prestigieux, est celui de Saint-Pierre de Rome, où l’autel est situé au centre de l’église, au-dessus du tombeau de l’apôtre Pierre. D’autres cas sont aussi signalés dans des églises des premiers temps de la chrétienté comme la basilique des Apôtres élevée à partir de 382 à Milan par l’évêque Ambroise, dans une église du VIème siècle en Syrie, ou dans l’église Sainte-Croix de Quimperlé.
Et pourtant ce choix n’a pas été retenu à Saint-Louis de Vincennes, sans qu’aucun document n’en donne la raison. Tout au plus quelques spécialistes de l’art chrétien du XXème siècle, notamment le père Régamey, et certains auteurs, font-ils allusion à cet abandon du projet d’autel centré.
Certains en rendent responsable « le refus des autorités ecclésiastiques », mais aucun écrit, aucune trace n’ont pu être apportés d’un tel « refus », notamment de l’archevêché de Paris, alors en charge des paroisses de la petite couronne de la capitale. Il y a en fait plus de témoignages sur l’abandon du projet d’autel centré, que sur les raisons qui l’ont motivé.
A posteriori, dans un article publié plus de quinze ans après, en 1928, le père Régamey revient sur cette question d’autel centré :
« Dans une église de plan central, beaucoup souhaitent de voir l’autel au centre. Mais cette disposition n’est pas dans les usages actuels de la liturgie et, plastiquement même, ne produirait pas d’effet. Elle ne réussit que si l’église est composée de deux édifices soudés. La juxtaposition de la rotonde-sanctuaire et de la nef, tant reprochée à Saint-Pierre de Rome ou au Val-de-Grâce, ne répond pas seulement à une nécessité de circulation et au commode groupement des fidèles, mais bien à une exigence de l’œil et de l’esprit. […] Et même s’il est beau de manifester le centre catholique de l’univers en dégageant sous un dôme qui le signale le tombeau du prince des apôtres […] il est également logique d’ouvrir largement dans l’église paroissiale de Vincennes, sur la vaste salle des fidèles, une abside relativement modeste, mais où convergent tous les regards ; et, outre qu’elle s’intègre parfaitement dans l’ensemble, par des lignes et des directions de l’église qui s’y poursuivent, une sorte d’équilibre satisfaisant s’établit entre l’espèce d’intégrité de cette salle, qui se suffit à elle-même, […] et la tendance des regards à se porter vers l’autel, centre d’intérêt visuel aussi bien que centre symbolique, qui est en dehors d’elle. C’est mieux qu’un équilibre, c’est, par le juste calcul des architectes, une synthèse. » (1)
Il fallait en effet choisir entre le « cœur » et la « tête », c’est-à-dire entre le centre géométrique de la nef et l’abside, pour en faire le point qui attire le regard du fidèle ou du visiteur. Ne pouvant choisir à la fois le cœur et la tête, qui se seraient mutuellement exclus, les architectes ont élu l’abside pour en faire le centre symbolique et aussi le centre d’intérêt visuel. D’autant plus que c’est La Glorification de saint Louis qui décore la paroi de l’abside et attire tous les regards.
Le même père Régamey, dans ses écrits, pèse par ailleurs les avantages et les inconvénients d’un autel centré. Du côté des premiers, il met en avant le fait que l’autel centré permet de mettre en gloire le lieu du sacrifice de la messe, qu’il offre aux fidèles une meilleure visibilité, donc une meilleure participation à la célébration, et enfin qu’il favorise une meilleur prise de conscience de la communauté des fidèles par eux-mêmes. Par contre, dit-il, le regard des fidèles peut alors dépasser le point central « au-delà de Dieu on regarde les hommes » ; d’autre part le prédicateur tourne le dos à une partie de l’assemblée ; il y voit aussi un risque de perte du caractère sacré du sanctuaire.
Il serait intéressant de voir si cette conception d’autel centré a été mise en œuvre depuis 1913 – date de l’abandon par Droz et Marrast de leur idée initiale. Que ce soit dans des églises antérieures ou postérieures à Vatican II, que ce soit en France ou ailleurs dans le monde.
De même, au-delà de ceux du père Régamey, les arguments en faveur du, ou opposés au principe d’un autel occupant le centre de l’église, méritent d’être évoqués.
Paul Guillaumat
1er mai 2013
(1) Père P.R Régamey, Saint-Louis de Vincennes, in Notes d’Art et d’archéologie, Janvier 1928.