Autant cette caractéristique semble normale pour ce qui regarde le concept architectural, autant elle ne s’impose pas d’emblée en ce qui concerne le décor et l’ameublement de l’église.
Que l’on songe à toutes ces églises dont la décoration est le fruit d’apports successifs, au cours des décennies, voire des siècles. Avec tout ce que cela comporte en termes de styles et d’époques différentes, sans porter toutefois de jugement sur la qualité des peintures, sculptures et autres objets qui sont venus, par strates successives, décorer les sanctuaires.
Cette accumulation est souvent le fait de donateurs qui souhaitent, par leur contribution, embellir l’église et témoigner de leur foi. Mais il arrive aussi que le clergé desservant, par manque d’intérêt, de goût, ou de fermeté, laisse entrer dans le sanctuaire des œuvres qui n’y ont pas vraiment leur place.
L’architecte et la décoration
Dès le milieu du XIXème siècle, à l’instigation des architectes de l’école éclectique, des tentatives se firent jour pour redonner à l’architecte un droit de définir le décor. Qui ne pouvait cependant s’exercer que dans des bâtiments en construction, ou en rénovation. On voit mal en effet un inspecteur des Monuments historiques – dont l’institution remonte aux années 1830 – venir contester telle ou telle statue dans une église, a fortiori en exiger le retrait.
Même dans des églises construites à partir de la moitié du XIXème siècle, on connait peu d’exemples où l’architecte ait cependant imposé ses vues sur le programme décoratif du sanctuaire.
Saint-Louis de Vincennes apporte donc sur ce plan du nouveau, – comme dans bien d’autres domaines.
Il est de fait que la recherche de la qualité décorative des constructions est, pour les architectes éclectiques du XIXème siècle, une préoccupation constante. En 1883 un décret instaure un « tronc commun » aux élèves architectes, peintres, sculpteurs et graveurs de l’École des Beaux-Arts, pour l’enseignement de certaines matières. En parallèle, l’École royale gratuite de dessin fondée en 1766 pour développer les métiers relatifs aux arts, devient à partir de 1877, sous le nom d’École supérieure des Arts décoratifs, un foyer actif de diffusion des idées de Viollet-le-Duc.
Et que l’on va retrouver, parmi les tenants de cette évolution, ou parmi leurs élèves, les noms de certains membres de la Commission diocésaine d’architecture qui choisit Droz et Marrast pour l’église Saint-Louis.
Et pourtant cette primauté du projet de l’architecte ne s’imposait pas d’emblée. Les deux architectes retenus par le Concours de décembre 1912, Joseph Marrast et Jacques Droz, étaient en effet jeunes – respectivement 31 et 30 ans – et plutôt inexpérimentés : ils n’avaient jamais construit d’églises, et Saint-Louis était leur premier vrai chantier.
Sans doute nos deux architectes furent-ils soutenus dans leur prise d’autorité, à la fois par les membres de la Commission diocésaine d’architecture qui avaient retenu, à l’unanimité moins une voix, leur projet parmi une petite dizaine d’autres ; et par la confiance que leur témoignèrent l’archevêché de Paris, maître de l’ouvrage, et les premiers curés de Saint-Louis, l’abbé Van Acken et l’abbé Filleux. Le cahier des charges proposé par l’archevêché ne se préoccupait en effet que des contraintes liées à l’utilisation du bâtiment pour le culte et l’accueil des fidèles, sans pratiquement intervenir dans le concept architectural lui-même, ni dans les décors de l’église.
Cette prise de responsabilité par les architectes n’était pas non plus gagnée d’avance, une fois choisis les artistes (peintres, deux sculpteurs, un céramiste et un ferronnier) appelés à contribuer au décor de Saint-Louis. Surtout quand l’un des peintres était Maurice Denis. Agé d’une cinquantaine d’années quand il commence son intervention à Saint-Louis, déjà célèbre, héraut largement reconnu du renouveau de l’art chrétien au début de ce siècle, co-fondateur en 1919 des Ateliers d’art sacré, Denis est en effet ce que l’on peut appeler « une pointure », peu disposé à se laisser imposer son point de vue par deux jeunes architectes. D’autant plus que la rémunération de ses prestations est assurée par le legs de l’un de ses amis, l’abbé Marraud, et ne doit donc rien, ni au maître de l’ouvrage, ni aux deux maîtres d’œuvre. Et que Maurice Denis n’est pas doté d’un caractère facile, comme auront à le constater, à deux ou trois reprises, les architectes.
Les architectes ne furent certainement pas les seuls décisionnaires en ce qui concerne le choix des artistes. Les sociétés d’artistes, comme la Société de saint Jean, ou l’Arche, eurent certainement un rôle dans ce choix. C’est moins vrai en ce qui concerne les Ateliers d’art sacré, contrairement à une idée assez répandue. Mais Droz et Marrast furent néanmoins impliqués dans la désignation des artistes, et encore plus dans la définition de leurs projets de décor.
Si les autres artistes, et en particulier le fresquiste Henri Marret et le sculpteur Carlo Sarrabezolles, manifestèrent en permanence une volonté de collaboration très étroite, surtout avec Marrast qui assura de très près le suivi du chantier, en ce qui concerne Denis, les architectes connurent quelques épisodes plus difficiles, qui frôlèrent même la rupture.
Paul Guillaumat
Le 18 juin 2013