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La Croix comme signe de la Résurrection

En cette Semaine Sainte, nous vous invitons à une nouvelle halte de méditation vers Pâques, qui pose la question cruciale de notre foi : que signifie la Croix en tant que symbole et clé du mystère, comment concilier la réalité de la Crucifixion et l'Espérance de la Résurrection.
Publié le 08 avril 2020

« Le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers le salut, pour nous, il est puissance de Dieu » (1 Cor 1, 18).

Voilà le paradoxe fondamental : voir la croix comme le signe même de la Résurrection. Non plus deux évènements séparés, comme un avant et un après la mort, mais bien la mort comme le lieu même de la Vie nouvelle dont témoignent ceux qui croient. St Paul ne cesse d’exposer ce mystère ; l’Évangile de Marc, dans sa mouture la plus ancienne, ne craint pas de terminer sur le tombeau vide, sans les apparitions, il est dit alors que les femmes venues pour l’embaumement et constatant la vacuité du tombeau furent saisies d’effroi, non pas la peur des incroyants mais ce tremblement sacré que l’on éprouve face au mystère quand on est saisi par lui  : « Ne vous épouvantez pas, vous cherchez Jésus de Nazareth le crucifié, il est ressuscité » (Marc 16, 6).

Fra Angelico, Les trois Marie au Tombeau du Christ, Couvent de Saint-Marc à Florence © Wikimedia Commons

Si le discours n’en finit pas de comprendre cette théologie de la croix comme clé de l’Évangile (cf Elian Cuvelier à propos de l’Évangile de Marc), l’iconographie chrétienne perçoit l’unité du paradoxe dans un seul regard capable de saisir la part visible de la croix et sa part invisible. La force de l’expression visuelle réside dans son pouvoir de synthèse tandis que le discours bute parfois sur les séparations induites par l’analyse. D’une façon constante les images de la croix montrent deux réalités indissociables : la mort et la résurrection, qu’il faut donc s’efforcer de voir dans l’unité d’un regard de foi.

En HAUT :  Les poissons et les pains, mosaïque, Ve Siecle, Tabgha, Mer de Galilée, Israël © WIKIMEDIA COMMONS; En Bas, de G. A DR. : CROIX-ANCRE ET POISSONS, CATACOMBES DE PRISCILLE, IIIE SIECLE, ROME © D. R. ; CHRISME SUR UNE PLAQUE DE SARCOPHAGE, IVÈME SIÈCLE, MARBRE, MUSÉES DU VATICAN © WIKIMEDIA COMMONS

Au début du Christianisme, on pourrait croire que la croix n’est pas figurée. Pourtant les premières images naissent dans les lieux mêmes de la mort, elles révèlent alors la face d’espérance de la disparition des êtres aimés sous une forme symbolique. Rien de complexe ne peut se montrer sans le symbole : une ancre en forme de croix néanmoins, jetée à l’arrivée au port, un poisson qui remonte des abysses mortelles et qui est consommé sur les tombes en signe de communion avec les défunts, une brebis sous la houlette du pasteur qui conduit son troupeau par-delà les ravins de la mort, une colombe, un paon, mais surtout le monogramme du chrisme formé des deux ou trois premières lettres du Christ, le crucifié ressuscité ; la première lettre chi est en forme de croix. Loin d’oublier la mort, ces signes ne peuvent se comprendre que dans l’expérience mortelle soumise à l’acte d’espérance.

EN HAUT : MOSAÏQUE de l’abside de Sainte Pudentienne, IVE SIECLE, Rome © WIKIMEDIA COMMONS; EN BAS : PIETÀ DE NICOLAS COUSTOU, XVIIIE SIÈCLE ET CROIX ET GLOIRE DE MARC COUTURIER, XXE SIÈCLE © NOTRE- DAME DE PARIS – CREATIVE COMMONS

Au moment de la reconnaissance officielle du christianisme sous l’empereur Constantin, la croix devient le signe éclatant du nouveau monde en Christ. C’est une croix dorée, pattée, sans crucifié, elle dit la gloire d’une victoire (In hoc signo vinces). L’incroyable audace de représenter la croix, tandis que le supplice de la crucifixion est encore trop connu, est bien de renverser les évidences d’une mort infamante en manifestation glorieuse. C’est le premier credo : Il est mort et ressuscité, Il est ressuscité sur la croix même de sa déchéance. Le « et » dit la coïncidence des deux faits et non une successivité. L’abside de sainte Pudentienne à Rome conserve une spectaculaire mise en scène de cette croix glorieuse apparaissant au-dessus de la ville de Jérusalem et du collège des Apôtres assemblés autour du Christ siégeant en majesté. La croix dorée, surmontée d’une gloire en forme lame vibrante, de Marc Couturier à Notre-Dame, en est l’actualisation la plus tragique au milieu des ruines de l’incendie.

EN HAUT : La Crucifixion, Evangile de Rabula, VIᵉ siècle, Saint-Jean-de-Zagba, Syrie © WIKIMEDIA COMMONS; EN BAS : Matthias Grünewald (1475-1528), La Crucifixion, tempera et huile sur bois de tilleul, 1512-1516, Retable d’Issenheim © WIKIMEDIA COMMONS

Le crucifié apparaît progressivement tout au long du Moyen Age. L’image évoluera depuis un crucifié encore vivant jusqu’à un crucifié cadavérique. Les Évangiles de Rabula au VIème siècle montre Jésus sur la croix, les yeux ouverts, revêtu de la robe royale de cérémonie ; la scène surmonte les épisodes de la Résurrection dessinés en plus petit sans parvenir à supplanter l’immense scène de la crucifixion mais cohabitant avec elle, comme plus tard dans les ivoires carolingiens. Les croix romanes, conserveront la représentation d’un crucifié encore vivant. Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour voir peu à peu un Christ agonisant douloureusement jusqu’à s’affaisser. Le polyptyque de Grünewald (1512-1516) atteint le paroxysme de la monstration en exhibant un Christ dans le moment ultime d’une tétanie asphyxiante, sa chair se putréfiant déjà. Il faut alors traverser l’épreuve d’une réalité aux limites de l’obscène, ouvrir le retable pour que jaillissent la lumière des mystères joyeux de l’Annonciation, de la Nativité et de la Résurrection. Mais l’articulation entre la mort et la gloire n’est offerte qu’aux croyants, puisque le retable fermé la plupart du temps ne dévoile la plénitude du mystère chrétien que les jours de fête. Il faut voir dans cette transformation d’une image de la croix, à l’origine glorieuse et finalement souffrante, une évolution de la foi qui ose regarder en face la déréliction de la mort avant de proclamer la résurrection comme pour s’assurer que la victoire ne fait pas l’économie de la réalité de la mort.

Poutre de Gloire, église Saint-Jacques d’Assyrie (Hauteluce, Savoie) © WIKIMEDIA COMMONS

Mais c’est toujours la même tension qui est exposée, on pourrait multiplier les exemples où l’artiste met les deux moments en relation. Il est d’usage dans une église de placer la crucifixion à l’endroit de la jonction de la nef et du chœur sur le jubé ou la poutre de gloire, le crucifié tourné vers les fidèles, tandis que l’abside déploie l’image d’une glorification, celle du Christ en majesté.  L’époque baroque a particulièrement magnifié cette mise en perspective avec l’installation de gloires spectaculaires, mais toujours en contrepoint de l’exposition du crucifié.

Finalement l’art est plus à l’aise dans l’exposé de la foi chrétienne que les longs développements discursifs de la pensée parce qu’il sait que le visible ne va jamais sans l’invisible, la réalité sans sa sublimation, la figure sans sa transfiguration en passant par la défiguration. La structure symbolique de l’image lui permet de rendre sensibles les deux faces du mystère dans le même temps sans éviter l’épreuve du paradoxe à savoir que pour le croyant la mort ne va pas sans la Résurrection et réciproquement.

Jean-Paul Deremble
Université de Lille

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