À l’abbaye de Conques, un visiteur s’approche du guide CASA qui se tenait à l’entrée de l’église pour lui demander :
« – Quelle est la hauteur de la voûte ?
– …
– Mais ce n’est pas fort ; vous devriez savoir !
– Écoutez, monsieur : il y a deux réponses à votre question, celle que vous attendez et celle que vous n’attendez pas.
– Quelle est donc celle que je n’attends pas ?
– Vous connaissez Saint-Jacques-de-Compostelle ?
– Non.
– Et Saint-Sernin de Toulouse ?
– Non plus. Mais qu’est-ce que ces deux églises ont à voir avec Conques ?
– Eh bien, parmi les églises de pèlerinage qui subsistent de nos jours, Saint-Jacques-de-Compostelle, Saint-Sernin de Toulouse et Conques sont des édifices bâtis sur un plan similaire. Soit je vous dis que la voûte de Saint-Sernin mesure 20 mètres de haut et celle de Conques 18,60 m et vous l’aurez oublié dans 5 minutes. Soit je vous dis que la voûte est assez haute pour que le toit dépasse celui des maisons à l’entour, afin que les pèlerins arrivant en ce lieu voient qu’il y a ici un endroit pour les accueillir… »
Une demi-heure plus tard, le visiteur retrouve le guide, en sortant, et lui dit :
– La première réponse à ma question, je m’en moque maintenant ; mais la deuxième, je ne suis pas près de l’oublier ! »
(cité par Jean Vandamme, ancien président de l’Association C.A.S.A., « Communautés d’accueil dans les sites artistiques (C.A.S.A.) » dans Lumen Vitae, volume XLI, 1986, no 2, p 195-207)
À l’image de cette rencontre, les Communautés d’Accueil dans les Sites Artistiques (CASA) sont la Conviction qu’une Association peut apporter un service et une attitude différents aux visiteurs des édifices religieux en France.
Une Conviction et une Association
À l’origine, le Père Ponsar, alors curé de Saint-Séverin à Paris, stigmatise en 1966 une carence et expose une double conviction. Une initiative s’impose qui a toute chance d’être accueillie : « […] Qu’a-t-on fait pour les touristes qui, parcourant nos grandes routes, font halte de temps à autre pour se dégourdir les jambes et visiter à la hâte un des monuments religieux qu’un guide vert ou bleu leur a signalé sur leur parcours ? La plupart du temps ils s’arrêtent quelques instants, parcourent rapidement l’ensemble, s’arrêtent peut-être à un détail et s’en vont vite, croyant avoir regardé alors qu’ils n’ont rien vu. […] Comment pourrait-il en être autrement ? Ils n’ont pas été accueillis. Personne n’était là pour leur dévoiler toute la puissance d’un langage qui leur reste étranger. Alors que tant de richesses s’y trouvent contenues, que de mots à entendre, que de mystères à découvrir […] On dirait que Personne n’habite dans ces églises, alors qu’elles ont été bâties, avec combien d’amour et d’efforts, pour être la demeure de Quelqu’un ! »
L’année suivante, en août, c’est à Brancion, petite église romane de Bourgogne, proche de Tournus, qu’une première communauté CASA vit le jour, forte de 12 membres recrutés parmi les étudiants qui fréquentaient la paroisse de Saint-Séverin. Déclarée en 1972 Association loi de 1901, les Communautés d’Accueil dans les Sites Artistiques se donnent pour tâche de « faire visiter les édifices religieux de manière telle que chaque visiteur trouve dans son guide un ami et découvre dans l’édifice qu’il visite avec lui ses trois dimensions : historique, artistique et spirituelle » (Journal Officiel, du 17 mars 1972). CASA accueillait alors les visiteurs dans 10 sites en France avec 90 guides. Trois années plus tard, 269 guides étaient présents sur plus de 50 sites.
Cette expansion rapide incita à faire les démarches pour que l’association soit reconnue d’utilité publique, ce qui était réalisé en 1977 pour le dixième anniversaire. Cette année 1977 vit également la création d’un groupe de CASA faisant visiter quotidiennement Notre-Dame de Paris (accompagné l’été à partir de 1981 de communautés internationales de Notre-Dame). L’association appartient à la Fédération internationale Ars et Fides, fondée en 1988, qui rassemble les associations européennes de guides bénévoles dans les sites religieux. Depuis les années 1980, CASA regroupe tous les ans entre 100 et 150 guides répartis dans une quinzaine d’édifices religieux. La formation des guides est assurée toute l’année aussi bien sur le plan national avec trois week-ends nationaux et la publication d’un journal, le CASAinfo, reçu par l’ensemble des membres (plus de 380 en 2002 [plus de 500 en 2009, ndlr]) que sur le plan régional où chaque région organise des rencontres pour visiter un monument local ou assister à une exposition.
CASA est une association chrétienne mais elle n’est pas un ordre religieux. L’association accueille à part entière des non-croyants, à condition qu’ils acceptent le projet de l’association. Elle ne possède donc aucune spiritualité particulière. Mais c’est un lieu d’Église et il est indéniable qu’une authentique expérience spirituelle y est vécue et partagée par ses membres.
Ainsi, selon le Père Ponsar : « Ce qui est demandé à tous les membres de la communauté, ce n’est pas d’être unanimes dans la Foi, mais unanimes dans ce que l’on pourrait appeler la communion à la beauté du monument, à son sens, à la découverte du langage qui y est contenu, qu’il ait été explicitement voulu par ceux qui l’ont construit ou saisi d’une façon différente par ceux qui l’ont approché ou l’interrogent encore aujourd’hui.»
Les membres de CASA sont convaincus que l’Art chrétien est un langage de la Foi dont le message peut nous rejoindre aujourd’hui. On ne côtoie pas longuement les églises de pierre sans se sentir en résonance toute particulière avec les textes, comparant l’Église à un édifice spirituel : « Vous êtes de la même cité que les Saints ; vous êtes de la maison de Dieu. Vous êtes bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes, le Christ Jésus en personne, étant la pierre d’angle. C’est par Lui que l’édifice entier, parfaitement liaisonné, monte et devient un temple saint dans le Seigneur. C’est par Lui et par l’Esprit que votre propre édifice devient la demeure de Dieu. » (Épître aux Éphésiens II, 19-22).
Les membres de CASA sont convaincus que l’Art chrétien est un langage de la Foi dont le message peut nous rejoindre aujourd’hui.
Le monument est un lieu théologique et eschatologique, image de la Jérusalem céleste. Religion révélée, le christianisme transforme le monument en un lieu théophanique, ecclésiologique et doxologique : Dieu se manifeste en descendant vers l’homme qui s’élève appuyé sur sa communauté ecclésiale venue louer le Seigneur.
Après avoir compris les usages et le sens de l’œuvre d’art dans son contexte d’émergence, la comparaison entre le passé et le présent est un moyen de comprendre le présent (les différences), de savoir en quoi le passé nous structure encore aujourd’hui (les similitudes). Cela rend possible un « partage d’Évangile à travers l’Histoire », entre les hommes d’aujourd’hui et avec ceux d’hier.
L’expérience CASA s’est fortifiée dès l’origine de références scripturaires, en particulier deux textes fondateurs mis en évidence par le Père Ponsar : « Le contact direct du visiteur et du monument peut-il lui faire découvrir ce dernier en tant que Parole ? Ce n’est pas sûr. La plupart du temps, le touriste se trouve dans la condition du serviteur de la reine d’Éthiopie lisant Isaïe sans le comprendre, parce que, dit-il, il n’a pas de guide » (Actes des Apôtres VIII, 26-40). Il faut ici quelqu’un qui joue le rôle du diacre Philippe, ouvrant l’intelligence et le cœur du visiteur à la Parole vivante de Dieu.3 « Le texte de la Visitation est aussi exemplaire que celui des Actes des Apôtres pour préciser l’esprit des chrétiens qui s’adonnent à la Pastorale du Tourisme […] ». Le récit de la Visitation (Luc I, 39-56) montre ainsi l’accueil réciproque de Marie et d’Élisabeth qui symbolise l’accueil respectueux et attentif que tout membre CASA doit à son visiteur.
Une Attitude et un Service
Être guide CASA, c’est être fidèle à une attitude et à un service auprès des visiteurs. La première attitude du guide est d’offrir un accueil qui voit en chaque visiteur un hôte et un ami et non un client. Le service CASA repose sur trois piliers : le bénévolat, une pédagogie originale de visite et la vie communautaire.
La gratuité est absolue : c’est-à-dire tant au plan pécuniaire (l’activité n’est pas rémunérée car l’essentiel réside dans la rencontre amicale avec le visiteur) qu’à celui de la durée ou du mode de la visite (pas de visites à heures fixes, ni à durée déterminée, un départ à la demande pour une personne seule, un couple ou un groupe nombreux de visiteurs, pas non plus de discours tout fait transmis par l’association). CASA ne prétend nullement imposer un savoir. S’il partage volontiers le fruit de ses recherches (le guide se doit d’être compétent), le membre CASA souhaite être simplement un compagnon de découverte, d’approfondissement et d’émerveillement du monument pour le visiteur en l’aidant à remonter aux racines chrétiennes. Ce n’est rien moins qu’ « éduquer », c’est-à-dire « amener vers » ; d’ailleurs l’idéal d’une visite CASA est que le guide puisse repartir sur la pointe des pieds, pour laisser le visiteur ravi en contact avec le monument, comme Philippe disparaît de la vue de l’Éthiopien. (Actes des Apôtres, VIII, 39).
La première attitude du guide CASA est d’offrir un accueil qui voit en chaque visiteur un hôte et un ami et non un client.
Pour permettre un accueil aussi personnalisé, il est nécessaire que plusieurs guides soient présents sur un même site. « L’accueil des visiteurs serait une illusion si les guides n’apprenaient pas à s’accueillir entre eux, au sein d’une communauté, pendant la durée de leur séjour ». Le monument doit être reconnu comme vivant aujourd’hui et non être transformé en musée que l’on fait visiter. « C’est le monument lui-même qui fonde et structure cette vie de partage en communauté dont il est le centre ; c’est autour de lui que se crée l’unité et c’est ensemble qu’ils apprennent à le lire et à dialoguer avec lui, en contact aussi vrai et profond que possible avec les autres communautés, paroisses, fraternités religieuses, monastères, municipalités ou autres, qui vivent sur ce lieu. Ainsi, ce n’est pas à un « guide » isolé que s’adresse le visiteur, mais au membre d’une communauté vivante, image de la communauté Écclésiale tout entière. Si bien que, même si, personnellement, le jeune CASA ne partage pas la Foi en Jésus-Christ, il affirme, par la vie même de la communauté dont il est membre, que celle-ci, comme le monument lui-même, disent Jésus-Christ aujourd’hui. »
… un visiteur que l’on ne « guide » pas, mais que l’on rencontre et que l’on accueille dans un « compagnonnage spirituel ».
Ce qui est proposé à travers le projet CASA, ce n’est rien moins, en définitive, qu’une aventure spirituelle. Chaque membre, en effet, est invité à poursuivre sa quête de Dieu. Non point en solitaire, mais en référence au monument qui, jour après jour, se laisse découvrir plus profondément ; en référence à une communauté et à un visiteur que l’on ne « guide » pas, mais que l’on rencontre et que l’on accueille dans un « compagnonnage spirituel ». « CASA veut être, simplement, un lieu de rencontre de Jésus-Christ dans ces églises de pierre, images de l’Église vivante qui se construit chaque jour. Et là, il n’est point de guide, mais seulement des bâtisseurs, en pleine activité, sur le chantier du Royaume. »■