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Noël : musique, contemplation, silence

Aujourd’hui dans notre société, Noël est un devenu synonyme de beaucoup d’agitation, de lumières et de bruit : marchés de Noël, illumination des rues, concerts de Noël, menus de réveillon… L’évènement à l’origine de ces festivités, qui a renversé de fond en comble l’Histoire du monde (on compte le temps avant et après Jésus-Christ), est resté caché aux foules. Seul Joseph était présent à cette naissance extraordinaire. La musique, dans le paradoxe de sa nature sonore, peut nous conduire au silence de la contemplation intérieure.
Publié le 24 décembre 2021
Fra Angelico, Vierge d’humilité, vers 1430, tempera sur panneau, National Gallery of Art, Washington DC © WIKIMEDIA COMMONS

Olivier Messiaen (1908-1992) fit entendre ses Vingt regards sur l’Enfant-Jésus en 1944. Il ne s’agit en aucune manière d’une évocation de la Crèche avec ses images traditionnelles mais vraiment d’une contemplation de l’Enfant-Dieu dans son mystère. Ce mot de contemplation venait tout de suite à l’esprit du compositeur lorsqu’il présentait son œuvre :

« Il s’agit en réalité de la contemplation de l’Enfant-Dieu de la crèche et des regards qui se posent sur lui, depuis le regard indicible de Dieu le Père, jusqu’au regard de l’Eglise, en passant par le regard inouï de l’Esprit-Saint et Esprit de Joie, par le regard si tendre de la Vierge, par les regards des anges et des mages et de créatures immatérielles ou symboliques : le Temps, les Hauteurs, le Silence, la Croix. »

L’auditeur est plongé dans l’indicible : comment la musique peut-elle se présenter comme un regard ?

Cette œuvre monumentale pour piano solo est une œuvre majeure à plus d’un titre : d’une part, elle a fait évoluer la technique de jeu pianistique dans ses sonorités, son écriture presque orchestrale, son utilisation des doigtés, ses positions de mains, d’autre part, elle se présente comme une magnifique initiation au silence du regard. Dès le titre, l’auditeur est plongé dans l’indicible : comment la musique peut-elle se présenter comme un regard ?

Voici trois extraits qui sont susceptibles de nourrir une belle méditation sur le Mystère de Noël.

Regard de la Vierge

Innocence et tendresse… La femme de la Pureté, la femme du Magnificat, la Vierge regarde son Enfant…
J’ai voulu exprimer la pureté en musique : il y fallait une certaine force – et surtout beaucoup de naïveté, de tendresse puérile.

Ainsi le compositeur nous présente-t-il cette page.

Nous entendons une berceuse « tendre et naïve » précise la partition, coupée par un thème comme enroulé sur lui-même, fortissimo en unisson sur plusieurs octaves : ce thème est lié pour Messiaen à celui de l’Etoile et aussi celui de la Croix. Le thème de la berceuse est repris superposé à celui de l’étoile/croix.

« Sa mère gardait en son cœur tous ces évènements. » (Luc, 2, 51)

Noël

Carillon. Les cloches de Noël disent avec nous les doux noms de Jésus, Marie, Joseph.

Cette page est la plus proche de l’esprit de Noël tel que nous l’imaginons. On y entend des sonneries de cloches, des résonances d’accords comme répandus dans le ciel, opposées à une partie lente presque silencieuse pour évoquer la Sainte Famille, « tendre » est-il précisé sur la partition.

Musicalement, on peut goûter comment Messiaen évoque le timbre d’un carillon par le choix des accords que l’on peut qualifier ici d’accords de timbres.

Regard du Silence

Silence dans la main, arc-en-ciel renversé… Chaque silence de la crèche révèle musiques et couleurs qui sont les mystères de Jésus-Christ…
Polymodalité, canon rythmique par ajout du point, accords spéciaux, ‘’thème d’accords’’. Tout le morceau est très ouvragé comme écriture de piano. Fin : accords alternés, musique multicolore et impalpable, en confettis, en pierreries légères, en reflets entrechoqués.

Musique multicolore et impalpable, en confettis, en pierreries légères, en reflets entrechoqués.

Qu’importe la technique ! C’est bien ce qu’on entend qui nous touche, à commencer par ce titre extraordinaire : comment la musique peut-elle exprimer un regard, quel peut être ce silence qui regarde ? C’est bien la contemplation silencieuse du mystère d’un Dieu entrant en notre chair humaine. La richesse sonore de cette page, tant du côté des durées, des rencontres sonores que des timbres harmoniques, dépasse une première écoute. Tout cela nous conduit à l’adoration silencieuse de Celui qui vient en chacun de nous. Cette musique dans son étrangeté ouvre nos cœurs et les conduit au vrai silence, celui de la profondeur accueillante.

Belles fêtes de Noël.

Emmanuel Bellanger

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