L’église de Mortensrud, vue de l’extérieur © Caroline Levisse
– Impossible de saisir l’église de Mortensrud dans son ensemble. Elle demeure dissimulée parmi les pins et ne s’offre au regard que partiellement et progressivement… On aperçoit ici à gauche l’église depuis le sud où se trouve la porte d’entrée et le campanile.
Voir une vue depuis le ciel du complexe église + locaux de la paroisse (se trouvant au sud)
C’est en 1997 que « Kirkelig Kulturverksted » (Atelier culturel religieux)1 reçoit du « Kirkelig Fellesråd » (Conseil ecclésial) d’Oslo la tâche de coordonner un projet pour une nouvelle église à Mortensrud. Berit Hunnestad, la coordinatrice du projet, décida d’unir dès le début du travail de conception tous les acteurs amenés à participer, à un moment ou à un autre, à la construction de l’église. C’est ainsi que les architectes, les membres du conseil paroissial, l’artiste, l’architecte d’intérieur… ont conçu ensemble l’église de Mortensrud. Revenant sur son expérience, Berit Hunnestad se souvient du conseil paroissial de Mortensrud qui avait de grandes idées pour sa nouvelle église et le besoin de trouver « un architecte qui était visionnaire, mais qui n’était pas établi comme architecte d’église parce que l’architecture religieuse norvégienne a toujours besoin de nouvelles impulsions venant du temps présent »2. Le choix s’est porté sur l’architecte norvégien Jan Olav Jensen du cabinet Jensen & Skodvin, ce qui fut un succès puisque l’église a été couronnée par plusieurs récompenses, dont le Mies van der Rohe Award for Architecture en 2004.
EGLISE DE MORTENSRUD |
Coordinatrice du projet : Berit Hunnestad de Kirkelig Kulturverksted, consultante pour le diocèse et la ville d’Oslo |
Architectes : Jan Olav Jensen et B. Skodvin, Oslo |
Retable d’autel et croix de procession : Gunnar Torvund |
Architecte d’intérieur (bancs, lustres, fond baptismal, autel…) : Terje Hope |
Textiles : Rigmor Bové |
Conception : 1998-2000 Construction : 2000-2002 |
Surface : 2200 m2 |
Coût : NOK 18000 par m2 (environ 2290 € par m2); soit environ 5 millions € pour l’ensemble |
Orientée vers le Nord, l’église est construite sur un terrain rocheux que les architectes ont voulu modifier le moins possible afin d’intégrer en douceur et avec humilité le bâtiment, plutôt que d’imposer la construction humaine à la nature environnante. Seule couche supérieure de terre a été enlevée, certains arbres n’ont pas été déracinés et quelques rochers apparaissent à l’intérieur de l’église, surgissant du sol en béton : « de cette manière, la division entre les différentes parties de l’église est faite avec l’aide d’éléments qui au départ étaient sur la parcelle de terrain. Ceci a été possible parce que la tolérance était grande concernant les dimensions des espaces »3. Et en effet, tout dans la structure de l’édifice favorise l’échange entre la construction humaine et la nature dans laquelle elle s’insère. La structure métallique est discrète, elle porte au premier étage, sur trois côtés, une paroi d’ardoises grises claires qui laisse passer la lumière de façon partielle, tandis que sur le quatrième côté s’ouvre une galerie.
Ci-dessous : vue de l’intérieur de l’église de Mortensrud, vers l’autel © C. Levisse
Ci-dessus : la paroi d’ardoises © C. Levisse
On voit sur les photographies ci-dessus la paroi qui s’élève entre la baie vitrée et l’espace central de l’église, une paroi par endroits percées de fenêtres. L’empilement des ardoises sans utilisation de mortier laisse filtrer la lumière naturelle de telle sorte que cette paroi devient comme une médiation entre la grande baie vitrée transparente et l’espace liturgique. Au niveau inférieur, les grandes baies sont en revanche pleinement visibles sur certains côtés de l’édifice et laissent transparaitre le petit bois qui entoure l’église. Selon les endroits, entre 90 et 160 cm séparent la façade vitrée de la structure métallique qui supporte le mur d’ardoise, créant ainsi une galerie qui cerne l’espace central. La comparaison avec l’église de Vejleå (1997) dans la banlieue de Copenhague est intéressante (voir l’article du 17 août 2009). Ces deux églises s’élèvent dans des espaces urbains qui sont de nouvelles zones de résidence, mais à Vejleå, les hauts murs blancs ne laissent absolument pas rentrer le monde extérieur, ils sont complètement hermétiques, et pour cause : l’église se situe au bord d’un bruyant axe routier et au milieu de bâtiments de béton. En revanche, à Mortensrud, il était possible d’ouvrir les murs de l’église sur l’extérieur sans perturber le recueillement nécessaire à cet espace religieux, précisément parce que l’édifice est situé au milieu d’un espace naturel beau et calme, éloigné de l’activité urbaine.
Ci-dessus : vue de la façade et vue de l’intérieur de l’église, depuis la galerie supérieure © C. Levisse
Ci-dessous : le "café", espace de rencontre qui se situe juste après l’entrée, sur la droite, avant de passer dans un couloir (que l’on devine sur la gauche de la photographie) encadré par deux atriums et par lequel on accède à l’église © C. Levisse
Dans le prolongement de la nef se trouve le chœur qui, finalement, n’est pas à proprement parler délimité de manière architecturale puisqu’il fait partie de l’espace principal rectangulaire de l’église. C’est à l’artiste norvégien Gunnar Torvund (né en 1948) que l’on doit le grand retable d’autel qui se dresse entre la baie vitrée et l’autel, juste en-dessous de la paroi d’ardoises sur laquelle il a placé une colombe jaune, représentant le Saint-Esprit et orientée vers la partie centrale du retable. A la fois épais et solide – il est un peu comme un mur – mais également léger et partiellement diaphane, le retable (fait principalement de bois et de verre) est composé de trois parties, à l’instar des triptyques qui ornent souvent le chevet des églises. Le choix d’un panneau long et imposant, qui dissimule le paysage extérieur sur la longueur de l’autel permet habilement de centrer l’attention sur les actions du prêtre plutôt que sur ce qui se passe dehors.
Gunnar Torvund, retable pour l’église de Mortensrud © Caroline Levisse
Deux panneaux au ton bleu foncé encadrent la partie centrale d’un jaune resplendissant sur laquelle Torvund a placé une sculpture de verre coloré, représentant le Christ. Ayant les bras écartés à l’horizontale, la tête inclinée et les jambes serrées, il possède la silhouette familière de la crucifixion, bien que la croix elle-même soit absente. C’est un choix qu’a fait l’artiste à plusieurs reprises pour ses commissions religieuses et qu’il explique par le sentiment que le motif de la croix est déjà suffisamment présent dans les espaces religieux pour pouvoir ne pas être répété une fois de plus. Comme si la croix allait de soi ou comme si la crucifixion et la résurrection pouvaient de la sorte être représentées en une seule figure… Un tel choix iconographique lui a parfois posé quelques problèmes notamment pour le retable de l’église d’Eidsvåg (1982) que Torvund avait conçu comme une sculpture en bois d’un homme nu fixée sur une grande planche de bois verticale, peinte de couleur sombre. A la suite de la polémique éveillée par cette œuvre au sein de la paroisse d’Eidsvåg, Gunnar Torvund dû peindre une ligne horizontale dorée au niveau des épaules de la frêle sculpture, illuminant ainsi le panneau autrement jugé trop négatif et « faible »4. En 1998, c’est également un crucifix sans croix que Gunnar Torvund placa dans la chapelle de la faculté de théologie d’Oslo, une sculpture délicate, intitulée Lys, dont la forme épurée et toutes en courbes se retrouve dans le retable de l’église de Mortensrud.
Les couleurs resplendissantes du retable illuminent à leur manière l’espace et jouent, selon l’artiste, un rôle important : « Un édifice comme celui-ci fait une utilisation réservée des couleurs, je voulais que la décoration au niveau de l’autel scintille avec tout un spectre de couleurs qui s’emparent elles-mêmes de la lumière et de la puissance pour les porter plus loin. Tout comme la lumière est filtrée par les ouvertures dans le mur d’ardoises, la lumière colorée devait faire de même à travers le retable »5. Pour obtenir une telle luminosité, Torvund a joué sur les matériaux employés ; ainsi, les tons jaunes et orangé de la partie centrale proviennent du verre coloré apposé au dos du retable, mais également de feuilles d’or, car comme il le fait remarquer, ces deux matériaux ne réagissent pas de la même manière à la lumière : « quand il y a de la lumière dehors, vous recevez davantage du verre et lorsqu’il fait sombre dehors, vous obtenez plus de l’or, parce que l’or fonctionne mieux avec peu de lumière »6. Le résultat est magnifique.
Ci-dessus : détails du retable d’autel exécuté par Gunnar Torvund – partie centrale © Caroline Levisse
Gunnar Torvund a, depuis 1980, créé à de nombreuses reprises des retables d’autel en Norvège. On retrouve à Mortensrud de nombreuses caractéristiques partagées par ces autres œuvres : il s’agit de l’absence de la croix derrière le Christ que nous avons déjà évoquée, mais aussi de l’utilisation de symboles simples comme le bateau, l’œil, le poisson, etc, des symboles qui sont répartis sur les panneaux latéraux du retable. Par ailleurs, il a ici aussi intégré trois pierres au retable qui proviennent du mur de Berlin, de Jérusalem et de Robben Island, l’île où Nelson Mandela fut emprisonné pendant vingt ans. De cette façon, l’artiste fait écho à l’une des caractéristiques prédominantes de l’église de Mortensrud : son utilisation des roches (les rochers au sol et les ardoises de la paroi haute). Selon le pasteur norvégien Per Arne Dahl, cette œuvre est admirable puisqu’elle raconte une histoire et que ses symboles et ses pierres chargées de mémoire prennent un sens pertinent dans le contexte chrétien de ce bâtiment et sont porteurs d’espoir : « J’ai besoin de Jérusalem pour lier ma vie avec une croix, avec une tombe ouverte et un mur des lamentations. J’ai besoin de Robben Island pour que je ne sois pas dans le court-terme, impatient et abêtit par mes dommages ; et j’ai besoin de me souvenir, avec le mur de Berlin, que l’inattendu peut toujours arriver »7. Quant à l’une des employées de la paroisse, elle me confiait combien il était agréable et intéressant d’amener les enfants autour de ce retable tant les symboles, les couleurs et les pierres éveillent facilement associations et histoires chez chacun.
Ci-dessous : détail du retable, on peut voir l’une des trois pierres
Ci-dessus : vue du retable d’autel, de la croix de procession du fond baptismal derrière lequel on devine un rocher © C. Levisse
Pour conclure, on peut dire de la réalisation de l’église de Mortensrud, avec ses jeux de lumière, son retable haut en couleur, son lien avec la nature, qu’elle participe d’une tendance, je pense, actuelle, de l’architecture religieuse qui ne veut plus de l’esthétique trop simple et trop épurée des églises des années 1960 à 1980. Revenant sur l’évolution de l’architecture religieuse dans le cadre d’une exposition sur les retables de Gunnar Torvund, Oddbjørn Sørmoen évoque comment les architectes et les paroisses ont souvent favorisé des bâtiments sans prétention, avant tout fonctionnels et économiques, qui pouvaient être adaptés aux multiples activités non-liturgiques menées au sein de la paroisse et qui parfois de l’extérieur n’affiche pas leur identité religieuse, comme par exemple l’église de Storhamar (1974)8. Mais nombreux sont ceux qui réagissent contre ce qu’ils considèrent comme un manque d’inspiration et trop de banalité pour un lieu dont on aurait oublié le caractère sacré et qui serait davantage considéré comme un simple lieu de rassemblement : « cathédrale ou cafédrale ? » (katedral eller kaffedral) se demandait même l’évêque Per Lønnin9. Différentes églises construites au tournant du 21ème siècle, parmi lesquelles l’église de Mortensrud, mais aussi l’église de Lommedalen (1995), ou celle de Sælen (2001), semblent témoigner du fait que « les paroisses ne souhaitent pas avant tout un espace le plus flexible possible, mais un espace sacré »10. Dans cette perspective, l’architecture et l’aménagement de l’église de Mortensrud sont un succès car ils parviennent à porter le caractère sacré de l’église sans pour autant verser dans un style « néo- ».
par Caroline Levisse
7 juin 2010
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Sources
Site internet des architectes Jensen & Skodvin, en anglais : http://www.jsa.no Page consacrée à l’église de Mortensrud, avec de nombreuses photographies : http://jsa.no/download/church/PB.html
Jens Olav JENSEN, « Mortensrud kirke, Oslo », in Mur, 2002, No 1, pp. 14-18
Collectif, ”Mortensrud kirke”, in Byggekunst, Vol 84, 2002, No 4, pp. 10-23
Site internet de la paroisse de Mortensrud : texte en norvégien sur l’histoire de l’église et photographies http://www.mortensrud.no/index.jsp?menu=89&showmenu=89&page=6342&D=1128
Eva WATNE (dir.), Gunnar Torvund – Kyrkjekunst, catalogue d’exposition, Hå Gamle Prestegard, 2005
Entretien avec Gunnar Torvund, réalisé à Kviteseid, Norvège, 22 avril 2010
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Notes
1. ”Kirkelig Kulturverksted” est une association liée à l’Église luthérienne évangélique de Norvège (Eglise d’Etat), créée en 1974 et dont l’objectif est de faire tomber les murs entre la culture contemporaine et l’Eglise. Parmi leurs missions se trouvent l’accompagnement des conseils paroissiaux en matière d’art, d’architecture et de mobilier d’église. Voir leur site internet :
en norvégien avec une présentation en anglais.
2. Berit Hunnestad, in Byggekunst, Vol. 84, 2002, No 4, p. 22 ; traduit du norvégien
3. Jens Olav Jensen, ”Mortensrud kirke, Oslo”, in Mur, 2002, No1, p. 18 ; traduit du norvégien
4. Cf. Eva Watne (dir.), Gunnar Torvund – Kyrkjekunst, catalogue d’exposition, Hå Gamle Prestegard, 2005
5. Gunnar Torvund, in Byggekunst, op. cit. p. 23
6. Gunnar Torvund, entretien avec l’auteur, 22 avril 2010, traduit de l’anglais
7. Per Arne Dahl ”En hellig, alminnelig Mortensrud kirke”, feuillet explicatif disponible dans l’église de Mortensrud; traduit du norvégien.
8. C’est une « tendance » dont il est ici question, ces mêmes années ont vu la création d’églises absolument modernes, au fort caractère sacré à l’image de l’église de Slettebakken dans le Nord de la Norvège, construite en 1968-1970 :
http://www.slettebakken-kirke.no/slettebakk/kirkebygget
9. Dans Morgenposten, cité par Oddbjørn Sørmoen, ”Mot en ny sakralarkitektur”, in Eva Watne (dir.), op. cit , p. 81 ; traduit du norvégien
10. Oddbjørn Sørmoen, op. cit., p. 83