l’église de Täby, vue sur la facade, sud-ouest © C. Levisse
La construction de l’église de Täby, dans la banlieue de Stockholm, remonte au 13ème siècle, à la fin duquel l’abside et la nef étaient en place. Au 15ème siècle, le plafond plat en bois est remplacé par des voûtes qui vont, à la fin de ce même siècle, se recouvrir des fresques d’Albertus Pictor – dont le nom signifie « Albert le peintre ». Les 66 scènes bibliques peintes furent recouvertes à la chaux blanches jusqu’à leur restauration en 1993-1994.
© C. Levisse
La photographie ci-dessus montre l’intérieur de l’église de Täby, vers l’ouest où se trouvent l’orgue et l’entrée. Malgré la mauvaise qualité de la photo, on peut se rendre compte que les peintures murales couvrent presque totalement l’espace intérieur : mis à part les endroits où la restauration fut impossible, il n’y a pas beaucoup de vides. Même les espaces entre les personnages et entre les scènes bibliques sont remplis de « fleurs » rouges stylisées, tandis que les arcs sur lesquels aucune scène narrative n’est représentée sont couverts de motifs végétaux. Ceci n’est pas sans évoquer la « peur du vide » de l’époque gothique tardive. Les pigments dominants sont l’ocre rouge sombre, ocre orangé et le vert d’eau. Ci-dessous se trouve une photographie montrant les pigments utilisés pour réaliser ces fresques.
Cette vitrine était présentée dans l’église de Täby
dans le cadre des célébrations de la mort du
peintre Albertus Pictor il y a 500 ans, en 1509.
© C. Levisse
Albertus Pictor (vers 1440- 1509)
Originaire d’Allemagne, Albertus Pictor apparait pour la premières fois dans les archives suédoises en 1465 alors qu’il devient habitant d’Arboga, en Suède. En 1473, il est mentionné à Stockholm sur un registre de mariage et il s’installe dans la capitale où il reprend un atelier. Les fresques d’Albertus Pictor et de son atelier, sont présentes dans de nombreuses églises suédoises et aussi au Danemark – dans une trentaine de lieux au total. Celles de l’église de Täby sont présentées comme étant les meilleures au niveau technique ainsi que les mieux conservées.
Les œuvres d’Albertus Pictor ont inspiré nombre d’artistes après lui. L’image la plus célèbre est certainement le personnage jouant aux échecs avec la mort – voir une image – qui se trouve dans la première travée en partant de l’est, aujourd’hui visible depuis la montée d’escalier du balcon de l’orgue. Cette fameuse scène a notamment inspiré Ingmar Bergman qui dans Le Septième Sceau (1957) fait jouer un chevalier et la mort aux échecs. Le mort demande au chevalier comment il sait qu’elle joue aux échecs ; « Je l’ai vu dans des peintures » répond le chevalier.
Programme iconographique
C’est ici l’occasion parfaite de rappeler que les images dans les églises étaient « la Bible des pauvre », c’est-à-dire de tous ceux qui ne savaient pas lire et de tous ceux qui ne comprenaient pas le latin. Les scènes de l’Ancien Testament sont apposées à celles du Nouveau Testament afin d’attirer l’attention sur les liens entre les deux ensembles de textes bibliques, en représentant les « prototypes » des moments-clés de la vie de Jésus. Par exemple, dans la partie de la nef qui surplombe le chœur, on a une représentation de l’histoire d’Hénoch (Hébreux 11, 5 : « Par la foi Hénoch fut enlevé afin d’échapper à la mort et on ne le retrouva pas… ») et de celle d’Elie (2 Rois 1, 8 : « Tandis qu’ils poursuivaient leur route tout en parlant, voici qu’un char de feu et des chevaux de feu les séparèrent l’un de l’autre ; Elie monta au ciel dans la tempête »). Hénoch et Elie sont deux prototypes vétérotestamentaires de l’Ascension du Christ, épisode du Nouveau Testament que l’on trouve immédiatement représenté en dessous d’Elie et Hénoch.
Ci-dessous : Elie et Hénoch, église de Täby, première travée, côté sud
© Täby församling Christina Dagberger Jonsson
Ci-dessus : L’ascension du Christ, église de Täby, première travée, côté sud
© Täby församling, Christina Dagberger Jonsson
Dans l’ascension du Christ seul les pieds et le bas du vêtement de ce dernier sont visibles, alors que Marie et les apôtres sont représentés agenouillés en prière, les yeux levés vers les pieds du Christ. On remarquera que deux anges tiennent au-dessus des apôtres des banderoles sur lesquelles sont visibles des inscriptions en latin, ici « Viri Gallilei, quit aspicitis in celum ? » (Galilée, pourquoi ne regardes-tu pas vers le ciel ?) et « Hic Ihesus, qui assumptus est a vobis ». Ces inscriptions qui commentent les scènes bibliques figurées accompagnent chaque représentation.
Dans l’église de Täby, les représentations bibliques sont réparties en quatre groupes, selon les quatre travées qui composent la nef et le chœur. Le schéma ci-dessous montre cette répartition. A l’aide de la photographie suivante, on peut visualiser un exemple de cette distribution. Ici il s’agit de la deuxième travée en partant de l’est, et la photo est orientée vers le nord.
à gauche : plan de la répartition des scènes bibliques sur les voûtes de l’église de Täby (le plan est extrait du feuillet explicatif réalisé par Bertil Persson, 1994
à droite : vue des fresques sur la voûte de la deuxième travée (en partant de l’est), orientation vers le nord © C. Levisse
On peut voir (les numéros renvoient à ceux qui sont sur le schéma ci-dessus, « Second trave »):
1 : le Christ et Marie assis sur un trône
2 : l’évangéliste Matthieu représenté par un ange (son symbole)
14 : Bethsabée et Salomon, 1 Rois 2, 19, alors que Bethsabée entre chez son fils le roi Salomon, celui-ci se prosterne devant elle et fait asseoir sa mère à ses côtés sur le trône.
15 : Esther et Assuérus, Esther 5, 2 : « Alors, quand le roi vit Esther, la reine, se tenir dans la cour, elle suscita sa bienveillance : le roi tendit à Esther le sceptre d’or qu’il tenait à la main »
17: l’évangéliste Marc représenté par un lion
9 : David et Goliath
10 : Moïse et le serpent d’airain (Nb 21, 4-9)
11 : le sacrifice d’Isaac
12 & 13 : des prophètes représentés en buste
Et enfin, non plus sur la voûte, mais sur le mur nord, est représentée la crucifixion (en bas sur la photographie ci-dessus), désormais presque complètement effacée. Cette représentation entre en résonance avec celle du sacrifice d’Isaac juste au dessus ; Isaac étant le prototype vétérotestamentaire de la crucifixion de Jésus. On peut aussi pointer la correspondance entre d’une part Salomon qui accueille sa mère Bethsabée sur le trône à ses côtés (No 14) et le Christ qui place aussi sa mère à ses côtés (No 1). Deux représentations qui sont placées l’une en face de l’autre (parties est et ouest de la travée).
Je ne peux pas ici présenter de façon exhaustive l’ensemble de fresques de l’église de Täby, mais cet aperçu dont l’objectif était de présenter les réalisations d’Albertus Pictor, montre, je pense, la complexité des programmes iconographiques médiévaux.
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Sources
Christina Sandquist Öberg, Kalkmålningar av Albertus Pictor – Täby kirka, Täby församling, 2009 [en suédois]
Bertil Persson, "Vault paintings in Täby Church", feuillet explicatif sur les fresques, disponible dans l’église
Site internet dédié à Albertus Pictor en l’honneur du 500ème anniversaire de sa mort, en anglais : http://www.albertuspictor.com/jubileumeng.htm