Peter Brandes (né en 1944) est un artiste autodidacte danois, dont nous avons déjà eu l’occasion de présenter dans ces Chroniques les vitraux de l’église de Vejleå, dans la banlieue de Copenhague, réalisés en 1997. Depuis, Brandes a exécuté plusieurs commissions religieuses (voir la liste en fin d’article), devenant un artiste incontournable de l’art sacré contemporain au Danemark. Son travail est apprécié au sein de l’Église luthérienne danoise grâce au savant mélange de tradition et d’originalité que l’artiste met en œuvre, sans compter son profond respect et sa grande connaissance de la religion et de ses lieux. L’artiste est lui-même un chrétien pratiquant et étudie la Bible. Ses dernières réalisations viennent de prendre place dans la cathédrale de Roskilde (voir article précédent) où elles ont été inaugurées il y a quelques semaines, en présence de la reine. Dans ce haut-lieu de la chrétienté danoise, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, on peut désormais découvrir la nouvelle « porte du roi », ainsi que le nouveau visage de la chapelle Saint-André.
Ci-dessus : vues de la cathédrale de Roskilde, façade ouest avec la porte principale, ou "porte du roi", conçue par Peter Brandes © C. Levisse
•La nouvelle porte de la cathédrale de Roskilde
L’imposante façade de cette cathédrale médiévale de briques attire depuis quelques semaines le regard des habitants de la ville et des touristes. Leur attention est particulièrement tournée vers la nouvelle porte principale de la cathédrale, installée le mois dernier, que l’on appelle traditionnellement la « porte du roi », car c’est par là que les souverains pénètrent dans la cathédrale. La porte précédente était en bois, elle remplaçait les portes mises en place à la fin du 16ème siècle, celles-ci ayant été transférées au 19ème siècle à l’église d’Holmen à Copenhague. Lorsque la porte de bois fut installée, il était question d’une solution temporaire – qui s’avéra perdurer pendant plus de deux siècles, les conseils paroissiaux successifs se penchant sur la question sans y apporter jusqu’alors de réponse satisfaisante. Avec l’installation de la massive porte de bronze réalisée par Peter Brandes, le problème trouve sa résolution et la cathédrale reçoit des portes dignes de son importance, le tout sous l’étroite supervision du conseil paroissial de la cathédrale, du Musée national en charge de la préservation du patrimoine danois, mais aussi de l’UNESCO, la cathédrale étant classée depuis 1995. La tâche fut de taille, ne serait-ce que sur le plan symbolique : la porte de la cathédrale est effectivement un élément essentiel, puisqu’elle marque le passage entre le monde séculaire et le monde sacré.
Ci-dessous : porte principale de la cathédrale de Roskilde – Peter Brandes, 2010
© C. Levisse
Il est intéressant que l’artiste ait choisi comme motif pour l’extérieur de la porte les douze apôtres, ceux qui furent chargés de diffuser le message du Christ après son départ. Ici, le motif est justement orienté vers le monde séculaire, rappelant ainsi la fonction essentielle des apôtres. Il s’agit là de l’un des thèmes les plus importants de l’iconographie chrétienne, et avec lequel Peter Brandes a déjà eu l’occasion de travailler, dans le contexte de la réalisation des vitraux qu’il réalisa pour une église californienne en 2006 ; vitraux consacrés aux apôtres. Comme pour cette précédente réalisation, pour la porte de la cathédrale de Roskilde, Brandes a choisi de représenter les apôtres par un élément symbolique, un détail, qui vaut pour une représentation complète. Ces détails ou symboles, l’artiste les a trouvé dans le texte biblique et la tradition iconographique, et les a transcrits dans son langage visuel. On peut donc par exemple reconnaître André à la croix de Saint-André, une croix en diagonale sur laquelle il fut crucifié ; Philippe est représenté par un serpent et une croix latine au pied de laquelle sont disposées des pierres car il fut lapidé ; Jacques le Majeur est identifié par une conque et le bâton du pèlerin ; Jean est représenté par une tête accompagnée d’un aigle – le symbole de l’évangéliste ; Judas par le baiser qu’il donna au Christ pour le désigner aux soldats comme celui à arrêter… et ainsi de suite. Le résultat d’ensemble possède un caractère composite auquel il peut être délicat de donner un sens si l’on ignore le sujet de la représentation, mais il est malgré tout fascinant et a permis à l’artiste d’éviter une représentation classique et narrative de ce thème.
Ci-dessus : deux vues de la nouvelle porte principale depuis l’intérieur de la cathédrale – réalisée par Peter Brandes, 2010
© C. Levisse
La face intérieure de la porte est tout à fait différente. L’artiste a fait le choix pour ce côté d’une patine de feuille d’or. Il explique cette décision en rapportant l’une de ses expériences dans la cathédrale : un jour, alors qu’il remontait la nef depuis le magnifique retable d’autel doré qui est installé dans le chœur, et qu’il se dirigeait vers la porte principale qui se trouve à l’autre extrémité de la nef, il trouva que la vue de cette porte de bois créait une perspective bien monotone. Désormais, la patine dorée de la porte intérieure répond à celle des figures du retable d’autel (voir les illustrations de l’article précédent). Le sujet qu’il a choisi fait écho au retable d’autel et à l’autel lui-même ; en réponse à la Cène qui inaugura le rituel de l’Eucharistie célébré sur l’autel, la porte montre un autre repas décrit dans le Nouveau Testament, celui d’Emmaüs. Les disciples sont représentés au moment où le Christ rompt le pain et ils reconnaissent que celui qui les a accompagnés n’est autre que Jésus-Christ. On les voit donc qui penchent lourdement la tête, en signe de révérence, vers le centre de la composition où sont placés le Christ et le pain. Cette inclination prononcée de la tête, qui allonge à l’extrême le cou des figures et porte l’accent sur ce geste et sa signification, est un élément clé du vocabulaire de Peter Brandes. L’artiste l’a développé en série dans des œuvres sur le thème du sacrifice d’Isaac, mis en relation avec la crucifixion du Christ, où celui-ci est parfois représenté uniquement par un long cou et une tête inclinés, une position qui symbolise la soumission à la volonté de Dieu et l’acceptation de son destin.
Les deux faces de cette nouvelle porte ont en commun leur aspect formel : le style de Peter Brandes est très expressionniste. On voit dans l’œuvre achevée le travail tout en relief, en profondeur, de la matière, qui donne des accents quelque peu surréalistes à certaines formes et ne peut laisser – il me semble – les spectateurs sans émotions. Pour ma part, quelques figures, découvertes avant de ne savoir quoique ce soit sur le sujet de la représentation, sont apparues comme plutôt monstrueuses, et d’autres avaient l’air d’apparitions fantomatiques selon l’angle choisi et le jeu d’ombre et de lumière sur le bronze.
Ci-dessus : à gauche, détail de la face intérieure de la porte, visage du Christ ; à droite, détail de la face extérieure de la porte, visage de saint André avec sa croix © C. Levisse
Ci-dessous : la chapelle Saint-André, dans la cathédrale de Roskilde, décorée par Peter Brandes, 2010 © C. Levisse
•La chapelle Saint-André
L’autre tâche attribuée à Peter Brandes par le conseil paroissial de la cathédrale de Roskilde était la réfection et décoration de la chapelle Saint-André, une petite chapelle qui borde le bas-côté nord ; l’une des chapelles de cet édifice qui n’a pas de vocation funéraire. L’endroit est destiné à la dévotion personnelle, mais aussi aux services et baptêmes qui ont lieu pendant la semaine et ne nécessitent pas l’utilisation du chœur et de la vaste nef. Peter Brandes a donc conçu les éléments nécessaires à cette fonction : un autel, un retable d’autel, un baptistère…, le tout en préservant les quelques fresques déjà présentes. Selon l’artiste, « ce devait être un espace qui, d’une manière ou d’une autre, devait concentrer, réunir, ce qui – si l’on peut dire – est l’essence de la chrétienté. C’est-à-dire la naissance et le baptême du Christ, sa crucifixion et sa résurrection » (catalogue d’exposition, p. 9, traduit du danois). Effectivement chacun des éléments qui organisent de manière nouvelle cet espace participent à évoquer cette essence du christianisme. Nous en décrivons ici quelques-uns :
-Le baptistère est coulé en bronze. Il est orné d’une figure qui lève la tête vers la « plateforme » où se trouve l’eau. Il s’agit d’une représentation du baptême de Jésus, exprimant ainsi le lien essentiel entre chaque nouveau baptisé et le premier d’entre eux, le Christ.
Ci-dessous : le baptistère conçu par Peter Brandes,
chapelle Saint-André, cathédrale de Roskilde
© C. Levisse
-L’autel en céramique est plutôt simple, ses bords sont ornés de larmes, tandis que sur l’un des côtés apparaît la couronne d’épines et sur l’autre un agneau. Le choix de la céramique comme technique revêt une signification particulière pour l’artiste : une fois n’est pas coutume, l’autel est fait de terre, plutôt que de pierre ou de marbre.
-Dans la niche sur le mur qui se trouve derrière l’autel, Brandes a réalisé un retable d’autel en mosaïque dont le sujet est la crucifixion. Jésus est représenté uniquement par sa tête, penchée vers la gauche, appuyée sur une échelle ; l’échelle de la déposition. Il est traditionnellement encadré, plus bas, de Marie et de Jean. Pour ces derniers, l’artiste affirme avoir été inspiré par des dessins tardifs de Michel-Ange, dans lesquels Jean et Marie sont représentés au pied de la croix, nus. Ce choix les relie irrésistiblement à Adam et Eve. Brandes fut particulièrement séduit par cette idée puisque c’est une manière explicite et originale de lier la crucifixion au péché originel. Quant à la technique (mosaïque) et au fond doré non-figuratif, ce sont deux références à l’art byzantin.
-Sur le côté gauche de l’autel est percée une niche, dont la forme et l’ouverture évoquèrent chez l’artiste le tombeau ouvert du Christ et la résurrection. Il y a donc dessiné le corps du Christ grâce à quelques lignes serpentines tracées sur le marbre. Il réussit ainsi à suggérer à la fois la présence du corps du Christ dans la tombe, et son ultime disparition, laissant un linceul vidé de toute présence corporelle.
Ci-dessous, à gauche : la niche, chapelle Saint-André © C. Levisse
Ci-dessus, à droite : le vitrail, chapelle Saint-André © C. Levisse
-La chapelle reçoit la lumière du jour d’une unique fenêtre. Bien qu’il sentît qu’il était nécessaire de transformer cette fenêtre, Brandes renonça à créer un vitrail coloré, qui aurait spécialement nui aux fresques. Il opta pour un vitrail dessiné, c’est-à-dire sur lequel les motifs apparaissent uniquement par leurs contours. Le sujet est l’épisode biblique de la Transfiguration, pendant lequel Jésus emmena Pierre, Jacques et Jean sur la montagne pour leur révéler le mystère de sa nature divine, un moment pendant lequel il apparaît comme la lumière. Cette équation du divin à la lumière a particulièrement inspiré Brandes, qui confie : « Dans l’Évangile de Jean le Christ est en permanence décrit comme la lumière. Soudainement nous avons une fenêtre sur laquelle je place trois disciples qui s’agenouillent devant la lumière réelle, qui vient à l’intérieur de la chapelle, et qui s’agenouillent également pour le Christ et sa présence sur le Mont Thabor » (catalogue, p. 22, traduit du danois).
-Enfin, je mentionnerai pour finir la grille qui marque la séparation entre la chapelle et le bas-côté, conçue par Peter Brandes dans la lignée des autres structures de fer forgé qui signalent l’entrée de la plupart des chapelles de la cathédrale. Sur la grille, l’artiste a disposé plusieurs figures, parmi lesquelles on retrouve les symboles identifiant et représentant les douze apôtres, en relief. De la sorte, cet élément de la chapelle Saint-André est en lien avec la « porte du roi ». On notera aussi la présence de trois têtes sur la poutre verticale qui forme la partie supérieure de cette grille ; l’artiste les identifie comme le Christ, Marie/Eve et Jean/Adam ; une présence qui fait référence à la crucifixion, elle-même représentée sur le retable d’autel.
Ci-dessous : vue de la chapelle Saint-André depuis le bas-côté. On aperçoit la grille conçue par Peter Brandes, 2010 © C. Levisse
Pour l’artiste, l’achèvement de cette commission pour la cathédrale de Roskilde – monument classé au patrimoine de l’UNESCO et tombeau de la royauté danoise – est une réussite personnelle et professionnelle d’une ampleur particulière qu’il estime même être la plus importante réalisation de sa carrière artistique. L’artiste a d’ailleurs reçu une récompense, le prix annuel de la culture, décerné par la commune de Roskilde, pour laquelle il avait déjà travaillé à plusieurs reprises, dans le passé. Les créations pour le cathédrale de Roskilde ont donné lieu à de nombreuses esquisses et autres œuvres préparatoires qui sont exposées à l’Association artistique de Roskilde (Roskilde Kunstforening) jusqu’au 28 novembre 2010, une invitation à partager le processus de création qu’a parcouru l’artiste pendant les deux années consacrées à la réalisation de cette commande.
Caroline Levisse
22 novembre 2010
Les créations de Peter Brandes en milieu sacré :
-Vitraux pour l’église de Pindstrup, Danemark, 1997
-Vitraux de l’église de Vejleå, Ishøj, Danemark, 1997
-Décoration de l’autel pour l’église de Sejling, Danemark, 1998
-Fonds baptismaux de l’église Thomas Kingo, Odense, 2003
-Vitraux pour l’église de Gantofte, Danemark, 2004
-Vitraux pour l’église de Orange County Rescue Mission’s Village of Hope, Californie, USA, 2006
-Porte principale de cathédrale de Roskilde et chapelle Saint-André, Danemark, 2010
En cours :
-Rénovation et décoration de l’église de Galten
-Retable d’autel pour l’église de Noerremark
Sources :
Peter Brandes (et al.), Peter Brandes. Fra Tekst til tegn. Udsmykning til Roskilde domkirke 1, catalogue d’exposition, Roskilde, Roskilde Kunstforening
Sonia Sabinsky, ”I dag går jeg til opgaverne med større inderlighed”, in Nordjyske, 13 février 2010, http://www.nordjyske.dk/kultur/kunst.aspx?ctrl=10&data=165%2C3075746%2C2845%2C3