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Les fresques de l’église de Sæby (Danemark, 15ème- 16ème siècles)

L'église de Sæby [Saeby], construite en 1450, a d'abord été une église paroissiale ordinaire, dédiée à la Vierge Marie, jusqu'à ce que le Pape Pie II accorde en 1462 la permission pour établir un couvent de Carmes (Ordre du Carmel) dans ce village situé au Nord du Jutland, sur la côte Est.
Publié le 22 mars 2010

 

Fig. 1 : église de Sæby © Caroline Levisse

Depuis l’extérieur, l’édifice est une église danoise typique

 

 

L’église de Sæby [Saeby], construite en 1450, a d’abord été une église paroissiale ordinaire, dédiée à la Vierge Marie, jusqu’à ce que le Pape Pie II accorde en 1462 la permission pour établir un couvent de Carmes (Ordre du Carmel) dans ce village situé au Nord du Jutland, sur la côte Est. L’édifice est alors embelli et agrandi et devient l’église du monastère. La nef est allongée à l’Est et un nouveau chœur est construit, portant la longueur au sol de l’église à 54 mètres, ce qui en fait une église imposante en comparaison avec la taille du village et sa location. A cette occasion, la voûte est également élevée et devient une voûte à croisées d’ogives. On peut avoir un aperçu de la hauteur de la précédente voûte grâce à une fresque située sur le mur nord qui date d’avant la transformation de l’église paroissiale en abbatiale (fig. 2). Le transept et le clocher furent également ajoutés à cette époque, l’église étant achevée autour de 1520.

 

Fig. 2 :  Fresques sur le mur nord (1440-1460), antérieures aux transformations liées à l’installation des frères Carmes.

Sont représentées l’Annonciation, la Nativité et l’Adoration des Rois Mages ainsi que les scènes de la Passion du Christ. D’autres fresques datant de la même époque ont été dévoilées lors de la restauration au 20ème siècle, mais leur état était tellement mauvais qu’elles furent de nouveau recouvertes.

© Caroline Levisse

 

A peine quelques années après l’achèvement des transformations de l’église, en 1536, le Danemark adopte la Réforme et les monastères sont fermés. Outre l’église qui est conservée, les bâtiments du monastère de Sæby sont détruits. Les fresques, alors recouvertes, n’ont été remises au jour et restaurées qu’au début du 20ème siècle (1905-1906).
On reconnaît dans de nombreuses scènes peintes les silhouettes familières des « moines blancs ». L’ordre du Carmel est notamment connu pour l’importance particulière qu’il porte à la Vierge. Cette dévotion mariale transparait clairement dans le choix du programme iconographique des fresques qui ornent la voûte de l’église ; celles-ci sont en effet en grande partie dédiées à l’histoire de Marie. Réalisées sous la présence des Carmes, les fresques sont datées entre 1510 et 1525 et appartiennent, dans la classification stylistique des fresques danoises, au « gothique tardif ».

 

Fig. 3 : Ornementation des nervures et de l’arc brisé.

Deuxième croisée d’ogives de la voûte surplombant la nef (en partant de l’Est)

Source: base de donnée du Nationalmuseet

 

Traditionnellement, les scènes sont divisées en suivant les nervures de la voûte (en croisée d’ogives quadripartite), lesquelles sont soulignées par des chevrons de différentes couleurs. Le centre de la croisée d’ogives est quant à lui marqué par une ornementation florale de forme circulaire, tandis que les arcs brisés, marquant la séparation de deux croisées d’ogives, sont eux agrémentés de motifs floraux et/ou géométriques (fig. 3).

Les fresques figuratives que l’on peut admirer aujourd’hui sont disposées au niveau des parties supérieures des murs, sur les deux croisées d’ogives qui recouvrent le chœur, ainsi qu’au niveau de la croisée d’ogives suivante, recouvrant la partie Est de la nef.

 

•Les fresques du chœur : Joachim, Anne et Marie

 

Première travée :

Fig. 4 : vue d’ensemble des fresques de la première travée à l’Est, au-dessus du chœur 

(orientation : bas de l’image = Ouest)

© Caroline Levisse

Sur la partie ouest de la première travée sont représentés Joachim et Anne, âgés et en mal d’enfant, alors qu’ils se rendent au temple pour faire un sacrifice. Leur sacrifice est rejeté par les prêtres et les époux s’en vont prier chacun de leur côté (voir l’image) ; prière au cours de laquelle ils vont recevoir la certitude de la venue d’un enfant. Le moment de la séparation est représenté au Sud, la prière de Joachim à l’Est et celle d’Anne au Nord.

 

Deuxième travée :

 

Fig. 5 : Les retrouvailles de Joachim et Anne devant la porte dorée

Partie Est de la deuxième travée en partant de l’Est

© Caroline Levisse

 

Sur la partie Est de la deuxième travée, Joachim et Anne apparaissent alors qu’ils se retrouvent et s’embrassent devant la porte dorée, comme l’avait révélé l’Ange (fig. 5). La prière des époux ayant été exaucée, la scène suivante évoque la naissance de Marie et l’on voit Anne allongée dans un lit et allaitant, sur la partie Sud de la travée. A l’Ouest, c’est la présentation de Marie au temple qui est représentée, tandis que la partie Nord montre l’engagement de Marie avec Joseph. On remarquera que le prêtre qui célèbre leur union est revêtu des habits épiscopaux…

 

•Dans la nef : le Jugement dernier

 

 

Fig. 6 : vue d’ensemble des fresques de la troisième travée en partant de l’Est

(Orientation : la gauche de l’image = l’Est)

© Caroline Levisse

 

Les fresques de la troisième travée peinte (fig. 6) se développent autour du thème du Jugement dernier, représenté sur la partie Est de la croisée d’ogives. Le Christ est placé au centre, assis et enveloppé d’un manteau de couleur pourpre, arrangé de manière à ce que les stigmates apparaissent. De chaque côté de sa tête sont disposés un lys et une épée (miséricorde et jugement). A sa droite, Marie est agenouillée et plaide en faveur des hommes ; trois moines carmélites sont représentés s’abritant dans le manteau de la Vierge, les mains jointes et tendues vers le Christ, implorant sa miséricorde. A la gauche du Christ-Juge est placé saint Jean-Baptiste, aux pieds duquel on voit des personnages qui sortent de leur tombe : deux femmes en buste nues, les mains dans leurs longs cheveux – un geste qui semble être en opposition avec les attitudes de prière des être humains qui sont à la droite du Christ.

Sur les parties nord et sud de cette travée apparaissent les deux conséquences du Jugement dernier pour les hommes : au Sud (à la gauche du Christ) se trouvait l’Enfer dont il ne reste aujourd’hui presque plus rien ; au Nord, c’est le Paradis qui est représenté (en bien meilleur état de conservation). On y voit saint Pierre en train de glisser une clé dans la porte d’une ville grandiose – probablement la Jérusalem céleste. Une foule se presse à la porte, derrière saint Pierre, alors que certains ont déjà été admis à l’intérieur.
Enfin, la partie Ouest de la croisée d’ogives montre une scène plus étonnante, inhabituelle. Il s’agit d’un homme dans un lit auprès duquel se tiennent un jeune homme et une femme (voir l’image).  Il semble que l’homme alité vienne de mourir et que son âme – représentée comme un petit être humain nu – soit dévorée par un monstre, pendant qu’un ange pleure à son chevet. Ce monstre  bicéphale est un exemple de l’imagination prolifique des peintres médiévaux, qui n’ont  pas hésité à peupler les fresques des églises danoises de créatures fantastiques.

 

D’un point de vue stylistique, ces fresques font montre d’une grande unité aussi bien dans le dessin que dans la gamme des couleurs ; les vides entre les personnages sont comblés par de petites étoiles en ocre rouge, ce que l’on retrouve dans de très nombreuses fresques  d’église danoises.

On remarquera pour conclure comment les scènes bibliques ne sont pas figurées sans tout un appareil de "mise en narration". En effet, sont peints, dans chaque coin formé par les nervures des croisées d’ogives, des personnages curieux, que l’on pourrait peut-être appeler des « narrateurs » (fig. 7 et 8). De leur bouche grande ouverte s’échappe la tige d’une fleur imaginaire dont la corolle s’ouvre à son tour pour faire apparaître un moine carmélite que l’on reconnaît à son habit blanc et sa tonsure. Celui-ci prend différentes attitudes à différents endroits : il est parfois représenté en prière, à d’autres endroits il tient un livre, ailleurs encore, il porte une banderole (phylactère). Dans tous les cas, le phylactère est présent auprès de chaque scène narrative, qu’il décrit et commente en latin. Notons que cette « mise en narration » des scènes religieuses est aussi une très bonne solution plastique pour combler les espaces étroits et malaisés que sont les coins et pour réserver l’espace central à la représentation principale.

 

       

Fig. 7et 8

© Caroline Levisse

 

 

 

 

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Sources :
– Livret en anglais publié par la paroisse de Sæby. Texte écrit par Poul Geil et traduit du danois par Agnete Etheridge (2000)
– Site internet du Musée National (National museet, Copenhague), dédié aux fresques présentes dans les églises danoises : http://kalkmaleriinfo.natmus.dk/index.html

 

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