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L’art « ecclésial » de Grete Refsum

Depuis maintenant presque 25 ans, l'artiste norvégienne Grete Refsum développe une pratique artistique spécialement dédiée à l'expression de concepts chrétiens ou religieux, une « théologie visuelle »...
Publié le 15 mai 2010

 

 

Fig. 1 – Grete Refsum, Binding Together, 2010, installation temporaire, cathédrale d’Oslo, en partenariat avec Amnesty International  © Caroline Levisse

 

Le 18 avril 2010 la cathédrale d’Oslo a de nouveau ouvert ses portes après trois années de restauration. A l’occasion de sa réouverture, la cathédrale (sa paroisse et le diocèse) entend se placer dans une nouvelle dynamique d’ouverture au monde contemporain et à sa culture. Parmi les évènements organisés, l’artiste norvégienne Grete Refsum (née en 1953) a installé dans la cathédrale son installation participative intitulée Binding Together [Unir, ou Attacher ensemble]. L’artiste a rassemblé une grande quantité de morceaux de tissus de couleurs et de textures différentes, une pile dans laquelle chacun peut choisir un morceau, le découper et ensuite le relier à un autre, auparavant accroché par quelqu’un d’autre. Au fil du temps et de la participation des visiteurs de la cathédrale, le pan de liens en tissu devient de plus en plus grand et son support est remonté, l’installation prenant fin lorsque le réseau de morceaux de tissu se déploie depuis le plafond jusqu’au sol. Contrairement à son habitude, l’artiste n’a pas pour cette œuvre travaillé avec une notion spécifiquement chrétienne car elle souhaitait que l’installation, réalisée en partenariat avec Amnesty International, ne s’adresse pas qu’aux chrétiens mais à tous, indépendamment de l’opinion religieuse de chacun. Cependant, face à quelques détracteurs, Grete Refsum rappelle qu’Attacher ensemble n’est pas non plus une œuvre non-chrétienne1. Elle dépasse le cadre unique du christianisme et doit « visualiser et refléter les personnes qui ont été dans l’espace de la cathédrale et leur activité », afin de mettre en avant – en lien avec les actions d’Amnesty International – l’interminable structure en réseau de la bonne volonté au travers le monde », qui se matérialise concrètement dans l’installation grâce à la participation de chacun2. La création de ce réseau de morceaux de tissu dans une église n’est pas sans évoquer l’une des étymologies parfois avancée, mais souvent réfutée, du mot « religion » : religare, c’est-à-dire en latin « relier »…

 

  • Penser les questions religieuses en termes de formes : une « théologie visuelle »

Binding Together n’est pas la première œuvre que Grete Refsum crée pour un endroit religieux. En effet, comme suggéré précédemment, c’est l’ensemble de sa création qui est centré sur la religion, puisqu’elle est animée du désir de « réinterpréter les idées chrétiennes d’une manière qui ait un sens pour notre époque »3. Exceptionnelle dans le domaine de l’art contemporain, une telle démarche mérite d’être présentée ici. L’objectif ultime de Grete Refsum est d’essayer de faire de l’Eglise un endroit où nous pouvons être, un endroit qui a du sens pour les personnes d’aujourd’hui, car elle est convaincue que la communauté chrétienne manque d’ouverture, c’est-à-dire que par peur tout autant que par incompréhension de la culture contemporaine, l’Eglise a trop souvent tendance à choisir de se replier sur elle-même plutôt que de prendre le risque du changement et de l’ouverture4. Les exemples ci-dessous le montreront, la démarche de Refsum est particulière, c’est une « réflexion en action », mêlant de manière égale la recherche théorique et la pratique artistique5.

 

 

Fig. 2 – Grete Refsum, Divided Crucifix, vue des pièces 4 et 5 de l’installation, église de Strømsgodset, Pâques 2003 – © Grete Refsum

 

  • La croix et le défi de la Résurrection

Convertie au catholicisme à l’âge adulte, son processus de conversion puis son dialogue avec la foi chrétienne ont toujours été accompagné d’une recherche visuelle. Ainsi, alors qu’elle découvrait sa nouvelle foi et son retour au christianisme, la mort sur la croix et le mystère de la Résurrection représentaient pour elle deux défis. D’abord le problème des formes, selon elle, trop traditionnelles et « déprimantes », souvent prises par les crucifix qui trônent dans les églises et ailleurs, l’incita à chercher une forme pour la croix, une expression visuelle de la Passion, différente. Par ailleurs, en conjonction avec cette préoccupation, l’artiste engagea aussi un processus de réflexion au travers de la mise en forme de la Résurrection et son paradoxe, qu’elle avait dans les premiers temps le plus grand mal à accepter avec paix, c’est-à-dire en allant au-delà de la souffrance et de la cruauté extrêmes représentées par la mort sur la croix : « comment cette scène de torture peut-elle être un symbole positif ? Visuellement, le crucifix communique l’opposé de son contenu symbolique. […] A notre époque, la plupart des gens ne sont pas familier avec le Nouveau Testament. Comment, alors, la croix et le crucifix peuvent-il fonctionner comme symboles du Christianisme pour la société contemporaine sécularisée ? »6. C’est donc principalement ce sentiment qui a motivé l’artiste : les formes présentes dans les églises ne remplissent plus, ou pas assez, leur rôle de porteurs du message chrétien et de son espérance. Elle s’est alors engagée dans une recherche personnelle, autant artistique et visuelle que théorique et théologique7.

Après presque dix années d’expérimentations pratiques et de réflexions théoriques, Refsum réalise une série d’œuvres intitulée Crucifix divisé [Divided Crucifix] qui, depuis son placement dans la cathédrale d’Oslo à Pâques 1994, a été montré et utilisé dans de nombreuses églises comme ici en 2003 dans l’église de Strømsgodset (Fig. 2). Le schéma suivant montre l’ensemble des cinq sculptures réalisées en fils métalliques, liés selon une technique inventée par l’artiste qui crée une structure méandreuse à la fois légère et très dense (Fig. 3). Abandonnant ici la forme traditionnelle de la croix, l’artiste a divisé le crucifix en cinq « étapes », cinq sculptures de taille humaine, qui correspondent à cinq moments de l’histoire biblique de la Passion du Christ et sa Résurrection : l’entrée à Jérusalem, le Jeudi saint et l’institution de l’Eucharistie (où l’on voit que la boule centrale est partagée entre intérieur et extérieur), la prière, le doute et l’arrestation au Jardin de Gethsémani (cette fois la boule centrale a disparu pour laisser un emplacement creux et vide), puis le Vendredi Saint et la mort sur la croix, et enfin la cinquième sculpture représente le jour de Pâques et la Résurrection du Christ, elle montre la sphère dorée – représentant la nature divine du Christ – flottant parfaitement au centre de sa structure. La déconstruction du crucifix tel qu’on le connaît d’ordinaire en cinq pièces induit un mouvement qui est celui de la narration, du déroulement des évènements de la Semaine Sainte ; on remarquera que les cinq pièces qui ont la même forme de base, sont disposées de sorte que leur orientation diffère et donne aussi l’impression d’un mouvement.

Fig. 3 – Grete Refsum, Divided Crucifix, vue d’ensemble dessinée © Grete Refsum

 

  • Comment prier aujourd’hui ? Objets de méditation et de prière

  Ce travail autour de la croix amena l’artiste à entretenir de nombreux et fréquents contacts avec l’Église luthérienne d’Etat (Den norske kirke) et elle réalisa qu’il n’y avait pas, dans les églises protestantes, d’espace consacré à la prière et la dévotion personnelles et que le seul espace organisé pour la prière était celui, collectif, de la liturgie8. A partir de ce constat, sa création prit un nouveau tournant, s’orientant alors vers une réflexion sur la prière dans la société et l’Eglise contemporaines. Qu’est-ce que la prière aujourd’hui ? Comment peut-on prier ou méditer aujourd’hui ? Quels objets de prière contemporains ? Comment la réflexion visuelle sur la prière peut-elle être une voie vers davantage d’œcuménisme et de lien entre les diverses traditions religieuses ? Autant de questions qui se sont trouvées au centre de la recherche de Refsum.
  Boule avec des feuilles de bouleau [Ball with Birch Leaves], réalisée en 2001 (Fig. 4), marque le début de la réalisation d’objets liés à sa recherche sur la prière et la méditation. L’artiste en se promenant et en méditant au milieu de la nature ramassa des feuilles mortes : qu’en faire ? Elle décida de les intégrer dans un objet qui devient alors l’écho de son expérience méditative de la nature. Ayant réussi à réunir la religion et la nature dans un objet de prière, Refsum a continué ses investigations et a réalisé un certain nombre d’objets sphériques de structures métallique et incluant des éléments trouvés dans la nature : des branches et des feuilles, des morceaux de verre et des pierres, etc. L’inscription dans un lieu porté par la mémoire des éléments naturels inclus dans l’œuvre est très importante pour l’artiste car c’est une manière de s’inscrire dans la réalité et d’en ordonner les fragments.

 

Fig. 4 – Grete Refsum, Ball with Birch Leaves, 2001, fils métalliques et feuilles séchées de bouleau © Grete Refsum

Fig. 5 (à droite) – Grete Refsum, Good Friday Rosary, 2002 [Rosaire du Vendredi Saint]  ©  Grete Refsum

  Dans cette recherche autour de la prière, Grete Refsum s’est bien entendu tournée vers un objet de prière bien connu à la fois à travers le temps et les cultures : le chapelet. L’intérêt est donc que non seulement avec un tel objet comme référence, des liens peuvent être établis entre différentes traditions religieuses, mais aussi qu’en le retravaillant, il peut être une manière d’introduire des objets supports à la dévotion privée dans l’Église luthérienne. Le rosaire, dont la dévotion est portée vers la Vierge, est peu adapté au contexte protestant, c’est pourquoi l’artiste fait référence au « pater noster », au chapelet comme récitation du Notre Père. Suivant un principe similaire que celui mis en place avec les « Prayer Balls » (Boules de prière), les chapelets créés par Refsum sont composés d’éléments trouvés dans la nature ou dans son environnement. Ainsi elle fabriqua à New York au début des années 2000 un chapelet dont les perles sont des bouts de verre tranchants provenant de bouteilles abandonnées dans l’atelier par son prédécesseur, qu’elle a cassées. Ce chapelet a été réalisé alors qu’elle collectait les coupures de journaux relatant l’histoire d’un évêque américain accusé d’avoir couvert un prêtre pédophile. Plus proche de la forme traditionnelle du chapelet, l’œuvre Ora pro nobis est probablement la plus emblématique de sa recherche sur la prière.
  A l’origine de ce travail, Ora pro nobis, il y a, cette fois, le sentiment d’impuissance ressenti par Refsum à la lecture des combats en Palestine et de la détresse de ce peuple : comment réagir face à l’afflux quotidien de terribles nouvelles concernant l’état du monde et de l’humanité ? Dans l’un des articles consacrés à cette crise, une femme palestinienne sollicitait les occidentaux à « priez pour nous » ; cet appel a profondément touché l’artiste, d’où le titre donné à ce travail : « Ora pro nobis », qui signifie en latin « priez pour nous ». Elle a découpé et collecté le ou les articles liés aux affaires étrangères convoyant des mauvaises et tristes nouvelles pour en former une boule, une action chaque jour répétée, jusqu’au centième. Refsum a ensuite assemblé les cent boules obtenant ainsi une chaîne longue de plusieurs mètres, qu’elle désigne comme un Pater Noster ; un chapelet naît de la matérialisation d’une prière pour le monde et ses souffrances.

Fig. 6 – Grete Refsum, Ora pro nobis, 2008-2009, ici dans

l’église de Skøyen, Oslo – © Grete Refsum

 

  La recherche artistique et religieuse a toujours, chez Refsum, pour but d’organiser l’expérience humaine. Ce que l’on sent, ce que l’on perçoit, sont des sentiments sur lesquels il est difficile de mettre des mots, des sentiments qui peuvent être destructeurs s’ils ne sont pas extériorisés et canalisés ; c’est précisément à ce niveau que Refsum intervient : elle organise les morceaux épars de son expérience, elle les rassemble au sein d’une structure qui fait sens (le chapelet ou la sphère par exemple) et qu’elle replace ensuite au sein du Christianisme parce que celui-ci est pour elle le cadre dans lequel elle peut donner un sens à sa vie et connecter ses propres expériences et émotions à quelque chose de plus grand9. En partageant ses objets, en les montrant, en les utilisant dans le cadre de la liturgie, elle espère communiquer à chacun la possibilité d’organiser ses émotions, ses réactions et ses expériences, des plus gaies aux plus dévastatrices, par l’intermédiaire d’un acte de création qui est un acte d’organisation, de mise en ordre du chaos de la réalité.

 

Différentes "sphères" ou "Balles de prière" de Grete Refsum, installées

dans la cathédrale d’Oslo en 2002 © Grete Refsum

 

 

  • Usage liturgique : l’exemple de l’église luthérienne de Skøyen à Oslo

  Grete Refsum a eu à plusieurs reprises l’occasion d’intégrer et de partager ses œuvres et sa réflexion dans des églises, à la fois protestantes et catholiques, soit de façon temporaire, soit dans le cadre de commission pour des créations pérennes comme par exemple les deux vitraux de l’église Saint-Dominikus à Oslo. L’exemple de l’église de Skøyen à Oslo est intéressant car la paroisse est très ouverte aux recherches et aux créations de Refsum et possède donc plusieurs œuvres de l’artiste.
  En permanence posé sur l’autel, on trouve d’abord l’un des objets de prière réalisé avec des morceaux de verre clairs assemblés à l’aide de fils métalliques pour former une sphère, une forme qui résonne avec le vitrail circulaire qui ouvre le mur du chevet.

   

Fig. 7 – Grete Refsum, Perle, autel de l’église de Skøyen, Oslo © Caroline Levisse

La paroisse possède aussi une autre installation qui est utilisée depuis plusieurs années pendant l’Avent. Il s’agit d’une grande croix en fils métalliques, qui est suspendue à quelques dizaines de centimètres du sol et au milieu de laquelle est formé un creux. La seconde partie de l’installation est une sphère métallique dorée, qui est suspendue à quelques centimètres du plafond lors du premier dimanche de l’Avent. Au fur et à mesure de l’avancée vers Noël, la boule est déplacée, elle change de position chaque dimanche, pour venir se rapprocher un peu plus de la croix, jusqu’aux célébrations de Noël, pendant lesquelles la sphère dorée est alors décrochée et placée dans le creux de la croix. Si l’on se souvient que pour Refsum, la sphère représente le caractère divin de Jésus ; elle affirme ici – de manière très visuelle – le mystère de l’Incarnation et de la double-nature du Christ, ainsi que le destin du nouveau-né dans la présence de la croix. Selon les pasteures de la paroisse de Skøyen, cette installation est très appréciée des paroissiens.

 

Fig. 8 – Grete Refsum, Christmas Manger According to Mark [Crêche de Noël selon saint Marc], église de Skøyen, Oslo © Grete Refsum  – Davantage de photographies de cette installation sur le site de l’artiste :  http://www.refsum.no/gallery/#1.0

 

Fig. 9 – Grete Refsum, Ora pro nobis, 2008-2009, panneau dans le bureau de la paroisse de Skøyen, coupures de journaux sur lesquelles l’artiste a inscrit le Notre Père en latin (vue d’ensemble et détail)  © Caroline Levisse

 
  La paroisse possède aussi l’un des « Pater Noster » réalisés par Grete Refsum, qui est parfois utilisé pendant la liturgie (Fig. 6). Dans le bureau de l’une des pasteures on trouve un panneau réalisé par l’artiste composé de cent photographies découpées dans des journaux et sur lesquelles est écrit – encore et encore – la prière du Notre Père. Il s’agit des photographies liées aux articles qu’elle a découpés pour former les boules du chapelet (Fig. 9).

  Dans la chapelle adjacente à l’église dédiée aux enfants et aux confirmants, on trouve une autre installation, cette fois prêtée par l’artiste à la paroisse, composée d’un ensemble de dix « boules », ou sphères, le tout intitulé Création :

 


Fig. 10 – Grete Refsum, Creation, chapelle des enfants, église de Skøyen, Oslo – vue d’ensemble et deux détails de l’installation © Caroline Levisse
– A l’origine, une onzième sphère, faite de lourds cailloux était placée par terre, dans le coin droit de la pièce, près du mur, mais elle est pour le moment endommagée

 

 

  • Conclusion

  Le présent article ne permet ni de présenter la création de Refsum de façon exhaustive ni de faire honneur à la diversité de ses initiatives ; cependant, à partir des exemples qui ont été présenté, il est possible d’identifier les principales caractéristiques de son travail, que l’on retrouve dans ses différents projets au fil des années :

 

•Les recherches menées par Grete Refsum sont souvent en lien avec un élément de la tradition qui doit être « renouvelé » ou repensé, comme c’est le cas pour la croix ou le chapelet/rosaire. Par ailleurs, cette démarche, qu’elle désigne comme une « théologie visuelle » est basée sur une connaissance de travaux théologiques passés et contemporains. L’artiste estime d’ailleurs que le travail de l’artiste – lorsqu’il est engagé dans une pratique liée à la religion et ses formes – est d’être en relation avec les idées les plus nouvelles des théologiens et de les « traduire » en termes visuels10. L’objectif n’est nullement de modifier le message chrétien (universel), mais plutôt de renouveler les manières visuelles (contextuelles) à partir desquelles il est communiqué.

•Le rapport de l’objet au corps humain est une préoccupation récurrente et essentielle chez Refsum. Tout d’abord, on remarquera que ses objets résultent d’une activité manuelle qui prend du temps et qui demande un savoir-faire. D’autre part, les œuvres sont pensées en fonction de l’interaction qu’elles entretiennent avec le corps humain. Par exemple, il est important que les « Boules de prière » soient d’une dimension qui permette de les tenir facilement et parfaitement dans la main. Mais aussi, dans la série des croix, Grete Refsum a créé des objets dont la taille et la forme permettent d’explorer des rapports différents entre la personne et l’objet dans le cadre de la prière. Cette orientation de sa recherche a fortement été influencée par sa pratique du tai-chi, un art martial chinois créé par des moines guerriers taoïstes. L’interaction du corps avec une balle de taille variable a inspiré à l’artiste le rôle de la sphère dans ses installations et sculptures, et sa position face à la personne en prière, comme le montre le schéma ci-dessus (Fig. 11).

Fig. 11 – Grete Refsum, New Insights, 1991, dessin  © Grete Refum

 

•La combinaison évoquée précédemment entre des éléments venant des traditions asiatiques et de ceux appartenant à la religion chrétienne est fréquente dans sa pratique artistique. L’artiste reconnaît d’ailleurs que c’est par la pratique de la méditation et du bouddhisme qu’elle est revenue vers la religion chrétienne11. Il est essentiel pour elle de promouvoir les caractéristiques qui rassemblent les différentes traditions spirituelles et religieuses du monde ; ainsi le chapelet est un objet utilisé dans le bouddhisme, l’islam, la chrétienté. L’œuvre dont un schéma est présentée ci-dessous (Fig. 12) s’intitule Le Chemin du Christ – le Chemin de Dao, est une parfaite illustration de cette volonté puisque l’artiste met en parallèle des prières et des concepts chrétiens avec des enseignements et des concepts taoïstes, afin de démontrer qu’il est possible de concentrer nos regards sur les ressemblances fondamentales plutôt que les différences. Au sein même du christianisme, Refsum œuvre à atténuer les différences afin d’encourager une pratique œcuménique et humaine de la foi12.

 
Fig. 12 – Grete Refsum, The Way of Christ – The Way of Dao, 2007, dessin de l’ensemble de l’installation et détail © Grete Refsum
– L’installation est composée de 17 panneaux carrés, chacun représentant un concept chrétien ou une notion taoïste plus ou moins proche, le dernier panneau, réunissant les deux traditions représente la « règle d’or » que les deux traditions ont en commun : aimer les autres plus que soi. Chaque pièce (50*50 cm) est faite à partir d’objets trouvés : des noisettes, des cailloux, des morceaux de verre…

 

•Les créations de Grete Refsum sont aussi souvent un rapport à la nature et à l’expérience de l’inscription physique et psychique d’une personne dans le monde. Dans ce sens, elle souhaite que l’art, et avec lui la religion, soit une relation à la réalité et non pas une fuite dans un monde idéal 13: l’art et la religion sont deux manières de conférer du sens à ce que l’on perçoit, ce que l’on sent, et l’expérience de la réalité (la nature, les autres…), bien réelle, ne doit jamais être évincée comme possible expérience relationnelle de Dieu.

•Enfin, ses recherches artistiques sont très personnelles, car leur point de départ, leur motivation, se trouve toujours dans un problème rencontré par l’artiste elle-même et qu’elle doit explorer pour elle-même. Ceci apparaît littéralement avec l’une des croix qu’elle a réalisées au début de son projet sur les crucifix : il s’agit d’une structure de fil métallique en forme de croix à son image, c’est-à-dire de poids et de taille identiques à elle (Fig. 13). Comme une conséquence de cet ancrage dans son histoire et son expérience propre, l’artiste affirme aussi que son art est très féminin.

Fig. 13 – Grete Refsum, Feminine Cross, 1979,

fils métalliques, H : 170 cm © Grete Refsum

 

  Au sein de la scène artistique contemporaine, Grete Refsum est une artiste originale ; elle est consciente de sa position et du fait que son entreprise – sérieuse et dépourvue d’ironie – de « théologie visuelle » ne favorise pas son intégration dans le monde de l’art. Elle est cependant convaincue du rôle qui revient aux artistes dans les Eglises chrétiennes : « La compréhension et les pratiques religieuses changent constamment au fil du temps, s’adaptant aux besoins culturels du moment. Puisqu’il y a une relation étroite entre une religion et sa culture matérielle, il est possible pour les artistes et les designers de jouer un rôle dans ses altérations. La théologie apporte les récits et les concepts que les artistes et les designers reflètent en images et artefacts. Les images, à leur tour, influencent la pensée théologique. Donc, en apportant de nouvelle matérialité religieuse, les artistes et les designers ont la possibilité de prendre part au développement de la pensée religieuse d’une culture »14. C’est bien ce qu’elle entend faire : avec ses installations visuelles et matérielles qui engagent le corps, suscitent un dialogue nouveau entre des traditions différentes, elle poursuit son désir de donner à la foi et à la méditation/prière une matérialité radicale, une forme contemporaine et une attitude décomplexée qui exigent la chute des murs qui trop souvent encore se dressent entre l’Eglise et la société…

 

Caroline Levisse – 11 mai 2010

 

Créations en contexte religieux de Grete Refsum :
-2004, vitrail, église Saint-Dominikus, Oslo
-1998, Chemin de croix, église St Laurentius, Drammen
-1996, vitrail, St Dominikus, Oslo

 

Sources :
Entretien avec Grete Refsum, Oslo, 20 avril 2010, les citations sont traduites de l’anglais
Site internet de l’artiste : http://www.refsum.no 
Grete Refsum a écrit un certain nombre d’articles et a participé à de nombreuses conférences ; quelques-uns des textes (souvent en anglais) sont disponibles en ligne avec une bibliographie : http://www.refsum.no/publications
 

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Notes

1. Grete Refsum dans un entretien avec l’auteur, Oslo, 20 avril 2010
2. Grete Refsum, site internet de l’artiste, cf: http://www.refsum.no/projects/binding-together [toutes les citations sont traduites de l’anglais ou du norvégien par l’auteur]
Grete Refsum, in “Theory for Praxis Exemplified by the Making of a Rosary Pearl. A Contribution to a Theory for Praxis for Artists and Designers” In Oslo National Academy of the Arts Annual Review, edited by P. Butenschøn. Oslo: Akademisk publisering, p. 212 ; en ligne : http://www.refsum.no/wp-content/uploads/publications/Refsum_Annual_Review2005.pdf
3. Grete Refsum, entretien, op. cit.
4. Cf. par exemple Grete Refsum, “Theory for Praxis”, 2005, op. cit.
5. Grete Refsum, in “Divided Crucifix. An Artistic Exploration of Cross/Crucifix Form in Relation to Contemporary Theological Knowledge”, Paper read at “Sensuous Knowledge: Creating a Tradition”, 26-28 October 2004, at Solstrand, Bergen, en ligne : http://www.refsum.no/wp-content/uploads/publications/Refsum_Sensuous2004.pdf
6. Grete Refsum a écrit plusieurs textes pour présenter cette recherche autour de la croix et ses aboutissements : cf. : Kors/Krusifiks. Kunsthistorisk oversikt over corsets/krusifikset utvikiling frem til reformasjonen og fremstillinger av kors/krusifiks for kirkelig bruk idag, mémoire de Master, Oslo: National College of Art and Design, 1991 ; “One Symbol – Plural Forms; Historical Models when Making Cross and Crucifix Forms Today”, in Pride & Predesign; the Cultural Heritage and the Science of Design. Proceedings of Cumulus Spring Conference, edited by E. Côrte-R, C. A. M. Duarte and F. C. Rodrigues. Lisboa: IADE, Instituto de Artes Visuais Design e Marketing, 2005 ; “Divided Crucifix. An Artistic Exploration of Cross/Crucifix Form in Relation to Contemporary Theological Knowledge”, Paper read at “Sensuous Knowledge: Creating a Tradition”, 26-28 October 2004, at Solstrand, Bergen ; ”Visuell teologi: presentasjon av skulturen Oppdelt Krusifiks”, in Kirke og kultur, 2/3, 2003: 177-185. Sur le site internet de l’artiste on trouve aussi de nombreuses photos des différentes installations de ce projet, montrant qu’il a pris différentes formes avant d’aboutir à Divided Crucifix : galerie en ligne : http://www.refsum.no/gallery/#home
7. Grete Refsum, entretien avec l’auteur, op. cit.
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Ibid.
11. Cf son article consacré à cette oeuvre : “The Way of Christ – The Way of Dao. Exploring Liturgy through the Production of Artefacts”. Paper read at The Art of Research. Connections between Research and Art/Design Practices, 1-3 October, at University of Art and Design Helsinki, 2007, disponible en ligne : http://www.refsum.no/wp-content/uploads/publications/Refsum_Helsinki_2007.pdf ; et voir aussi Grete Refsum, “The Way of Christ – The Way of Dao. Artifacts at the Crossroads of Western and Asian Religion”, in Theology in Built Environments. Proceedings. 2nd International Conference on Theological Aesthetics “Beyond von Balthasar”, edited by S. Bergmann. Frankfurt am Main and London: IKO – Verlag für Interkulturelle Kommunikation, 2009
12. Cf. entretien avec l’auteur, op. cit.
13. Grete Refsum, in “Ora pro Nobis: Development of Western Meditative Traditions through Form” Paper read at The Art of Research Conference; Processes, Results and Contributions, 25-26 November 2009, University of Art and Design (TAIK), Helsinki, en ligne : http://www.refsum.no/wp-content/uploads/publications/Refsum_TAIK_2009.pdf

 

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