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Google et la Cathédrale de Chartres

Quelle offre documentaire propose le célèbre moteur de recherche sur Notre-Dame de Chartres ?
Publié le 19 avril 2010

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Henri Le Secq, Mission héliographique (1851)

 

 Au cours des promenades qui nous perdent parmi les milliers de pages de cet immense "greffe où est déposée l’âme humaine" (E. de Goncourt),et malgré les nombreuses glanes dont on peut revenir les poches gonflées à l’excès, localiser les ressources numériques adéquates relève de l’exploit sportif.

 

Les véritables ressources existent: celles qui aident le chercheur, intéressent le lecteur, ouvrent des horizons qui ne soient pas cent fois ressassés par les copieurs-colleurs. Elles existent, nous les avons rencontrées. Mais il est vrai qu’il faut une certaine patience pour les déceler dans le magma d’informations qui encombrent le web.

 

Prenons l’exemple de la cathédrale de Chartres et du moteur le plus en vogue, Google.

 

 Certes, on m’objectera qu’il s’agit d’un exemple "culturel", "artistique" ou "touristique", et qu’un moteur de recherche ajuste mieux ses réponses quand il s’agit de trouver sa route, réserver un vol ou lire la presse.

 

Mais supposons aussi qu’à l’image du citoyen normal nous ne disposions d’aucune bibliographie maison, d’aucun dictionnaire historique portatif ni d’aucune encyclopédie à domicile. Et qu’en revanche nous ayons la chance de bénéficier d’un accès illimité à Internet.

 

Ne procéderions-nous pas alors à l’interrogation par excellence? Google! L’onomatopée milliardaire souffle dans le ballon et éparpille en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire 463 000 résultats intitulés "Cathédrale de Chartres". Invérifiable résultat, bien entendu, mais saillant de tous ses muscles, et nous sentons déjà notre cortex se réjouir de tant d’exhaustivité: 463 000, c’est un tour d’horizon assuré, rien ne manque, la quantité prouve ex abrupto la qualité.

 

résultats google cathédrale de chartres.jpg

 

Le temps n’est certes plus des vieilles bibliothèques impérieuses dont le guichet sourcilleux garantissait des heures de recherche sous le regard du conservateur, seul à connaître la "bonne cote" – mais la quantité a fini par jouer à son tour le rôle de ralentisseur du savoir. Le nombre de ressources refroidit mieux que le plus revêche des gardiens. Les bibliothèques poussiéreuses lézardées d’imprimés malodorants n’ont qu’à bien se tenir devant cette pompeuse page de marbre blanc de Google. Inodore et post-moderne, elle affiche les impérissables résultats de l’équation. Solennel moment du but atteint: on a appuyé sur "enter" et la greffe cérébrale s’est produite. On est subitement intelligent comme un annuaire des télécoms.

 

 Pourquoi l’annuaire? Parce que, bien entendu, la quantité nous laisse abasourdis, c’est un volume indéplaçable, inabordable, présenté sans dynamique et sans analyse, sans décomposition des sphères de sens, des champs lexicaux, de la variété de directions dont l’internaute a besoin pour construire ses connaissances. Par contraste, le moteur Kartoo (voir illustration ci-dessous) tâche de cartographier ces rosaces de sens.

 

kartoo, un exemple d’analyse lexicale.jpg

 

Un moteur de recherche traditionnel, en revanche, sous les espèces d’une liste monotone où apparaissent vaguement les mots accrocheurs que nous avons nous-mêmes tapés, aligne au kilomètre un empilement improbable de lexiques. Certes, ces résultats, comme cela a souvent été observé, sont triés par pertinence. Encore faudrait-il savoir de quel bien-fondé la "Cathédrale" fait ici l’objet, de quelle "convenance" les résultats font la preuve? Les deux trois vignettes qui agrémentent ce voyage de la famille Fenouillard au catalogue des encombrants du "Chartres" virtuel ne trompent personne.

 

En première analyse, qu’obtenons-nous? Tout d’abord, des sites participatifs, ecclésiaux, personnels ou électoraux qui à l’évidence bénéficient d’un trafic dense qui les a propulsés en tête du box office : Wikipedia, le diocèse de Chartres, les vitraux, l’Unesco et sa fiche médicale du monument, un étrange "dinosoria" sur les "mystères" du lieu…

 

Bref, pas une source citée soigneusement, pas un texte de référence, pas un "portail" dédié aux documents qui permettraient de lire la Cathédrale sous d’autres aspects que ses mensurations. Nul moyen d’échapper à l’historicisme ambiant et à l’ésotérisme grimpant.

 

Il faut attendre la page 2 et le quatorzième résultat (mais qui va jusque-là ?) pour accéder aux Archives départementales d’Eure-et-Loir et lire un texte illustré intelligemment de gravures et de sources manuscrites dûment légendées. On y trouve en particulier un portail "Histoire de la cathédrale de Chartres à travers les archives" passionnant, qui permet de visualiser entre autres le contrat de l’architecte Jehan de Beauce en 1506 pour la reconstruction du clocher nord détruit par la foudre. Ce texte manuscrit est numérisé et le simple passage de la souris permet de déchiffrer le moyen français. On peut ainsi s’initier à la paléographie.

 

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De manière plus générale, lire en détail l’url du site proposé par Google avant de cliquer dessus permet de rassembler certains éléments décisifs: page personnelle d’un amateur, galerie de photographies flickr, livre à vendre priceminister ou amazon. Tout dépend bien sûr du type d’informations recherchées. Mais pour ce qui est d’un bon article de fond, ou d’une analyse un peu poussée, qui nécessite par exemple d’ébaucher une première bibliographie sur le sujet, nous conseillons de pousser plus avant.

 

Ainsi, à la quatrième page (40ème résultat), après une mention à l’INA et à l’Universalis qui figurent à peu près au même rang, apparaît le portail Persée, le programme de publication électronique de revues scientifiques en sciences humaines et sociales. Pour peu que nous nous donnions la peine de rentrer à nouveau les mots "cathédrale de chartres" (en prenant soin de les entourer de guillemets pour réduire le bruit) dans le moteur de recherche du portail Persée, nous obtenons 117 articles scientifiques (encadré de gauche).

 

Hormis le fait que les fameux poèmes de Charles Péguy issus de la Tapisserie de Notre-Dame nous soient seulement offerts par le 58ème résultat de Google sur Wikisource, petite bibliothèque libre qui compte à ce jour 58000 pages de textes libres de droit, c’est à la 63ème position qu’on trouve la première proposition sérieuse en termes de livre imprimé consultable en ligne. En l’occurrence, il s’agit d’Internet Archive, bibliothèque numérique à vocation universelle, qui compte à son catalogue quelques monographies importantes numérisées en couleurs. D’une part la Cathédrale de Chartres d’Etienne Houvet en deux volumes, Portail Nord et Portail Sud. D’autre part, le magnifique Chartres (éd. de Clairefontaine 1908) de Huysmans, ouvrage accompagné de superbes photographies en noir et blanc, constitué d’extraits de son roman La Cathédrale (Stock, 1898, numérisé et consultable sur Gallica), dont la première page est si évocatrice:

A Chartres, au sortir de cette petite place que balaye, par tous les temps, le vent hargneux des plaines, une bouffée de cave très douce, alanguie par une senteur molle et presque étouffée d’huile, vous souffle au visage lorsqu’on pénètre dans les solennelles ténèbres de la forêt tiède.

 

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Arc-boutant côté nord, in Cathédrale de Chartres (Architecture), Etienne Houvet, 1925.

 

Toutefois comme le recommande la Revue Anglo-française numérisée par Google Books, l’un des textes les plus intéressants concernant la cathédrale est La Description historique de l’église cathédrale de Notre-Dame de Chartres d’Antoine-Pierre-Marie Gilbert (Garnier-Allabre, 1824, numérisé et consultable sur Internet Archive). Cet auteur cite lui-même Willemin comme un graveur qui aura su rendre avec nuance certains aspects de Notre-Dame de Chartres. Nicolas-Xavier Willemin a en effet publié en 1839 ses Monuments français inédits pour servir à l’histoire des arts (numérisé et consultable sur Gallica : il est conseillé de passer par la table en fin de volume, qui détaille dans l’ordre chronologique les légendes qui accompagnent les estampes) où se trouvent quelques merveilles que la New York Public Library a eu la bonne idée de numériser en couleur et en haute définition. On feuillette avec plaisir la reproduction du Trône de Dagobert encore visible sur le site Richelieu au Musée du Cabinet des Monnaies et Médailles, celle de l’épée de Charlemagne autrefois conservée à Nuremberg ou, pour revenir à la Cathédrale, de certaines statues de reines.

 

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Portique méridionale de la Cathédrale de Chartres.

in Monuments français inédits pour servir à l’histoire des arts depuis le VIe siècle jusqu’au commencement du XVIIe, par Willemin (1839).

 

Un ensemble également remarquable et qui mérite le détour est l’oeuvre du lithographe Nicolas Marie Joseph Chapuy, dont chacune des Cathédrales françaises dessinées d’après nature et lithographiées en 23 livraisons publiées de 1823 à 1831 chez Leblanc à Paris puis Engelmann à Strasbourg, porte le sous-titre Vue pittoresque de… En fait de pittoresque, la livraison consacrée à Chartres est effectivement une merveille. La liste complète des cathédrales immortalisées par Chapuy, telles qu’elles apparaissaient au voyageur sous la Restauration, se trouve sous ce lien.

 

En effet, la bibliothèque de Heidelberg a constitué une bibliothèque numérique remarquable, en couleur et en haute définition, consacrée à la gravure française. Une recherche plus poussée amènera l’internaute à feuilleter l’Histoire de l’art par les monumens de Seroux d’Agincourt (dont les tables d’architecture permettent de repérer quelles pages sont consacrées à la cathédrale ou à l’église de notre choix), ou encore L’Architecture du Vème au XVIIème siècle de Gailhabaud (Paris, 1858) où se trouve entre autres cette reproduction du portail méridional.

 

portail méridional de la cathédrale de chartres.jpg

 

L’exemple de la Cathédrale de Chartres appliqué à Google peut prêter à sourire. Il est vrai qu’en deux mois, les résultats de cette requête passent de 463 000 à 381 000: on peut se demander quelle catastrophe documentaire, quelque part dans le monde habité, a anéanti 82 000 réponses ? Cet exemple ne relève pas de la polémique gratuite. Il se trouve que nombre d’internautes n’empruntent plus les chemins de traverse de Yahoo ou de Msn. Et qu’ils n’empruntent pas encore ceux de Bing et d’Exalead, dont la formule n’est pas si éloignée à première vue de celle choisie par les fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin.

 

Ce bref tour d’horizon permet de dégager quelques constantes. Un moteur ne peut se substituer à une démarche bibliographique. Il favorise à son corps défendant la constitution de blocs de savoir rapidement cristallisés par leur popularité, c’est-à-dire propulsés en tête des résultats et produisant un effet boule de neige de sur-citation (copié-collé de la même source). Cela joue au détriment de la pluralité des sources et des opinions, mais pas seulement. En se détournant des outils méthodiques (répertoires du type Dmoz, se présentant comme des annuaires dégageant les sites de référence), les internautes ont fait le choix de plébisciter un moteur puissant et efficace – en dépit des critiques, c’est bien grâce à Google que tous les exemples cités ci-dessus ont été trouvés ! – qui ne classe pas les occurrences.en fonction de critères prédéfinis. L’expérience d’Exalead est à ce titre plus parlante, mais il faudrait poursuivre plus loin encore : organiser les résultats en fonction des besoins du client (itinéraire, visite, exposé scolaire, recherche savante…), décomposer le champ lexical en proposant des synonymes et des termes associés, analyser la provenance des réponses. Voilà qui aiderait considérablement l’internaute.

 

En attendant, on pourra se prêter à la songerie suivante : décrire les 463 000 résultats (ou 381 000…) du moteur en les explorant un à un, pour parvenir à rassembler les pièces du puzzle qui forment déjà la Cathédrale de Google…

 

Christophe Langlois

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