Dieu crée la lumière
Pour le plaisir de feuilleter les immenses scènes de la Création, et de mêler à la méditation des versets bibliques je ne sais quelle stupeur que l’image seule est capable de produire, rien ne vaut l’oeuvre de Gustave Doré.
La "Bible de Tours" fut publiée par Alfred Mame et fils en deux volumes en 1866. On doit cette nouvelle traduction de la Vulgate aux pères Pierre Janvier (1817-1888) et Jean-Jacques Bourassé (1813-1872). Le texte est orné par Giacomelli qui, au passage, a laissé un recueil de dessins originaux et d’épreuves consultables à la Réserve des Livres rares de la Bibliothèque nationale sous la cote RES G-A-18 (3).
Gustave Doré a livré ses dessins à plusieurs graveurs, Laplante, Ligny, Pannemaker, Pisan entre autres, comme il l’a fait pour illustrer les Contes de Perrault.
La bibliothèque numérique Internet Archive nous en offre un aperçu somptueux en mettant à notre disposition The Doré Bible Gallery publiée en 1890 par Henry Altemus (Philadelphie). Les gravures apparaissent dans toute leur netteté, et l’évangile sous le burin de Doré est enseveli sous des ombres majestueuses auxquelles ne manque que le texte. Par ailleurs, cette Gallery ne présente pas l’intégralité des planches présentes dans l’édition originale.
En revanche, le site bible.evangiles.free.fr propose la lecture du texte biblique, même si les vignettes de Gustave Doré paraissent petites placées en tête de chaque page. Certes, d’un clic il est possible de les agrandir, mais c’est alors en perdant le texte… Le résultat graphique a cependant des qualités, des nuances, que n’a pas le premier document cité :
D’un site à l’autre, on verra ainsi réemployées de manière plus ou moins heureuse les illustrations de Doré dont les effets puissants de mise en scène, les troncs ployés et les attitudes solennelles semblent devoir encore servir des propos relativement orientés. Ainsi, le site creationism.org nous présente-t-il cette gravure-ci pour illustrer la création d’Eve:
Tandis que bible.evangiles.free.fr retient celle-ci :
On notera la similitude entre les deux estampes (position des corps, provenance de la lumière), mais deux détails notables : la nudité d’Adam n’est plus le fait d’une providentielle chute de végétaux sur les cuisses du jeune homme, mais procède du soin tout paternel d’un Créateur qui semble avoir pris un peu d’avance sur le péché originel… Et surtout, comment interpréter la disparition de la silhouette patriarcale dans cette source lumineuse aussi diffuse que confortable ? Serait-ce le prix de l’édition américaine de Gustave Doré ? Dieu aurait-t-il perdu l’apparence humaine en passant l’Atlantique ? Ou l’artiste lui-même a-t-il produit deux dessins, dont l’un respecterait à la lettre l’interdit de représentation du Très-Haut présent dans le deuxième commandement?… (au passage, signalons douze pages de Jean-Michel Maldamé, théologien et mathématicien, qui font le point sur la notion de créationnisme, consultables sur le site domuni.org)
La question reste ouverte : cependant à qui souhaite scruter le visage de YHWH, l’autre édition américaine, celle de Philadelphie, offre le loisir d’admirer l’équilibre de la composition, entre le regard surplombant de Dieu, tout en majesté, contemplant la beauté de la femme, celle-ci interdite devant le sommeil d’Adam, et la tête ballant en arrière de ce dernier, proche de l’extase, dont les traits baignés de la clarté divine semblent s’offrir au Père. Mouvement même de l’amour créateur, circulation du souffle trinitaire qu’a su dessiner Gustave Doré, interprétant à sa manière la relation unique entre Dieu et l’homme qu’il a fait "homme et femme", à sa ressemblance. La détente, l’inconscience même d’Adam, semblent le moteur de cette relation mystérieuse, comme pour rappeler le psaume:
Dieu comble son bien-aimé quand il dort !