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BRANCUSI, le spirituel dans la sculpture

« La sculpture ne fait que commencer », tel est le titre qu’Ariane Coulondre et les autres commissaires de la grande rétrospective Brancusi au Centre Pompidou ont donné à l’exposition actuelle. Et l’on sent, dans l’énergie de cette phrase empruntée au sculpteur, toute la force et le rayonnement d’une entreprise artistique qui a changé le cours de l’art au premier XXe siècle. Car Brancusi est un des grands inventeurs de la sculpture contemporaine.
Publié le 28 mai 2024
Écrit par Paul-Louis Rinuy

Constantin Brancusi, Le Baiser, 1907, pierre, Musée d’art de Craiova, Craiova
Succession Brancusi – All rights reserved Adagp, Paris 2024
Crédit photographique : The Art Museum of Craiova, Roumanie

Avec plus de 120 œuvres en trois dimensions, des dessins, des photographies, des films, et même des disques, la manifestation nous fait entrer de plain-pied dans l’inventivité de ce génie qui révolutionna l’art de son temps. Né en Roumanie en 1876, Brancusi arrive à Paris vers 1904 après un voyage à pied de plusieurs mois. C’est là qu’il fréquente la prestigieuse École des Beaux-Arts avant de travailler dans l’atelier de Rodin. Pour solitaire et indépendant qu’il ait été sa vie durant, Brancusi était à ses débuts un brillant élève formé dans des institutions prestigieuses et officielles et sa venue en France est en réalité financée par une bourse de son pays, destinée à l’initier à l’art le plus moderne de son époque. Et c’est à Paris, dans le creuset de l’art vivant et novateur, que Brancusi commence à exposer dans les Salons des modelages proches du style de Rodin, qui sont remarqués par la critique. Très vite cependant, Brancusi rompt radicalement avec l’esthétique en vogue pour se mettre à tailler directement dans la pierre. Il invente en taille directe son célèbre Baiser (fig. 1) notamment, qui constitue le point de départ de toute la sculpture contemporaine. Présentée à l’exposition, ce couple d’amants géométrisés est d’une vigueur formelle impressionnante, accentuée par un traitement brutal et primitiviste de la matière, qui conduit à un éloignement radical par rapport à toute la sculpture figurative.

Constantin Brancusi, Le Coq, 1935, bronze poli sur un socle en pierre calcaire et bois
Achat 1947, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris
Succession Brancusi – All rights reserved Adagp, Paris 2024
Crédit photographique : Adam Rzepka – Centre Pompidou, Mnam-Cci/Dist. Rmn-Gp

Toute sa vie jusqu’en 1957, Brancusi demeure à la lisière de la figuration et de l’abstraction. Il simplifie ce qu’il voit, il stylise et géométrise, taille très rapidement la matière dure puis polit lentement la forme dans le marbre avant de la répliquer en un bronze qu’il retravaille tout aussi longuement. Le Coq (fig. 2) incarne par excellence cet élan de la verticalité, cette énergie de la forme idéalisée. Brancusi métamorphose un simple coq en un cri vertical, en un élan vers le ciel. Car, et l’exposition le met à maintes reprises en valeur, Brancusi choisit la blancheur du plâtre et du marbre contre le gris du monde d’ici-bas et privilégie l’axe vertical pour lier la terre et le ciel.

Constantin Brancusi, La Colonne sans fin III, avant 1928, peuplier
Legs Constantin Brancusi, 1957, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne, Paris
Succession Brancusi – All rights reserved Adagp, Paris 2024
Crédit photographique : Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP

Tel est le sens de la fameuse Colonne sans fin (fig. 3), que Brancusi invente dès 1920 puis utilise dans sa grande commande de Targu Jiu, en Roumanie, en 1937-1938. Ce Monument aux morts de la Première guerre mondiale a la particularité de se développer sur plus d’un kilomètre en intégrant aussi la Table du silence et, comme un arc de triomphe nouvelle manière, la colossale Porte du Baiser. La sculpture se définit ainsi comme un art de l’espace, une installation voire un environnement.

Toute l’exposition se déploie à partir de la reconstitution de l’atelier, que Brancusi a légué à sa mort à l’État français avec toutes ses œuvres, et qui se trouve partiellement remonté au cœur même de la manifestation. Quelle est la nature exacte de ce lieu, où Brancusi vivait, inventait ses œuvres et les dévoilait aux visiteurs en une savante théâtralisation ? Dans quelle mesure cet atelier nous parle-t-il aujourd’hui de la vocation de l’art contemporain, dans son exaltation de la vie humaine ? Brancusi n’a eu de cesse d’ouvrir la sculpture de son temps, dans sa forme comme dans sa signification. Et il a fait de chacune de ses œuvres la preuve que l’art est affaire de simplification, d’élévation, d’élan vers ce qui nous dépasse. Sans doute est-ce, plus que la notion de sacré ou de religieux, le concept de spirituel avec ce qu’il contient de mystérieux et de singulier, qui condense le mieux cette expérience d’homme et de créateur.  Avec Brancusi, le spirituel ne cesse de s’incarner dans la réalité matérielle de la sculpture.

— Paul-Louis Rinuy

 

Exposition Brancusi. Au Centre Pompidou jusqu’au 1er juillet 2024.
Très beau et riche catalogue sous la direction d’Ariane Coulondre, en forme d’abécédaire, 320 p., 45 euros.

Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition ici (clic)

 

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