Qui passe aux environs de l’abbaye royale de Fontevraud découvre dans ce lieu de culte quasi millénaire, fondé en 1101 et aujourd’hui désaffecté, un centre culturel au rayonnement considérable. L’ouverture en 2021 du Musée d’art moderne, pour accueillir la donation d’art contemporain de Martine et Léon Cligman, a revitalisé encore ce lieu insigne, riche en activités patrimoniales multiples, concerts, résidences d’artistes, expositions. Deux manifestations singulières, d’ordre éminemment spirituel, prennent un relief tout particulier en cette période liturgique.
L’exposition « Au fil du sacré, une mode en soie », regroupe, dans le dortoir et le noviciat de l’ancienne abbaye, des vêtements liturgiques catholiques du XVIIIe au XXe siècle. On y découvre des chasubles d’artistes aussi importants et reconnus que Manessier, Pierre Buraglio ou Jean-Charles de Castelbajac. C’est aussi le travail plus confidentiel d’ateliers comme celui de l’abbaye de saint-Wandrille ou l’atelier Grossé, en Belgique, qui est exposé et qui donne à voir l’inventivité de générations d’artisans-artistes, en quête de lumière, d’énergie, de joie.
La vaste nef de l’église abbatiale accueille, pour sa part, tout un ensemble de sculptures de Nicolas Alquin, regroupées en l’exposition « Elle et le chemin ». On y reconnait Marie et Elisabeth, associées en une Visitation qui fait du vide entre les deux femmes l’espace d’une véritable rencontre. Par delà l’Ange suspendu au-dessus des gisants médiévaux célèbres – Aliénor d’Aquitaine, Richard Cœur de Lion notamment, loin derrière dans la lumière du chœur, se découvre Le Nouveau né, trois poutres de bois verticales dont la couleur chaude contraste avec le blanc des murs et le dépouillement du volume.
Cette singulière Nativité me retient pour sa puissance mystérieuse depuis le jour où je l’ai découverte, il y a bientôt trente ans. Loin de l’image si douce du Christ bébé, allongé et entouré d’un halo de lumière, comme dans la Nativité du Corrège, la verticalité et la puissance des poutres de chêne parlent un langage plus sévère. Elles disent le surgissement radical d’une existence nouvelle, avec ce corps à peine ébauché, dont le visage ou les membres n’apparaissent pas encore clairement. La stature marquante de la poutre centrale est renforcée par les deux poutres de droite et de gauche, plus hautes, et qui composent une mandorle rayonnante.
Dans ces madriers de bois s’entrevoit aussi le métier de charpentier de Joseph, que Jésus a dû apprendre à ses côtés, et se dessine, dès Noël, l’instrument du supplice à venir et la porte d’une résurrection qui déchirera les ténèbres du quotidien.
Ce Nouveau-né irradie d’une vie sans pareille, à peine esquissée, toute fragile encore mais solide déjà. La contradiction interne de la figure – esquissée, fragile et solide à la fois – condense la puissance d’une sculpture, qui associe des poutres venues d’hier à l’avenir d’une vie nouvelle, née aujourd’hui et appelée à grandir.
Au cœur de cette église qui ne sert plus au culte, il est heureux de voir affirmé, dans la paix de Noël, le miracle de la vie, de toute naissance, où se croisent une vulnérabilité maximale et une énergie potentiellement infinie.
Paul-Louis Rinuy
Pour en savoir plus :
Abbaye royale de Fontevraud, 49590 Fontevraud-l’Abbaye
Musée d’art moderne de Fontevraud, collection Martine et Léon Cligman
Exposition « Au fil du sacré – Une mode en soie », jusqu’au 30 janvier 2023
Exposition « Alquin – Elle et le chemin », jusqu’au 6 mars 2023
Cliquez ici pour découvrir l’article d’Anna Leicher sur l’exposition « Au fil du sacré »