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Reprendre souffle

Echo visuel de l'effusion du Saint-Esprit lors de la Pentecôte, les vitraux de Bazaine irradient avec puissance et poésie, animés par l'énergie de la 'lumière-couleur' qui émerge du verre. Modernes et intemporels, ils sont l'expression vibrante et sensible de ce mystère, s'inscrivant naturellement dans l'architecture gothique de l'église Saint-Séverin.
Publié le 23 mai 2021
Écrit par Paul-Louis Rinuy
Vue d’ensemble de saint-Séverin, Paris Ve © D.R.

Cette modernité éclatante qui frappe notre regard, qui anime tout notre corps, a déjà plus d’un demi-siècle.

Il suffit d’entrer dans l’église gothique de saint-Séverin (Paris 5e) pour voir se dresser dans le fond, à travers une forêt de piliers derrière le chœur, un vif embrasement de plans colorés, de lignes rythmées qui flamboient dans l’obscurité de l’espace. Par-delà l’autel et la croix puis, surtout, l’étrange colonne torsadée au centre du déambulatoire, les modulations bleues de la double baie axiale ouvrent une profondeur marquante, tandis qu’à droite comme à gauche se déploient les tonalités multiples des vitraux chatoyants en lumières-couleurs.  Cette modernité éclatante qui frappe notre regard, qui anime tout notre corps, a déjà plus d’un demi-siècle. Le peintre Jean Bazaine (1904-2001) est âgé de soixante ans lorsqu’en 1964 le curé du lieu, Alain Ponsar, lui passe commande de huit vitraux sur le thème des sept sacrements.

 
Jean Bazaine, Le Baptême,  1969, vitrail réalisé avec Henri Déchanet, église Saint-Séverin © D.R.

Avant que nous discernions de près le jeu de ces agencements et de ces modulations de verres et de couleurs, l’énergie poétique de cette lumière-couleur de verre s’impose et nous attire.

A ce programme, qui aurait pu donner lieu à un ensemble de figures catéchétiques ou pédagogique, Bazaine répond dans l’esprit des formes abstraites et non figuratives qu’il invente en peinture depuis des années. Il imagine un ensemble de plans, de lignes et de couleurs en fusion et en mouvement pour suggérer et réveiller le mystère sans jamais l’expliquer ou l’illustrer. Avant que nous discernions de près le jeu de ces agencements et de ces modulations de verres et de couleurs, l’énergie poétique de cette lumière-couleur de verre s’impose et nous attire. Au centre, matériellement et symboliquement, le double vitrail consacré au Baptême nous plonge par ses bleus intenses orchestrés en rythme vigoureux, dans la profondeur de l’eau régénératrice, dans l’élan et le mouvement  de Pâques, qui constitue en fait le véritable début de l’année liturgique.

Jean Bazaine, La Confirmation, 1969, vitrail réalisé avec Henri Déchanet, église Saint-Séverin © D.R.

Ce vitrail est un des rares dans toute l’histoire de l’art qui fasse réellement écho à l’effusion de l’Esprit Saint lors de la Pentecôte.

Sur la gauche, l’œuvre qui nous retient en cette Pentecôte est la baie de la Confirmation. C’est un rougeoiement de rouges mêlés de jaunes, que relèvent, par effet de contraste, quelques plans bleus en modulations plus ou moins intenses. Ce vitrail est à mes yeux un des rares dans toute l’histoire de l’art qui fasse réellement écho à l’effusion de l’Esprit Saint lors de la Pentecôte, cette fin du temps pascal qui ouvre sur le temps dit ordinaire, le temps de nos jours où nous ourdissons la toile de nos vies communes et partagées. Sans doute vaut-il la peine de contempler ce vitrail en prenant soin  de «  lire l’histoire avec le tableau »,  comme le demandait Poussin à Chantelou en 1639 à propos de son tableau La Manne.

De fait, même si Bazaine avait voulu être  figuratif, il reste difficile de représenter, et même  de savoir au juste, ce qui a vraiment pu se passer ce jour-là dans le cénacle où se trouvaient réunis les apôtres (Actes des Apôtres 2, 1-13). Luc est d’abord plus auditif que visuel, il  décrit  « un bruit, tel que celui d’un coup de vent » qui remplit l’espace entier de la maison puis, sans relater l’évènement lui-même qui est comme le grand absent de ce texte, décrit simplement la vision commune qu’en eurent les apôtres – « ils virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu » – et la conséquence qui s’ensuivit, le don des langues. D’où les réactions générales : « Tous étaient stupéfaits et se disaient, perplexes, l’un à l’autre : « Que peut bien être cela ? ».

Perplexité, stupéfaction, questionnement, ces mots renvoient, plus qu’à des sentiments  singuliers à une réaction collective et partagée en communauté. Ils peuvent condenser aujourd’hui encore notre regard devant cette composition si dynamique et élancée de Jean Bazaine, réalisée en coopération avec le trop méconnu Henri Déchanet (1930-2019), peintre artisan verrier qui fabrique et agence ce verre à la fois matière et couleur. Un vitrail dans une église, c’est toujours une oeuvre collective destinée, à un collectif, une communauté. C’est la force et la fécondité du nous, de ce que nous avons en commun et fabriquons par le  partage de nos singularités. Nous, c’est beaucoup plus que je plus tu, que moi plus toi, car, en art, comme dans la vie, 1+1 ne font jamais simplement 2 mais 3, 4, 5 ou plus encore.

Jean Bazaine, L’Eucharistie, 1969, vitrail réalisé avec Henri Déchanet, église Saint-Séverin © D.R.

Son invention colorée, éveille notre désir de voir, de vivre, de nous demander, les uns les autres : Que peut bien être cela ?

La puissance colorée des pans de verre assemblés transforme les piliers et les murs de pierre en lignes vivantes, en forces dynamiques, en volumes qui accueillent et transportent tout notre corps. Dans l’architecture gothique, le vitrail, on le sait, remplace une paroi opaque en une cloison de lumière et de couleur qui clôt l’espace tout en ouvrant notre imagination, notre regard. Avec ce vitrail de la Confirmation, comme avec le vitrail voisin de l’Eucharistie, Bazaine joue à merveille de cette possibilité d’ouvrir l’espace par la lumière, la couleur et le mouvement de la composition même. Son invention colorée, éveille notre désir de voir, de vivre, de nous demander, les uns les autres : Que peut bien être cela ? Que pouvons-nous partager les uns avec les autres, en contemplant vraiment ces œuvres ensemble ?

Paul-Louis Rinuy

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