A l’heure où nous ne pouvons plus nous rassembler dans nos églises, ni même nous y rendre, je songe à la cathédrale de la Résurrection à Evry, consacrée en 1995. De fait, en ce temps tragique que nous vivons, les églises sont vides, ouvertes pour la plupart comme un mémorial du Saint-Sépulcre en attendant de redevenir le lieu de la communauté autour de la vie retrouvée, réinventée sans cesse et dans tous les sens.
La cathédrale d’Evry est un des grands projets d’architecture qui marque en France la fin du XXe siècle. Elle réunit l’Etat, la ville, l’Eglise, toutes ces personnes qui composent Evry dans sa réalité multireligieuse. Au sein de cette nouvelle agglomération, la cathédrale est proche de la mairie, et liée à un ensemble de bureaux, de commerces, qui forment « le clos de la cathédrale » dans l’esprit des cités médiévales. La cathédrale est dans la cité des hommes, comme l’est aussi la mosquée, à moins d’un kilomètre de là…
Si la brique intègre le bâtiment à son environnement immédiat, la forme choisie, un cylindre tronqué couronné d’arbres à l’aspect massif, voire fortifié, distingue radicalement le lieu de ce qui l’entoure. Mario Botta, l’architecte, a repris un principe qu’il a déjà utilisé dans la chapelle circulaire Santa Maria degli Angeli dans le Tessin Suisse (1990), une forme symbolique ouverte à une pluralité de sens. Dans la très vaste nef qui peut accueillir jusqu’à 1.500 fidèles, après un porche d’entrée soigné, et un long escalier qui conduit lentement au lieu même du rassemblement, nous nous trouvons baignés de lumière. Qualité acoustique, pureté et simplicité du mobilier, puissance du volume et de l’espace dans la nef centrale : notre corps, notre cœur respirent à pleins poumons grâce à cette architecture qui nous élève et nous transporte. Nous vivifie. Et célèbre notre humanité, corps et cœur et âme et esprit indissociablement liés.
Quelles œuvres d’art découvre-t-on dans cette cathédrale? Le Christ et la Vierge, de grande qualité et de belle présence, sont tous deux des oeuvres anciennes. Le Christ en bois vient de Tanzanie, il date de la fin du XIXe siècle et se détache sur une croix moderne en acier noir, en forme de tau, simple et soignée. La Vierge pour sa part remonte au XVIe siècle, et a été sculptée dans la région de Chaource. Autre statue, un bronze représente saint Corbinien, auquel est dédiée l’église, et il est dû aux artistes alsaciens Hugues et France Siptrott. En création récente, on note encore les douze vitraux décorant l’escalier, réalisés par l’atelier Loire à partir de cartons du père dominicain Kim en Jong, qui propose une abstraction colorée, peu novatrice et plus élégante que convaincante. Et, derrière l’autel, le vitrail qui devait évoquer la Résurrection n’a jamais été commandé. Une composition géométrique simple due à Mario Botta en tient lieu et elle vaut par sa simplicité, son vide.
Cette œuvre-là, cette absence d’œuvre plutôt, me retient aujourd’hui. Et me plaît. En art, mieux vaut le simple, le minimal, le vide qu’une présence lourde, encombrante. Apparemment, nul artiste aujourd’hui ne peut, dans le cadre d’un grand vitrail, évoquer la Résurrection du Christ de manière convaincante. Attendons que d’autres, à d’autres moments, sachent inventer une œuvre à la hauteur de ce sujet, de ce lieu, de notre désir.
A l’âge classique Rembrandt mit 20 ans pour peindre le visage du Christ ressuscité tel qu’il apparut aux Pélerins d’Emmaüs. Dans la toile de 1628 au Musée Jacquemart André, il laissa Jésus en contre-jour et ne put le montrer en pleine lumière qu’en 1648, en révélant une puissance de lumière qui soit la plénitude d’une image, à la fois présence et absence.
Sage décision, mieux vaut cacher ou ne pas montrer que donner à voir des représentations plates, inutiles ou fades. A l’aune de la Résurrection, l’art contemporain mérite notre exigence.
Paul-Louis Rinuy