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Léonard de Vinci est-il notre contemporain ?

La rétrospective inédite consacrée à Léonard de Vinci (1452-1519) se tient au Musée du Louvre, jusqu’au 24 février 2020 - à guichet fermé en raison de son immense succès. Paul-Louis Rinuy s'empare avec sagacité de cet ensemble exceptionnel pour en livrer une lecture captivante et poser la question de la contemporanéité de son art singulier, qui a traversé cinq siècles.
Publié le 09 janvier 2020
Écrit par Paul-Louis Rinuy

L’anniversaire des dix ans de Narthex le 20 novembre 2019 nous a permis de réfléchir ensemble à une question, qui revient sans cesse, en art comme dans nos vies : comment faire de notre aujourd’hui le lieu où se conjuguent la recherche de nouveauté et le souci, non moins légitime, de préserver des  pans entier de notre passé ? quelle juste place donner au patrimoine qu’il s’agit de conserver et de rendre vivant  tout en favorisant aussi le foisonnement de la  création contemporaine ?

Attribué à Francesco Melzi, Portrait de Léonard de Vinci, vers 1515-1518. Sanguine. H. 31,7 ; L. 23,7 cm. Milan, © Veneranda Biblioteca Ambrosiana/Gianni Cigolini/ Mondadori Portfolio.

De ce point de vue, la commémoration de la mort de Léonard de Vinci il y a cinq siècles,  en 1519, nous propose une expérience fort instructive : un peintre d’autrefois peut être aussi radicalement contemporain que bien des artistes d’aujourd’hui. Etre contemporain, se faire présent au présent du monde, c’est un travail, une énergie à l’œuvre, non une histoire de date ou d’âge.

Léonard de Vinci, Draperie Saint-Morys. Figure assise, vers 1475-1482. Détrempe grise, rehauts de blanc sur toile de lin. H. 19,6 ; L. 15,3 cm. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.

L’extraordinaire rétrospective du Louvre comme d’autres manifestations  de grande qualité au Clos Lucé à Amboise, où est mort le peintre, ou au château de Chambord font découvrir au visiteur un artiste plus actuel que la chronologie historique ne le laisserait penser. Bien sûr, Léonard de Vinci est un homme de son temps, un peintre  de la Renaissance dans sa curiosité, son amour des sciences,  ses pratiques du dessin et de la peinture,  sa formation aussi  auprès de Verrochio à Florence. Son goût assumé pour les draperies et le volume, pour l’anatomie aussi, est radicalement différent de nos usages et pratiques actuels. Encore que les liens entre art et science soient à nouveau aujourd’hui fort travaillés, aussi bien pour l’étude du fonctionnement du cerveau et de la pensée,  que pour l’ambition d’explorer les mystères de la nature qui nous entoure.

De g. à dr. : Léonard de Vinci, Études de mains, vers 1485-1492. Charbon de bois, pointe métallique, rehauts de blanc. H. 21,5 ; L. 15 cm © Her Majesty Queen Elizabeth II 2019 ; Léonard de Vinci, Étude de figure pour l’ange de la Vierge aux rochers, vers 1490-1494. Pointe métallique, rehauts de blanc sur papier préparé ocre. H. 18,1 ; L. 15,9 cm © Licensed by the Ministero per i beni e le attività culturali – Musei Reali – Biblioteca Reale di Torino. et ci-dessous : Léonard de Vinci, Étude de figure pour la Bataille d’Anghiari, vers 1504. Sanguine sur papier préparé ocre rose. H. 22,7 ; L. 18,6 cm © Szépművészeti Múzeum – Museum of Fine Arts Budapest, 2019

Mais au Louvre il nous est donné d’entrer dans l’atelier, voire dans le cerveau de l’artiste, grâce aux spectaculaires spectrographies notamment qui révèlent derrière les surfaces peintes, le dessin premier et les repentirs, tout un travail caché une fois la toile achevée. Ce n’est plus un chef d’œuvre parfait que nous contemplons, mais les incertitudes et les reprises d’une invention incertaine et  aventureuse, toute une  vie et un frémissement.  Le dessin derrière le tableau, c’est l’homme inquiet qu’on découvre derrière le peintre comblé d’honneur, l’expérimentateur et non plus le grand homme admirable et vénérable. Léonard de Vinci a inventé des formes et des techniques aussi, le  dessin par frottage par exemple, et sa réelle contemporanéité tient d’autant plus à son énergie d’inventeur et d’explorateur qu’au fait que, parfois, il a même échoué.

Léonard de Vinci, Études de personnages pour l’Adoration des Mages, vers 1480-1481. Pointe de plomb reprise à la plume et à l’encre brune. H. 27,7 ; L. 20,9 cm © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.

Ainsi, si sa célèbre Cène peinte à Milan pour le réfectoire des dominicains à Santa Maria delle Grazie n’est plus guère visible aujourd’hui, c’est qu’il l’a peint à l’huile sur un mur sans vouloir utiliser la fresque, comme il était d’usage à l’époque. Ce choix plastique aventureux, s‘est révélé néfaste à la conservation d’une composition aussi novatrice qu’ambitieuse. Et la copie de Marco d’Oggiono, peinte dix ans après l’œuvre originale sur une classique toile, révèle clairement, dans sa triste banalité, que Léonard de Vinci fut  à ce point un artisan singulier de sa pensée plastique que les copies donnent souvent de son art une image plate, ordinaire, décevante.

Léonard de Vinci, Saint Jérôme pénitent, vers 1480-1490. Huile sur bois (noyer). H. 102,8 ; L. 73,5 cm. Cité du Vatican, Musei Vaticani, Pinacoteca Vaticana, INV. 40337. Photo © Governatorate of the Vatican City State – Vatican Museums. All rights reserved.

Et le saint Jérôme, demeuré en chantier pour des raisons que nous ignorons, paraît aujourd’hui si expressif et puissant par son inachèvement même. Regarder cette composition, c’est entrer dans une œuvre processus, une œuvre qui vaut autant par son résultat que par son cheminement, sa capacité à nous étonner et nous transporter.

Léonard de Vinci, Saint Jean Baptiste, vers 1508-1519. Huile sur bois (noyer). H. 72,9 ; L. 56,3 cm. Paris, musée du Louvre, département des Peintures, INV. 775 © RMNGrand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado.

Prenons donc aujourd’hui le risque de nous faire le contemporain de ce Léonard de Vinci qui ouvre le temps, vers un passé qu’il récapitule comme vers un avenir qu’il inaugure.  Léonard de Vinci devient notre contemporain, car il peint ce qu’il ne sait pas toujours peindre, car il invente le réel et  renvoie toujours à plus grand que lui : regardons Saint Jean-Baptiste dont le regard, et le geste de la main surtout, nous séduisent pour nous guider ailleurs, au-delà d’un réel uniquement visible et matériel. Ses œuvres sont un patrimoine venu d’hier qui prodigue des ferments de création et d’invention pour aujourd’hui et pour demain.

Paul-Louis Rinuy

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