Il règne sur la sculpture une rumeur traditionnelle de lourdeur, de monumentalité, voire d’ennui comme ironisait Baudelaire dans son célèbre article de 1855, « Pourquoi la sculpture est ennuyeuse ». L’exposition Tissage Tressage quand la sculpture défile vient mettre à mal ces préjugés. Présentée l’an dernier à l’Isle sur la Sorgue, l’exposition est accueillie aujourd’hui dans l’espace parisien de la Fondation Villa Datris, récemment ouvert au public. Dans une petite rue de ce XXe arrondissement de Paris propice à tant de surprises et de découvertes, le lieu mérite que l’on vienne y flâner et y paresser. C’est la logique d’ensemble de la manifestation et la fécondité de quelques oeuvres qui m’ont surtout retenu.
Collection Fondation Villa Datris Photo © Franck Couvreur
Au fil d’un parcours original, nous découvrons des créateurs les plus connus et reconnus tels Joana Vasconcelos ou Annette Messager, jusqu’à un collectif de femmes du Burkina Faso ou à Anne Laval, plus discrètes, des créations insolites, étrangement familières, séduisantes et dérangeantes à la fois. L’hospitalité de l’espace à l’architecture singulière, vaste mais caché et en retrait du tumulte de la mode, favorise les rencontres, les découvertes, les coups de cœur et les illuminations. J’ai aimé voir ou revoir la Tentation d’Annette Messager, qui mêle ironie et tendresse pour pointer la douceur d’un univers féminin souvent brutalement dominé, et l’opposer, jusque dans sa légèreté railleuse, à tant de lourdeurs, de gesticulations, ou de gestes aussi monumentaux qu’objectivement vides de sens. J’ai eu plaisir aussi à retrouver Sheila Hicks, récemment mise à l’honneur au Centre Pompidou, qui fait de la couleur et de la matière le ferment d’une création aussi séduisante qu’apaisante et stimulante.
Collection Fondation Villa Datris – Photo © Franck Couvreur
Marinette Cueco enfin, dont l’œuvre est aussi discrète que féconde, présente nombre de ses créations et envahit même l’un des patios avec son installation Hivernage, pelotes et fagots. Mais le verbe envahir est trop agressif pour une invention surtout marquée par la délicatesse, l’art de faire des formes nouvelles avec des presque riens. Artiste glaneuse, Marinette Cueco ramasse des herbes et des tiges qu’elle tresse, assemble, compose, entrelace pour en composer par exemple Tondo, un tissu dont les interstices et les vides sont aussi riches et féconds que les parties pleines. Tresser, c’est faire avec ce qu’on a et ce qu’on n’a pas, jouer avec les infinies potentialités des matériaux. Il suffit de se décaler « hors des sentiers » comme l’indique finement Marinette Cueco dans son exposition personnelle que l’on découvre tout près, à la galerie Univer.
Se déplacer, pour voir le monde autrement, pour inventer des possibles dans l’ordinaire de vos vies, de nos villes. Presque rien suffit pour tout recréer. Laure Prouvost, qu’on reverra bientôt à la Biennale de Venise où elle représente la France, le sait bien, qui agence à des technologies modernistes l’artisanat le plus simple. Dans la sculpture, la création ne tient toujours qu’à un fil; merci aux artistes, anonymes ou célèbres, qui le défilent devant nous.
Paul-Louis Rinuy
—
Exposition « Tissage Tressage, quand la sculpture défile à Paris ! » jusqu’au 29 juin 2019 -Espace Monte-Cristo / Fondation Villa Datris, 9, rue Monte Cristo 75020 Paris
et aussi
Exposition « Marinette Cueco Hors des sentiers » jusqu’au 25 mai 2019 – Galerie Univer, 6, cité de l’Ameublement, 75011 Paris
Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition en cliquant ici