Deux crèches contemporaines, en deux églises parisiennes, m’ont arrêté par la simplicité, la force, de leur évidence plastique. Elles nous rappellent que nous ne fêtons pas le 25 décembre l’anniversaire de Jésus, ce qui n’aurait guère d’intérêt depuis plus de deux mille ans, mais la venue du Christ en notre monde, aujourd’hui et maintenant. Et cet avènement du Christ, dans des formes multiples et toujours inattendues, s’il n’était pas hier destiné aux seuls juifs, ne touche pas davantage aujourd’hui les seuls chrétiens mais le monde entier dans son universalité réelle.
La crèche de Raphael de Villers, à la Madeleine (Paris 8e), propose, dans cette église néoclassique à l’architecture imposante et solennelle, un étonnant assemblage d’éléments disparates de notre monde actuel, dans son bazar et sa violence. Peu spectaculaire et esthétique, ce bric à brac compose une installation précaire protégeant mal Marie, Joseph et Jésus, sous forme de santons repris des années 1960. Dans ces figures bibliques transparaissent les réfugiés d’hier, et d’aujourd’hui surtout, promis au dénuement le plus strict et condamnés à un abri de fortune.
« Arriver là, une promesse », comme le suggère cette crèche, c’est marquer le pari de la vie dans son caractère nécessairement désarmé, incertain, vulnérable. Mais un jeu de lumière s’ajoute à cette construction bancale et dérisoire et vient, par moment, la transfigurer, tandis qu’un projecteur tournant éclaire, un à un, des points cachés de l’architecture ou du décor de l’église. Comme si le présent venait, brutalement, révéler des points cachés du passé, et redonnait à des éléments oubliés de l’histoire une actualité nouvelle. Notre rapport à Dieu, dans son être comme dans son histoire, est par essence d’un ordre différent de la certitude et du savoir positif.
Même en lisant la Bible nous savons, en vérité, si peu de choses assurées sur Jésus: nous ne connaissons ni la date exacte de la naissance, ni les circonstances précises de sa conception ou de sa venue au monde à part l’errance de Marie et Joseph et l’hospitalité fragile d’une mangeoire. Nous ne savons pas davantage si les mages venus adorer le nouveau-né étaient biens rois, s’ils étaient trois, et moins encore s’ils s’appelaient Gaspard, Melchior et Balthazar. A la fragilité de notre savoir fait écho le caractère hétéroclite de cette crèche, qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponse savante. A chacun de comprendre avec son cœur !
Anouk Rabot et Max Coulon, dans leur crèche installée à Saint-Eustache (Paris 1er) ont proposé, pour leur part, l’expérience singulière d’une crèche architecturée en bois qui s’est constituée progressivement au fil des semaines de l’avent et dont les multiples dessins peuvent parler à la sensibilité de chacun: «Nous vous proposons une crèche qui se tourne vers l’extérieur et vient distribuer les images qui en composent le récit. Une structure éclatée se greffe à l’église, vient enlacer une colonne de pierre, c’est l’ossature de la crèche. La crèche est un réseau de poutres et de formes peintes qui distribue les boites lumineuses autour de la colonne. Ces boites diffusent des scènes gravées. Comme en écho à la technique du vitrail, la surface tracée laisse passer la lumière, produisant ainsi un dessin qui éclaire. A l’aide d’images silencieuses et pourtant parlantes, elles nous racontent la naissance de Jésus.»
Dans ces images sans couleurs se reconnaissent des figures populaires, des schémas iconographiques élaborés au fil des siècles, qui entremêlent l’histoire des hommes et des siècles aux figures de Joseph, de Marie et de Jésus. En cette composition de poutres et de boites enchevêtrées se dessinent autant des croix que des arbres de vie, dont les ombres mettent en évidence de multiples et fragiles lumières. Dans cette crèche enroulée à un des piliers de la nef, se concrétise l’expérience chrétienne d’un présent où se déploie la complexité d’une révélation, certes passée mais que nous commençons chaque jour à mieux découvrir.
Ces deux crèches nous plongent, chacune à leur manière, dans l’élan d’une confiance qui ouvre à l’inconnu, à l’imprévu. C’est ce que je nomme l’espérance : le monde de demain ne dépend ni d’hier ni de nos prévisions rationnelles, il peut être nouveau, et radicalement différent, si nous l’accueillons, si nous le construisons aujourd’hui.
Paul-Louis Rinuy
Informations pratiques
Raphaël de Villers, Arriver là, une promesse, Eglise de la Madeleine, Place de la Madeleine – 75008 Paris. Jusqu’au 2 février 2018 (tous les jours de 9h30 à 19h).
Anouk Rabot et Max Coulon, Une crèche, Eglise Saint-Eustache, 2 impasse Saint-Eustache – 75001 Paris. Jusqu’au 2 février 2018 (du lundi au vendredi de 9h30 à 19h, le samedi de 10h à 19h15, le dimanche de 9h à 19h15).