La sculpture est l’art du volume, de l’espace ouvert, elle est l’art qui rend ouvert et hospitalier l’espace où elle est installée. Alors qu’un objet occupe un espace, et le sature, le remplit, chaque sculpture ouvre ce même espace, elle le configure, le rend ouvert et habitable. Elle désigne ou signe un site ou un lieu. Mais installer des sculptures, c’est surtout habiter un espace, peupler un espace en le rendant plus ouvert, plus libre. La sculpture est l’art de l’espace toujours en creusement et en ouverture. Cette ouverture dans le volume se marque aussi mentalement dans une ouverture à des styles divers de modernité et de contemporanéité, et aux artistes les plus jeunes. Le sculpteur le plus âgé exposé a 176 ans –Rodin, né en 1840- et le plus jeune -la plus jeune, Léa Klein- a 26 ans. Cent cinquante ans d’énergie vivante se concentrent dans ce parcours, cent cinquante ans du présent continu de la sculpture qui se réinvente au jour le jour.
La sculpture est une rencontre, un échange, un corps à corps qui devient un cœur à cœur, un corps à cœur, un cœur à corps. Corps à corps par le travail de fabrication de la sculpture, travail parfois délégué, travail à plusieurs, travail d’une œuvre singulière même si elle se décline en multiples par la pluralité de sa naissance et la variété de ses matériaux définitifs. La sculpture, la statuaire de par son essence même –le mot vient du verbe latin stare, se tenir debout– témoigne de ce « se tenir debout », émouvant puisqu’il est toujours menacé, blessé, renaissant, fort de sa fragilité même. Et ce « se tenir debout » n’est pas pour l’homme une expérience solitaire, il est un « se tenir debout contre », « se tenir debout à côté de », « se tenir près de ».
De l’horizontalité d’un corps étendu, mort peut-être, au redressement d’une silhouette qui s’élève dans le ciel, se joue la tragédie de la comédie humaine ou la comédie de la tragédie humaine, que condense notamment le Centaure mourant de Bourdelle qu’Alain Séchas joue, dans son œuvre à l’Orangerie, à disloquer pour mieux le relever, avant de le détruire à nouveau. La sculpture contemporaine est un jeu, sérieux et grave comme les jeux des enfants, un jeu où le « se tenir debout » du spectateur visiteur rencontre le corps de la sculpture, au cœur de cet autre qui devient « moi » si je sais que je suis un autre. « Je est un autre ». A nous d’entrevoir les êtres multiples que nous sommes, dans ces sculptures qui, avec leurs visages différents et leurs statuts divers dans l’histoire, dialoguent au cœur des espaces qui les accueillent.
Le thème du corps, enfin, s’est révélé extrêmement fécond, présent dans l’inventivité sculpturale actuelle, à vif au cœur de nos existences, de nos histoires d’aujourd’hui. L’énigme du corps, de la réalité physique de l’être humain qui n’est pas seulement âme, esprit, mais aussi matière, poids, présence physique au monde, est notre point de départ. Ce mystère de l’incarnation humaine, la réalité sensible de nos rires mêlés de sang et de larmes, est porteur de recherches sculpturales, de questions ouvertes, de réponses visibles et sensibles.
L’exposition a pris le parti de mettre en valeur les histoires singulières de chaque œuvre, dans leur rapport à la réalité de nos corps, de nos vies. Et le présent continu de l’histoire, l’inscription du très contemporain, du tout actuel dans une histoire de la sculpture qui commence avec Rodin, se joue dans les dialogues entre les œuvres pourvu que la qualité, l’inventivité soit au rendez-vous. Dans cette histoire, j’ai refusé une conception formaliste de la sculpture, pour mettre en valeur un art qui fait vibrer, ressentir des émotions face au charme d’un visage, au vide de l’empreinte d’un corps, au surgissement d’une silhouette dressée. La sculpture est l’art du corps sculpté, du corps sculpteur.
Je terminerais, enfin, en disant Merci aux sculptrices, aux sculpteurs, qui ont inventé, qui ont fabriqué les œuvres de cette Biennale. Merci pour ces sculptures qui sont fulgurance d’énergie dans l’espace, qui rayonnent un élan qui nous dépasse, nous transporte, nous transforme peut-être.
Le corps de la sculpture, face auquel nous place ce Printemps de la sculpture, ce sont nos corps de femmes et d’homme, forts de nos imperfections, riches de nos fragilités, nourris de nos manques qui sont autant d’ouvertures, d’appels à nous tourner vers les autres et à converser avec eux. Giacometti, au soir de sa vie, avec l’œuvre immense que l’on sait, disait « Je donnerais toute mon œuvre pour une conversation ». Ecoutons cette parole, comprenons la : Giacometti se disait prêt à donner, à sacrifier tout ce qu’il avait fait, inventé, créé, pour une simple conversation, une vraie conversation, d’âme à âme, d’homme à homme, de cœur à cœur, de corps à corps.
10 avril 2016, Paul-Louis Rinuy
Commissaire d’exposition pour cette 4e Edition de la Biennale de sculpture – Yerres
4ème édition de la Biennale de sculpture – Thème: Le corps de la sculpture
Du 9 avril au 10 juillet 2016 – Ferme Ornée, Orangerie et parc de la Propriété Caillebotte
8 rue de Concy
91330 Yerres
entrée libre
du mardi au vendredi : 14h-18h
le samedi et dimanche : 10h-12h et 14h-18h
Les artistes exposés et les événements autour de l’exposition proprietecaillebotte.com/4eme-edition-de-la-biennale-de-sculpture/