L’église Sainte Bernadette de Nevers (1966, Claude Parent et Paul Virilio, architectes)
Son architecture massive évoque une forme de bunker, en référence évidente au mur de l’Atlantique. Sainte-Bernadette est « un édifice témoin. Témoin d’un siècle impitoyable qui a accumulé les drames, les guerres les plus tragiques de l’histoire », comme le souligne un de ses co-créateurs, Paul Virilio. En 1965 l’Europe est en pleine guerre froide, l’affaire des missiles de Cuba en 1962 a failli dégénérer en confit réel entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S., en apocalypse nucléaire mondiale. De cette violence de l’ époque, l’architecture porte résolument la marque.
Esthétiquement, les plans inclinés de la nef matérialisent une des inventions majeures de Claude Parent, l’autre inventeur de l’église, qui a mené toute une réflexion sur la « pensée oblique », mode original d’invention de l’espace. Il s’agit de créer un effet de continuité entre l’horizontalité traditionnelle du sol et la verticalité des murs et surtout de proposer ici aux fidèles une expérience singulière de l’espace, visant à dynamiser leur pratique liturgique, voire leur attitude spirituelle. Ces lignes obliques marquent aussi les deux coques de béton de la nef suspendue, imbriquées l’une dans l’autre, qui se développent chacune en un porte à faux impressionnant fortement le visiteur.
Dans sa massivité et son peu d’ouverture vers l’extérieur, la forme évoque enfin la spiritualité ancestrale de la grotte, et par excellence celle de Massabielle à Lourdes, où la Vierge est apparue en 1858 à sainte Bernadette qui s‘est ensuite réfugiée et cachée à Nevers le reste de sa vie.
Dans son évidence brutale, dans sa splendide rugosité, et malgré la relative douceur de l’espace intérieur en forme de de « sacré cœur », dont les deux ventricules seraient les deux parties de la nef, l’édifice fut très mal accueilli à l’époque. Joseph Capellades en fustige l’apparence, dans son Guide des églises nouvelles en France, publié aux éditions du Cerf en 1969 : « On nous fera difficilement voir dans ce bunker du mur de l’Atlantique le visage ouvert de l’église d’aujourd’hui et l’expressions des béatitudes évangéliques… Dans cette œuvre les architectes nous imposent abusivement le fruit de théories personnelles et très contestables».
Je soulignerais pourtant le souci qu’ont eu les architectes de répondre au programme plus que de faire une œuvre simplement personnelle. L’installation au rez-de-chaussée d‘une salle de réunion, d’une salle de catéchèse, de la sacristie, des fonts baptismaux et de la chapelle de semaine permet de dégager l’espace de la nef et de faciliter ainsi une liturgie réellement participative, dans l’esprit du tout récent Concile Vatican II.
L’architecture, telle que l’ont pratiquée Claude Parent et Paul Virilio, se révèle une lutte inventive contre les pesanteurs des habitudes et le conformisme des traditions. Je songe à l’ouvrage de Rudy Riccioti, l’architecte du récent Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), à Marseille, paru en 2013, L’architecture est un sport de combat.