Le religieux dominicain, archevêque de Gênes, Jacques de Voragine (c 1228-1298) dans La Légende dorée, rédigée en latin entre 1261 et 1266, raconte la vie de 150 saints et martyrs chrétiens. Cet ouvrage connut un immense succès et devint une source iconographique inépuisable. La composition est centrée sur la vie liturgique de l’Eglise et les grandes fêtes qui renvoient à la vie du Christ. Il était destiné aux prédicateurs dominicains en vue de leurs sermons. Ainsi le chapitre 117 intitulé L’Assomption a été rédigé à partir de 9 sermons prêchés à la fête du 15 août. Jacques de Voragine y résume les sources apocryphes de l’Assomption. Cette Légende Dorée a contribué à la diffusion de la croyance en l’Assomption et au Couronnement de la Vierge.
Vingt-quatre années après l’Ascension du Christ, la Vierge désirait revoir son fils. Elle avait alors 72 ans. Un ange lui apparut et lui dit que le Christ l’attendait. A la demande de Marie, l’ange rassembla à son chevet tous les apôtres : Jésus dit aux apôtres : « Transportez le corps de la Vierge dans la vallée de Joséphat, déposez-le dans un monument que vous y trouverez, et attendez-moi là pendant trois jours ! » Et aussitôt le corps de Marie fut entouré de roses et de lys, symbole des martyrs, des anges, des confesseurs et des vierges. Et ainsi l’âme de Marie fut emportée joyeusement au ciel, où elle s’assit sur le trône de gloire à la droite de son fils. La Légende Dorée (chap. 117)
Jacques de Voragine a aussi rédigé des sermons, comme le Sermon IV De Sanctis sur saint Barthélemy, apôtre, qui fut écorché vif.
La peau pour la peau, et tout ce qu’a l’homme il le donnera pour son âme. (Job 2, 4)
Selon la glose, on donne la peau pour la peau, parce que souvent quand un coup est donné contre l’œil, nous y opposons la main, pour être blessé à la main plutôt qu’à l’œil, comme si on disait : Job supporte extérieurement d’une âme égale tant de coups, parce qu’il redoute d’être frappé intérieurement. Il faut aussi noter que l’on distingue quatre types de peaux, celle de la nature, de la faute, de la grâce, et de la gloire.
La première peau, tous les hommes la revêtent. A son sujet ce même Job déclare : Tu m’as revêtu de peau et de chairs. Mais c’est cette peau que Barthélemy a déposée pour de multiples raisons : Premièrement il l’a déposée en signe de fervente charité. Les gens qui souffrent de la chaleur excessive ont coutume d’enlever leurs vêtements, Dans le fait que saint Barthélemy a déposé sa peau, est manifesté de quel feu d’amour il était rempli (…)
Deuxièmement en accroissement de pureté. Les branches des arbres qui sont écorchées apparaissent plus blanches. De même Barthélemy dépouillé de la peau de mortalité, devient plus pur en son âme (…)
Troisièmement dans l’espérance de l’immortalité future. L’homme en effet se dépouille volontiers de son vieux vêtement, pour pouvoir endosser un vêtement de couleur dorée. De même il a bien voulu se dépouiller du vêtement de mortalité, parce qu’il savait qu’il serait orné du vêtement d’immortalité (…)
Quatrièmement il a déposé sa peau pour la suavité de l’odeur. Le grand prêtre dans la loi ancienne avait coutume de dépouiller l’offrande de sa peau, et en y mettant le feu de l’immoler au Seigneur en produisant une très suave odeur. De même on a enlevé sa peau à Barthélemy qui, enflammé du feu de la charité, a été immolé à Dieu en produisant une très suave odeur. Comme l’or dans le four il les a éprouvés, et comme l’hostie de l’holocauste il les a reçus.
La seconde peau dont il est question est celle de la faute. Et elle est triple :
L’une est celle dont les luxurieux sont revêtus, qui est la vieille peau : Il a rendu vieille ma peau. On dit que la luxure est vieille, soit qu’elle mène vite l’homme à la vieillesse, soit que l’homme qui s’immerge en ce vice vieillit en lui jusqu’à sa mort (…)
Une autre est celle dont les orgueilleux sont revêtus, et celle-ci est gonflée par le vent. Ephraim nourrit le vent. Augustin : « O peau enflée, pourquoi es-tu tendue ? » Comme elle est pleine de vent, elle se dégonfle dès qu’on la pique. Souviens-toi que ma vie est du vent, donc une simple impulsion la fait aller de-ci de-là. Mon Dieu, place-les comme la roue, et comme la paille sous le vent, et aussitôt il est jeté à terre (…).
Une autre encore est celle dont les avares sont revêtus, et celle-ci est une peau noire. Si l’Éthiopien peut changer sa peau etc. Et l’avare contracte la noirceur corporelle, parce que pour capter le gain il brûle jour et nuit, et il est puni par le gel : Notre peau est brûlée comme un four. L’avare contracte aussi la noirceur spirituelle parce que, comme l’avarice c’est de la boue, l’âme qui est immergée dans la boue devient noire (…).
Barthélemy n’a pas revêtu cette triple peau, car il a méprisé les biens terrestres, il a fui les honneurs, et il a préservé la vraie chasteté.
La troisième peau est celle de la grâce dont les justes sont revêtus quand ils imitent la vie du Christ. Le Christ en effet s’est revêtu d’une peau, c’est à dire d’une façon de vivre blanche, rouge et distinguée. Mon aimé est blanc et rouge, distingué parmi des milliers. Il ne sera ni triste ni trouble, voilà la blancheur. Avec ceux qui haïssaient la paix je fus un pacifique, voilà la rougeur ; et pacifique dans la ferme charité : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ; voilà la mansuétude par-dessus tout. De cette peau Barthélemy a été recouvert, car sa manière de vivre fut gaie, pacifique et douce (…)
La quatrième peau est celle de la gloire dont les saints sont revêtus ; c’est pourquoi on lit que le sanctuaire était recouvert de trois sortes de peaux, les unes rouges, les autres violettes, et des sacs couleur de cendre, qui étaient faites de peaux de chèvres. Il était aussi recouvert de grandes peaux noires, mais belles. Je suis noire, mais belle, filles de Jérusalem, comme les peaux du roi Salomon. Les saints, donc, ont revêtu une belle peau dans la clarté de leur corps : Il lui fut donné de se couvrir de splendide lin blanc. De peau violette dans la subtilité : ces peaux ont en effet une couleur aérienne. De fait les corps des saints qui aujourd’hui sont volumineux et pesants, alors seront subtils comme l’air. Un corps animal est semé, un corps spirituel lève (…) Saint Barthélemy, donc, a donné les biens de ce monde pour les biens substantiels du ciel : Si tu veux être parfait, va et vends ce que tu as, donne-le aux pauvres (et suis-moi). Il a aussi donné sa vie temporelle pour la vie perpétuelle et glorieuse : Celui qui hait sa vie en ce monde (la conservera en vie éternelle). Et il a donné sa peau corporelle pour la chair glorifiée : C’est le Sauveur que nous attendons, Notre Seigneur Jésus Christ. Traduction de Nicole Bériou.
Martine Petrini-Poli
N.B. Le site académique Sermones.net – édition électronique d’un corpus de sermons latins médiévaux [archive] offre l’accès à une partie importante de l’œuvre de Jacques de Voragine : les sermons modèles qu’il a composés. La première collection offerte à la consultation est celle de ses Sermones Quadragesimales (sermons de Carême), une série de 98 textes.