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Sermon 272 de saint Augustin sur les sacrements, signes visibles d’une réalité cachée

Dans ce cycle dédié à l'art de l'homélie de son blog Écrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous propose d'explorer l’histoire de la prédication chrétienne en tant qu’œuvre littéraire, héritière de la Bible, qui évolue au cours des siècles : des Pères de l’Église au Moyen Âge, du XVIIe siècle à nos jours. Voici la troisième publication dédiée aux prédications de saint Augustin, maître de l'art de l'homélie, avec ce sermon sur les sacrements, superbe métaphore filée au service de l'intelligence de la foi.
Publié le 13 octobre 2022
Écrit par Martine Petrini-Poli

1. Ce que vous voyez sur l’autel de Dieu, c’est le pain et la coupe : c’est cela que vos yeux vous signalent. Mais ce dont votre foi veut être instruite, c’est que ce pain est le corps du Christ, que cette coupe est son sang. Cela tient à une brève formule, qui peut suffire à la foi. Mais la foi cherche à s’instruire. Car vous pourriez me dire un jour : «  Vous nous avez ordonné de croire. Donnez-nous une explication qui nous fasse comprendre. »

2. En effet, chacun de nous peut avoir cette pensée : Notre Seigneur Jésus Christ, nous savons d’où il tient sa chair, de la Vierge Marie. Enfant, il a été allaité, nourri, il a grandi, il est parvenu à l’état d’homme jeune. Il est mort sur la croix, puis il en a été détaché pour être enseveli. Il est ressuscité le troisième jour, et Il est monté au ciel le jour qu’il a voulu. C’est au ciel qu’il a élevé son corps, c’est de là qu’il viendra juger les vivants et les morts, c’est là qu’il réside présentement à la droite du Père. Alors, comment ce pain est-il son corps, et cette coupe, ou plutôt son contenu, peut-il être son sang ?

3. Mes frères, c’est cela que l’on appelle des sacrements : ils montrent une réalité, et en font comprendre une autre. Ce que nous voyons est une apparence corporelle, tandis que ce que nous comprenons est un fruit spirituel.

Arcabas, Les Pèlerins d’Emmaüs, 2006, huile sur toile, 162 x 130 cm, église Saint-Hugues-de-Chartreuse, Saint-Pierre-de-Chartreuse

4. Si vous voulez comprendre ce qu’est le corps du Christ, écoutez l’Apôtre, qui dit aux fidèles : Vous êtes le corps du Christ, et chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps (1 Co 12,17). Donc, si c’est vous qui êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre mystère qui se trouve sur la table du Seigneur, et c’est votre mystère que vous recevez. A cela, que vous êtes, vous répondez : « Amen », et par cette réponse, vous y souscrivez. On vous dit : « Le corps du Christ », et vous répondez « Amen ». Soyez donc membres du corps du Christ, pour que cet Amen soit véridique.

5. Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1 Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain.

6. Au sujet de la coupe, bien qu’il n’en ait pas parlé autant que du pain, il nous fait comprendre ce qui la concerne. Car, pour avoir l’apparence visible du pain, beaucoup de grains ne forment qu’une seule pâte, afin de réaliser ce que l’Écriture Sainte nous dit au sujet des fidèles : ils avaient un seul cœur et une seule âme (Ac 4,32) devant Dieu. Il en est de même pour le vin. Rappelez-vous, mes frères, comment on fait le vin. De nombreux grains sont attachés à la grappe, mais le liquide contenu dans tous ces grains se rassemble en une boisson unique.

7. C’est ainsi que le Seigneur Christ nous a représentés, il a voulu que nous lui appartenions, et il a consacré sur sa table le mystère de notre paix et de notre unité. Celui qui reçoit ce mystère d’unité, mais ne garde pas le lien de la paix, reçoit un témoignage qui le condamne, au lieu de recevoir ce mystère pour son bien. Sermon CCLXXII pour le jour de la Pentecôte sur l’Eucharistie, édition des Mauristes 5, 1103-1104.

C’est aux nouveaux baptisés, aux néophytes que s’adresse ce discours. Après leur avoir dit que ce qu’ils ont déjà vu sur l’autel est le corps même et le sang de Jésus-Christ, saint Augustin indique la signification symbolique de ce sacrement. Il nous rappelle que pour devenir nous-mêmes le corps de Jésus-Christ, nous devons faire en nous le travail qui se produit sur le blé et sur le raisin pour en faire le corps et le sang du Sauveur.

Augustin développe la métaphore filée des multiples grains de blé qui sont broyés pour donner la farine. Quand l’eau et la farine sont unis définitivement, la pâte trouve sa consistance adéquate, le pétrissage s’adaptant à la pâte ainsi façonnée. Le levain ensemence la fermentation comme l’Evangile le ferment de la Bonne Nouvelle. Alors se révèlent des saveurs cachées. Une fois nourri du Corps glorifié du Christ ressuscité, l’homme s’unit à ce Pain de Vie et à ses frères. Il en est de même avec la grappe de raisin au pressoir.

Cette homélie apporte quelques affirmations fondamentales :

Il y a une intelligence de la Foi, la foi cherche à s’instruire (§1).

Le sacrement est le signe visible d’une réalité cachée, c’est cela que l’on appelle des sacrements : ils montrent une réalité, et en font comprendre une autre (§3). 

Nous sommes le corps du Christ, Soyez ce que vous voyez et recevez ce que vous êtes (§4-5-6).

L’Eucharistie est un sacrement de paix et d’unité, Le Christ a consacré sur sa table le mystère de notre paix et de notre unité (§7).

Martine Petrini-Poli

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