Grégoire naît en 330, à l’avènement de la nouvelle capitale impériale, Constantinople, et meurt en 390, au moment où Théodose le Grand va interdire le paganisme et décréter le christianisme religion de l’Empire (391). Grégoire est issu d’une famille chrétienne de Cappadoce, propriétaire de vastes latifundia. Son père est l’évêque de l’église de Nazianze, et Grégoire suivra cette voie mais songe à la vie monastique. Après dix ans d’études dans les écoles rhétoriques de l’Empire oriental et à Athènes où il pourrait enseigner, il suit sa vocation : il se retire du monde avec son ami, Basile de Césarée, et quelques autres condisciples, pour mener une vie d’étude et de prière. Mais rappelé par son père et poussé par Basile, devenu entretemps évêque de Césarée, il devient lui-même évêque de Nazianze. Il connaît la gloire lorsque Théodose le nomme évêque de Constantinople et lui fait présider le Concile de 381, d’où il démissionne à cause de dissensions internes.
Lettre 1, à Basile de Césarée
Grégoire écrivit cette lettre à Basile en 361, après être rentré d’Athènes où il était étudiant avec lui. Basile, décidé à s’adonner à la vie monastique, cherchait à attirer son ami auprès de lui.
1. Je l’avoue, j’ai manqué à ma promesse. Je t’ai promis d’être avec toi et de me consacrer avec toi à la philosophie (en l’occurrence, la quête de Dieu, la contemplation de son mystère) et cela au moment de notre départ d’Athènes, de notre amitié d’alors et de notre cohésion, — je ne puis trouver de terme plus juste.
2. J’ai manqué à ma promesse, mais c’est malgré moi ; c’est parce qu’une loi l’a emporté sur une autre : la loi qui ordonne de prendre soin de ses parents a été plus forte que la loi de l’amitié et de la fraternité.
3. Je ne serai pas cependant tout à fait infidèle à mes engagements, si tu veux accepter ma proposition : nous irons de temps en temps chez toi ; accepte de venir le reste du temps chez nous, afin qu’entre nous tout soit commun et qu’il y ait, de part et d’autre, un honneur égal rendu à l’amitié. Je pourrai ainsi, sans affliger mes parents, me réjouir de ta présence.
Lettre 4, à Basile de Césarée
Basile était entré vers 361 dans la vie monastique et avait fait à son ami Grégoire une description enthousiaste des lieux dans la Lettre 14. Grégoire s’y rendit et décrit ainsi cette « thébaïde » :
3. Quant à moi, j’admire ton pays du Pont, avec ses ténèbres, ce séjour digne d’un exil, ces rochers suspendus au-dessus de vos têtes, ces bêtes sauvages qui viennent vous éprouver, ce désert qui s’étend sous les rochers, et même ce trou à rats — auquel vous donnez les beaux noms de lieu de méditation, de monastère et d’école —, ces forêts d’arbres sauvages, cette couronne de montagnes escarpées qui, loin de vous couronner, vous emprisonne, 4. cet air qui vous est mesuré, ce soleil que l’on désire en vain et que l’on aperçoit comme l’orifice d’une cheminée, ô Cimmeriens peuples, mais qui ne passez pas un instant de votre vie sans obscurité, car toute votre existence n’est qu’une longue nuit ininterrompue, c’est vraiment l’ombre de la mort, pour parler comme l’Écriture.
5. J’adresserai aussi mes louanges à votre voie étroite et resserrée ; où mène-t-elle ? au Royaume ou à l’Hadès ? Je ne sais, mais à cause de ton nom, admettons qu’elle mène au Royaume. J’admire encore au milieu de tout cela votre… comment dirai-je ? Mentirai-je, pour dire que c’est un Éden, avec une source qui se divise en quatre parties pour arroser la terre ? Dirai-je au contraire que c’est le désert sec et aride, que seul quelque Moïse pourrait fertiliser en frappant le rocher de sa baguette ? 6. Partout, en effet, où il n’y a pas de rochers, il y a des ravins ; à défaut de ravins, ce sont des ronces ; et tout ce qui domine les ronces est taillé en précipice. Le sentier qui passe au-dessus, bordé d’abîmes et incliné des deux côtés, oblige ceux qui marchent à se recueillir et à faire des exercices de sécurité.
Les poèmes épistolaires de Grégoire de Nazianze rassemblent environ 18.000 vers qui subsistent de l’œuvre poétique du Cappadocien. On y trouve des poèmes autobiographiques, les Poemata de seipso et les Poemata ad alios. C’est un tableau coloré de la société aristocratique de l’Empire d’Orient, dans les provinces d’Asie et à Constantinople. Les moines aussi bien que les « jeux » du cirque ou de l’hippodrome sont évoqués dans une poésie classique, avec ses tropes et ses figures.
Auteur d’une vaste œuvre poétique, le Cappadocien représente la période d’assimilation de la culture classique par la littérature chrétienne.
Les cinq Discours théologiques sont un apport essentiel dans l’élaboration et l’affirmation de la théologie trinitaire. C’est devant le peuple de l’Anastasia, vers 380, que Grégoire prononce les cinq discours dits théologiques, voués à la postérité.
Hommage à la communauté de l’Anastasia
Le poème, écrit en trimètres iambiques, est adressé à la communauté chrétienne de l’Anastasia, à Constantinople. Cette petite église – dont le nom signifie Résurrection – servait de siège patriarcal à Grégoire de Nazianze au moment où les partisans du Concile de Nicée étaient encore en minorité. L’avènement de l’empereur Théodose favorisera la foi de Nicée par rapport à ses adversaires ariens.
Je te regrette, je te regrette, toi qui m’es si cher, je ne le nierai pas,
je regrette la parole génératrice de mes enfants,
ô peuple de cette Anastasia que j’aime tant,
qui as ranimé par des paroles nouvelles
la foi ancienne, autrefois tuée par des discours de mort.
C’est de là qu’a surgi ma parole, telle une étincelle
qui a empli de lumière toutes les Églises.
Qui possède ta beauté, qui détient mon siège ?
Comment suis-je privé de mes enfants, alors que ces enfants sont vivants ? Père,
à toi la gloire, même s’il m’arrivait quelque chose de pire.
Peut-être punis-tu la liberté de mon langage.
Qui proclamera sincèrement ce qui t’appartient, ô Trinité ?
Martine Petrini-Poli
(Article initialement publié le 20 janvier 2022)