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« Legenda Major » (Légende majeure) de saint Bonaventure sur la vie de saint François d’Assise

Avec ce nouveau cycle du blog Ecrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous invite à l'étude de la vie et de l'oeuvre de saint Bonaventure (1217 ou 1221 - 1274). Théologien et philosophe majeur du XIIIe siècle, contemporain de Thomas d’Aquin, il est devenu supérieur de l’ordre des Frères Mineurs (franciscains) et créé cardinal-évêque d’Albano à la fin de sa vie. Sa réflexion philosophique s'inscrit dans le courant de l'augustinisme. Nous découvrons ici la « Legenda Major », ouvrage consacré à la vie de saint François d'Assise qui a amené saint Bonaventure a mener une véritable enquête auprès de ceux qui ont connu le Poverello.
Publié le 27 mai 2021
Écrit par Martine Petrini-Poli

En 1260, le chapitre Général des Frères mineurs de Narbonne demande à Bonaventure, Ministre général de l’ordre, d’écrire une Vie de François. Pour préserver l’esprit franciscain authentique, Bonaventure rassemble de nombreux documents sur le Poverello d’Assise et recueille en Italie les témoignages de ceux qui l’ont connu. Il entend pacifier les deux fractions divisées de l’Ordre entre spirituels partisans d’une pauvreté radicale et conventuels soucieux de l’évolution de l’ordre. En 1263, le chapitre Général de Pise approuve et impose comme seule biographie officielle de François la Legenda Major que Bonaventure vient de rédiger, où il présente le fondateur comme un chercheur passionné du Christ. Il faut bien prendre le mot de « legenda » dans son sens étymologique encore proche du latin, ce qui est destiné à la lecture publique, et qui forme un récit suivi et composé.

Dans le prologue à la Legenda Major, Bonaventure indique à son lecteur quatre caractéristiques de son mode d’approche : l’enquête menée auprès de témoins du saint, l’absence de souci stylistique excessif, une certaine liberté dans l’ordre chronologique au profit d’un itinéraire spirituel et l’organisation du récit de la vie du saint en quinze chapitres titrés.

Afin de connaître plus clairement et d’une manière plus assurée la vérité des faits que je me chargeais de transmettre à la postérité , j’ai visité les lieux où notre saint est né , où il a vécu , où il est mort; je me suis entretenu soigneusement de ce qui le concernait avec ses disciples encore vivants , et surtout avec plusieurs qui furent des témoins plus intimes et des imitateurs plus empressés de sa sainteté, hommes vraiment dignes de foi et par leur propre connaissance des choses et par leur vertu éprouvée. Mais en écrivant ainsi les merveilles que Dieu a daigné accomplir par son serviteur, j’ai cru devoir laisser de côté les vains ornements du style, car le lecteur trouve plus à nourrir sa dévotion dans un langage simple que dans un discours magnifique. Je n’ai pas non plus toujours suivi l’ordre du temps dans mon récit ; mais, pour éviter la confusion, je me suis appliqué surtout à établir entre les faits une liaison naturelle et facile, selon que les choses accomplies à une même époque ou à des époques diverses me semblaient convenir à un même sujet ou à des sujets différents. Enfin j’ai renfermé le commencement, la suite et la fin de cette vie en quinze chapitres dont voici les titres :

Le premier (chapitre) traite de la vie de notre saint dans le siècle.

Le second, de sa conversion parfaite à Dieu et de la réparation qu’il fit de trois églises.

Le troisième, de l’institution de son ordre et de l’approbation de sa règle.

Le quatrième, des progrès de son ordre sous sa direction, et de la confirmation de sa règle déjà approuvée.

Le cinquième, de l’austérité de sa vie et des consolations que les créatures de Dieu lui offraient.

Le sixième, de son humilité, de son obéissance, et de la manière dont Dieu condescendait à ses moindres désirs.

Le septième, de son amour pour la pauvreté et de la manière dont il subvenait aux besoins du prochain.

Le huitième, de sa tendre piété et de la manière dont les créatures privées de raison semblaient le connaître.

Le neuvième, de l’ardeur de sa charité et de son désir du martyre.

Le dixième, de son application à la prière et de la sublimité de son oraison.

Le onzième, de son intelligence des Ecritures et de son esprit de prophétie.

Le douzième, de l’efficacité de ses prédications et du don qu’il avait de guérir les malades.

Le treizième, des stigmates sacrés.

Le quatorzième, de ses souffrances et de sa mort.

Le quinzième, de sa canonisation et de la translation de son corps. Prologue 5

Deux images dominent ce prologue : la comparaison entre François et le prophète Elie enlevé au ciel sur un char de feu et le tau en forme de croix, sceau du Christ crucifié imprimé sur son corps par l’Esprit-Saint sous forme de stigmates.

Giuseppe Angeli, Élie enlevé au ciel sur un char de feu, vers 1740, National Gallery of Art, Washington

« Emporté par un char de feu après avoir gravi tous les échelons de la sainteté, François est venu à nous avec l’esprit et la puissance d’Elie : toute sa vie nous le démontre à l’évidence. »
Prologue 1

Jean-Michel Alberola, Vitrail de l’Apocalypse (1987-1988), cathédrale Saint Cyr et Sainte Julitte de Nevers

Le tau, lettre hébraïque en forme de croix, est aussi celle de l’ordre des Antonins ; le chiffre 144 000 symbolise la totalité du peuple de Dieu appelé au salut. Saint François avait été très impressionné par le sermon d’Innocent III sur le signe du tau, à l’inauguration du Concile de Latran en 1215.

« Ce qui nous porte à penser ainsi, en fils fidèles et aimants, c’est d’abord la mission qu’il reçut d’appeler les hommes â pleurer et à se lamenter, à se raser la tête, â ceindre le sac, et de marquer d’un Tau en signe de pénitence le front de ceux que le péché fait gémir et soupirer (même notre habit est en forme de croix) ; mais ce qui nous confirme dans ces sentiments, c’est la preuve irréfutable de leur vérité : le sceau qui fit de lui l’image du Dieu vivant, c’est-à-dire du Christ crucifié, le sceau qui fut imprimé sur son corps non pas par une force naturelle ni par un procédé mécanique, mais bien par l’admirable puissance de l’Esprit du Dieu vivant. »

Prologue 2

Martine Petrini-Poli

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