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Les sept paroles du Christ en Croix dans La Vigne Mystique (1263) de saint Bonaventure

Avec ce nouveau cycle du blog Ecrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous invite à l'étude de la vie et de l'oeuvre de saint Bonaventure (1217 ou 1221 - 1274). Théologien et philosophe majeur du XIIIe siècle, contemporain de Thomas d’Aquin, il est devenu supérieur de l’ordre des Frères Mineurs (franciscains) et créé cardinal-évêque d’Albano à la fin de sa vie. Sa réflexion philosophique s'inscrit dans le courant de l'augustinisme. Nous abordons ici la lecture de La Vigne Mystique écrit en 1263 par saint Bonaventure - où la métaphore filée de la Vigne, venue de la Bible, ouvre au Mystère de la Rédemption à travers les sept paroles du Christ en Croix.
Publié le 01 avril 2021
Écrit par Martine Petrini-Poli

La Vigne mystique est un ouvrage de saint Bonaventure de 1263, composé d’un Prologue et de 24 chapitres. La métaphore filée de la Vigne empruntée à la Bible ouvre au Mystère de la Rédemption. L’analogie de la Vigne et du Christ « Je suis la Vraie Vigne » se déploie dans ses feuilles qui symbolisent les 7 paroles du Christ en croix, aux chapitres 7 à 13 :

« Notre vigne profère sept paroles qui sont toujours vertes ; Il les a prononcées lorsqu’Il fut élevé sur la croix. Ton Époux s’est fait pour toi cithare, c’est-à-dire que la croix a la forme du bois et son corps celui des cordes qui sont tendues sur le bois. »

Le roi David, jouant d’une cithare organistrum, et auquel apparaît Dieu, Musée du Louvre

La première parole, lorsque le très bienfaisant Jésus a été crucifié, Il a dit : Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. Ô feuille toujours verte, ô parole qui convient au Verbe du Père très haut ! Le bon docteur fait ce qu’il commande : il ne prie pas seulement pour ses amis, mais aussi pour ceux qui le persécutent et le calomnient. – Recueille cette feuille dans le trésor de ton cœur, pour que chaque jour à la menace de tes ennemis, tu fasses jaillir la mémoire de l’abondante suavité du Bon Jésus. Cette parole est toujours comme un bouclier que tu présentes aux insultes de tes ennemis. L’Époux prie pour ses assassins et toi tu ne prierais pas pour ceux qui en ont après toi ?

La seconde feuille de notre vigne et la seconde corde de notre cithare est la seconde parole du Seigneur, qu’il adressa au larron repentant et qui demandait à partager le sort du Christ. En vérité, lui dit-il, je te le dis : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. Oh ! quelle feuille pleine de vigueur ! Oh ! comme cette corde résonne de douceur ! Comme rapidement Il s’est fait de l’ennemi un ami, de l’étranger un familier, du lointain un proche, du brigand un confesseur ! Oh ! quelle grande foi Lui accorde le larron : lui connaisseur de tout mal mais ignorant du bien, transgresseur de la loi, ravisseur de la vie et de la propriété d’autrui, en poste aux portes de la mort, à la fin de sa vie, désespérant de la vie présente, espérant la vie future qu’il avait souvent déméritée et jamais méritée. Il ne redoute pas de la demander et de la recevoir. Quel homme pourrait désespérer, alors que le larron espère ? (…)

La troisième feuille et la troisième corde de la cithare est la troisième parole : Femme, dit-il, voici ton fils ; et Voici ta mère. Parole douce et suave, parole admirable et grandiose, pleine de piété affective ! Nous ne lisons pas que le bon et bienveillant Jésus surtout lorsqu’il eut atteint l’âge adulte, se soit attaché à sa très chère Mère plus intimement, et qu’avec elle Il a vécu plus souvent et devant les autres lui ait parlé avec plus d’égards. Mais quand Il fut sur le point de la quitter physiquement, Il manifesta en peu de mots l’amour authentique qu’il lui portait. Et sans parler du supplice de sa croix, quelle grande affection, crois-tu, qu’Il éprouva dans son immense compassion pour sa Bienheureuse Mère ? Lui qui savait que son cœur très doux était percé d’un glaive d’une telle douleur. La compassion que montrait sa mère augmentait le tourment de ses blessures. Suspendu, Il la voyait près de lui se tenir debout courageusement de toutes les forces de son corps, avec une telle contrition de cœur, les mains tordues, les yeux répandant un torrent de larmes, le visage contracté, la voix plaintive (…)

Matthias Grünewald, Retable d’Issenheim (1512-1516), Musée Unterlinden, Colmar

Elle se tenait près de la croix. Il lui dit : Voici ton fils. C’est comme s’il disait : tu es privé physiquement de moi, ton fils, aussi je te donne, à toi, comme fils l’ami préféré entre tous. Sa présence te consolera entre temps de mon absence. Jean, tu es privé de moi, ton père, aussi cette Mère qui m’est très chère, je te la laisse pour mère (…)

La quatrième feuille et la quatrième corde de la cithare est la quatrième parole du Seigneur, qu’Il prononça vers la neuvième heure, criant d’une voix forte : Eli, Eli, lamma sabacthani ? Ce qui veut dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Quels yeux ne pourraient voir cette feuille ? quelles oreilles ne pourraient entendre cette corde ? Mais pourquoi crie-t-il, sinon pour pouvoir être mieux entendu ? Comme elle fut ample, vois-tu, cette douleur très cruelle, lorsque le bon Jésus, de son corps tout étiré, criait ! Mais veille à ne pas penser qu’à cause de cette clameur le Seigneur Jésus très humble s’est laissé aller à l’impatience. Car nous montrerons, dans la feuille et la corde suivante, la patience qu’il a endurée dans cette passion très amère, ainsi que l’ampleur de la douleur qu’il a montrée.

Mais ces mots sont bien ceux de la personne qui a assumé la nature humaine. Il a bien été lui-même une seule personne avec le Fils de Dieu. Ce qu’il dit, le montre clairement : Mon Dieu. Cela, il ne pourrait le dire de lui-même, lui un seul Dieu avec le Père, s’Il n’avait assumé la nature humaine. Alors qu’est-ce donc qu’il dit : Pourquoi m’as-tu abandonné ? Le Père pouvait-il abandonner son Fils unique ? Loin s’en faut ; mais c’est pour tout le corps, c’est-à-dire pour toute l’Eglise que parle ainsi notre tête, le très bienveillant Jésus. Car il veut mettre en valeur l’union d’amour qu’il a eue pour l’Eglise son épouse, il montre qu’il souffrira dans tous ses membres, lui qui a subi alors la passion dans la tête, c’est-à-dire dans son propre corps, celui assumé de la Vierge. Il crie sa déréliction, Lui qui ne pouvait être abandonné, parce que beaucoup de ses membres en viendraient à une telle épreuve, qu’ils sembleraient complètement abandonnés. Béni soit l’aimable Seigneur, le très bienveillant Jésus, qui d’abord daigne souffrir en Lui pour nous, et maintenant assurément souffre avec nous et en nous l’épreuve que nous endurons en toute justice. Il fait sienne et crie : Avec lui je suis dans son épreuve. Nous tirons ainsi de lui une plus sûre confiance.

La cinquième feuille et la cinquième corde est la cinquième parole du Jésus très aimant, prononcé sur la croix, lorsqu’il dit : J’ai soif. Et ils lui donnèrent à boire du vin avec de la myrrhe, mêlé de fiel (…). 

Mais il faut que cette parole soit proférée pour accomplir l’Ecriture. De plus, il semble que ce mot j’ai soif signifie quelque chose d’autre. Je pense en effet qu’en la prononçant, il a voulu exprimer son immense charité, parce qu’un homme assoiffé désire beaucoup plus ardemment une boisson qu’un homme affamé une nourriture. Par sa soif, Il nous montre le désir d’une chose qu’il désire très ardemment, par là Il montre en figure l’ardeur de sa charité (…)

La sixième feuille et la sixième corde de la cithare est la sixième parole qu’il prononça lorsqu’il eut pris le vinaigre, douceur vraie et suprême, le Seigneur Jésus, a dit : Tout est consommé. Qu’est cela ? Plus haut, il est dit : parce que le Seigneur voyant que tout est consommé, pour que les Ecritures s’accomplissent, dit : J’ai soif ; et lorsqu’il eut goûté, Il a dit : Tout est accompli. Il a bien été accompli jusqu’à la perfection, le témoignage de l’Ecriture, elle qui dit : Ils m’ont donné comme nourriture du fiel et par là toute l’Ecriture qui était à son sujet, a reçu sa consommation.

(…) De même nous, si nous voulons être les membres de cette tête, en toutes nos difficultés, utilisons la force de la persévérance, pour que nous arrivions au bout de toutes nos souffrances par le très bienveillant Jésus notre chef, et qu’avec lui nous puissions dire en toute confiance : C’est accompli, c’est-à-dire avec ton aide et non par notre force : j’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course (…)

Septième parole : Jésus très aimant : Père en tes mains je remets mon esprit. Le sens est clair. Mais pourquoi ce fils éternel et consubstantiel au Père remettait ouvertement son âme dans les mains du Père, à qui elle n’avait pas été moins recommandée, même s’il ne l’avait pas dit ? Ceci fait, bien qu’il sût que son âme très sainte avait été recommandée au Père, lui qui avait dit peu avant : Il vient le prince de ce monde, c’est-à-dire Satan, mais en moi il ne prend rien. Il a voulu remettre son âme dans les mains du Père, pour nous enseigner, nous qui sommes terre et cendre. Que nous apprenions à remettre notre esprit aux mains du Père éternel afin qu’il ne soit appréhendé, alors qu’il sort de notre corps, par le prince de ce monde. Car, hélas ! celui-ci trouverait en nous bien des choses qui lui appartiennent. Tandis que Lui, qui ne devait rien au péché, bien plus, alors qu’Il était venu pour enlever le péché, a remis son esprit saint et pur aux mains de son Père, sur le point de sortir de son corps très pur, non point par nécessité mais pour l’exemple.

Martine Petrini-Poli

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