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Itinéraire de l’esprit jusqu’en Dieu de saint Bonaventure : réminiscence platonicienne et théorie de l’image

Avec ce nouveau cycle du blog Ecrits mystiques, Martine Petrini-Poli nous invite à l'étude de la vie et de l'oeuvre de saint Bonaventure (1217 ou 1221 - 1274). Théologien et philosophe majeur du XIIIe siècle, contemporain de Thomas d’Aquin, il est devenu supérieur de l’ordre des Frères Mineurs (franciscains) et créé cardinal-évêque d’Albano à la fin de sa vie. Sa réflexion philosophique s'inscrit dans le courant de l'augustinisme. Nous poursuivons la lecture de l'Itinéraire de l'esprit jusqu’en Dieu, écrit en 1259 par saint Bonaventure, avec les chapitres 3 et 4 qui traitent du principe de la réminiscence platonicienne et la théorie de l’image, en lien avec les dogmes de la Trinité et de l'Incarnation.
Publié le 04 mars 2021
Écrit par Martine Petrini-Poli

Nous retrouvons dans les chapitres 3 et 4 de l’Itinéraire de l’esprit jusqu’à Dieu le principe de la réminiscence platonicienne et la théorie de l’image, qui servent au Docteur de la Grâce à énoncer les dogmes de la Trinité et de l’Incarnation. Seule la Grâce divine, et non la nature ou la raison, peut conduire à l’union mystique de l’âme et de l’Epoux du Cantique des Cantiques.

CHAPITRE III. De la contemplation de Dieu par son image gravée dans les facultés naturelles de notre âme.

Principe de la réminiscence platonicienne

Les deux premiers degrés parcourus jusqu’à ce moment, après nous avoir conduits à Dieu par les traces de sa présence en toute créature, nous amènent à rentrer en notre âme, où l’image de la divinité brille avec tant d’éclat. Pénétrant donc en nous-mêmes, et laissant tout ce qui est en dehors, comme n’étant que le vestibule du lieu où nous devons arriver, efforçons-nous de contempler Dieu, comme en un miroir, dans son saint temple, dans la partie antérieure de son tabernacle. Là, sur la face de notre âme, comme sur un candélabre, brille la lumière de la vérité, et l’image de la Trinité bienheureuse apparaît avec splendeur (…). En retenant donc ainsi l’idée des choses temporelles passées, présentes et futures, la mémoire nous offre une image de l’éternité, dont le présent indivisible s’étend à tous les temps (…)

Le dogme de la Trinité bienheureuse

Saint Bonaventure fonde la distinction des trois personnes de la Trinité à partir de la distinction des trois facultés (mémoire, intelligence, volonté) : Dieu est la mémoire et l’esprit qui engendre le Verbe (le Fils); l’intelligence est le Verbe engendré (le Fils) ; la volonté est l’amour, en la personne du Saint-Esprit. Or, ces trois choses, l’esprit qui engendre, le verbe et l’amour qui appartiennent à la mémoire, à l’intelligence et à la volonté, sont consubstantielles, coégales et coexistantes, se pénètrent et s’embrassent mutuellement.

Le Greco, La Trinité, 1577, huile sur toile, 300 x 177 cm, Musée du Prado, Madrid

Si donc Dieu est un esprit parfait, il possède la mémoire, l’intelligence et la volonté ; il a un Verbe engendré et un amour qui émane de lui et du Verbe. Et comme ces trois choses sont distinctes nécessairement, puisque l’une est produite par l’autre ; que d’un autre côté cette distinction ne réside point dans l’essence divine et qu’elle n’est point accidentelle, il s’ensuit qu’elle est personnelle.

Puisque le Verbe est engendré et que l’amour émane à la fois de Dieu et du Verbe, il s’agit de trois personnes distinctes, mais puisque Dieu est simple, ces trois personnes sont également une : Lors donc que l’âme se considère, elle s’élève par elle-même, comme par un miroir, jusqu’à la contemplation de la Trinité bienheureuse du Père, du Fils et de l’amour, qui sont trois personnes coéternelles, coégales et cosubstantielles, de sorte que chacune des trois est en chacune des deux autres, que cependant l’une n’est pas l’autre, mais que toutes trois sont un seul Dieu.

Les sept arts libéraux

Ainsi les trois philosophies ou « sciences » au sens médiéval trouvent leur modèle dans la Trinité :

Dans cette contemplation de son principe triple et un, au moyen des trois puissances qui la rendent son image, l’âme est aidée des lumières des sciences, qui l’enseignent et la perfectionnent, en même temps qu’elles lui offrent une triple similitude de la Trinité. En effet, toute philosophie est naturelle, rationnelle ou morale. La première traite du principe des êtres et nous conduit ainsi à la puissance du Père ; la seconde traite de la nature de notre intelligence et nous amène à la sagesse du Verbe ; la troisième nous enseigne à bien vivre, et elle nous montre la bonté du Saint-Esprit.

Cette triple subdivision philosophique marque les étapes de la découverte de la Trinité, qui est Père, Verbe (Fils), Esprit : Puissance du Père par la philosophie naturelle avec la métaphysique, la mathématique et la physique ; Sagesse du Verbe par la philosophie rationnelle avec la grammaire, la logique et la rhétorique (trivium de l’enseignement universitaire médiéval) ; Bonté du Saint-Esprit par la philosophie morale qui est individuelle, économique et sociale.

La philosophie et les 7 arts libéraux, Hortus Deliciarum, 1159-1175, d’Herrade de Landsberg

CHAPITRE IV. De la contemplation de Dieu en son image reformée par la grâce divine

Misère de l’homme sans Dieu

Il semble étonnant que, Dieu étant si proche de nos âmes, si peu d’hommes s’appliquent à le contempler en eux-mêmes. La raison en est que notre âme distraite par les sollicitudes de la vie, obscurcie par les vains fantômes de ce monde, entraînée par les concupiscences, demeure étrangère aux enseignements de sa mémoire et aux lumières de son intelligence, et qu’elle est sans désir pour les joies spirituelles et la suavité intérieure qu’elle pourrait goûter au-dedans d’elle-même. Plongée tout entière dans les choses sensibles, elle devient impuissante à trouver en elle l’image de Dieu.

Rôle de l’Incarnation

Et comme il est nécessaire que l’homme demeure où il est tombé si personne ne lui vient en aide et ne le relève, ainsi notre âme tombée au milieu des choses sensibles n’a pu se relever parfaitement, pour se contempler et admirer en elle-même la vérité éternelle, qu’au jour où cette vérité, revêtant en Jésus-Christ la forme de notre humanité, est devenue une échelle nouvelle réparant les ruines de cette échelle ancienne qui avait été formée en Adam. Ainsi nul, quelque éclairé qu’il soit des lumières de la nature et de la science, ne peut rentrer en soi-même pour s’y réjouir dans le Seigneur, s’il n’est conduit par Jésus-Christ, qui a dit : Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera, il sortira et il trouvera des pâturages. Or, pour approcher de cette porte du salut, il faut croire et espérer en Jésus, il faut l’aimer. Il est donc nécessaire, si nous voulons entrer dans les délices de la vérité, comme dans un lieu de félicité, d’y arriver par la foi, l’espérance et la charité de Jésus-Christ, le médiateur entre Dieu et les hommes, l’arbre de vie planté au milieu du Paradis (…)

William Holman Hunt, fondateur de la confrérie des préraphaélites The Light of the World (La Lumière du monde), 1853-1854, Huile /toile, 59,8 x 125,5 cm Keble College, Oxford

Révélation des Ecritures

Ainsi ces deux degrés où nous avons appris à contempler Dieu en notre âme comme dans un miroir qui réfléchit l’image des choses créées, sont comme les deux ailes étendues qui aident le séraphin dans son vol. Par ces deux ailes nous pouvons comprendre que les puissances naturelles de notre âme nous conduisent aux choses célestes par leurs opérations, leurs habitudes et leurs lumières scientifiques. C’est ce que nous avons vu dans le troisième degré. Nous y sommes conduits également par les puissances reformées de notre âme, et cela à l’aide des vertus gratuites, de nos sens spirituels et des ravissements de l’esprit. Nous y arrivons néanmoins aussi par les opérations hiérarchiques qui s’accomplissent en nous : la purification, l’illumination et la perfection de nos âmes, opérations où nous sommes aidés par la révélation des saintes Ecritures (…)

Martine Petrini-Poli

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