Voir toutes les photos

Les Poissons dans le Livre des Subtilités d’Hildegarde de Bingen

Voici la douzième parution de la série consacrée aux œuvres naturalistes et médicales d’Hildegarde de Bingen (1098-1179), qui font suite aux précédentes publications de Narthex sur sa trilogie mystique. Extraordinaire figure du XIIe siècle, abbesse bénédictine et musicienne, Sainte Hildegarde a eu de remarquables intuitions médicinales, étayées par ses observations de la nature. Dans le livre V des Subtilités des créatures, elle étudie les poissons, leur biotope et leur mode d'alimentation afin de déterminer la nature de leurs vertus curatives pour l'homme.
Publié le 01 octobre 2020
Écrit par Martine Petrini-Poli

Les Livres V (poissons), VI (oiseaux), VII (animaux), VIII (reptiles) du Livre des Subtilités des créatures divines sont consacrés aux animaux. Ces livres se succèdent dans l’ordre d’apparition qui est celui du récit biblique de la Création dans la Genèse : poissons et oiseaux au 5e jour, bestiaux et bestioles au 6e jour.

La Bible de Souvigny, la Genèse, folio 4 (v), époque romane, Médiathèque de Moulins

Chaque animal n’est pas décrit physiquement, mais se définit par son milieu naturel, sa morphologie et son mode de locomotion. Ainsi les poissons nagent à telle profondeur et les oiseaux volent à telle altitude. Ce qui importe surtout à Hildegarde de Bingen, c’est la manière dont ils se nourrissent, qui détermine un classement entre le pur et l’impur, comme le montre la préface du Livre V sur les poissons (et crustacés) au nombre de 36. A partir de là, elle peut déterminer la pertinence des remèdes pour l’homme et des mets pour son alimentation.

Préface du Livre V des poissons

Il existe des poissons qui vivent habituellement près du fond de la mer est des fleuves, cherchent là leur nourriture et fouillent ce fond, comme les porcs fouillent la terre. Ils y mangent certaines racines de certaines plantes, grâce auxquelles ils vivent longtemps ; et tout ce qui convient à leur nourriture, c’est toujours là qu’ils le cherchent. Parfois, ils remontent jusqu’au milieu des eaux, parfois ils descendent au fond, et c’est là surtout qu’ils se tiennent.

Leur chair est un peu molle et flasque et ils ne sont pas sains à manger, car ils vivent près du fond des flots. Certains d’entre eux aiment mieux le jour et la lumière du soleil que la nuit et l’éclat de la lune. D’autres aiment mieux la nuit et l’éclat de la lune que le jour et la lumière du soleil.

Damien Hirst, L’impossibilité physique de la mort dans l’esprit de quelqu’un qui vit, 1991, série Histoire naturelle, (requin-formol-aquarium), Tate Modern, Londres

Mais il y a d’autres poissons qui se tiennent essentiellement au milieu des flots, dans la partie la plus pure de la mer et des fleuves, et qui cherchent là leur nourriture. Ils y trouvent, sur certains rochers en saillie, certaines plantes excellentes pour la santé, dont ils font leur nourriture. Celles-ci ont tant de vertus que si un homme pouvait en absorber, il chasserait de lui, grâce à elles, toutes les maladies.

Ces poissons peuvent être mangés et leur chair est remplie de force, car ils se tiennent dans la partie pure des eaux. Certes, il leur arrive parfois de descendre au fond ou de monter à la surface ; mais, en général, ils se tiennent au milieu des eaux.

Les fonds abyssaux de la mer évoquent le monde de l’impureté, les eaux du milieu, la pureté et la qualité de la nourriture. Les poissons qui nagent dans ces eaux-là ont une connaissance intuitive des herbes et racines que l’homme peut leur envier, car elle est un don de Dieu, qu’ils ont su conserver :

Dieu a donné à quelques poissons une sorte de science, selon leur nature et selon leur espèce, si bien qu’ils connaissent dans les eaux certaines herbes et certaines racines dont ils se nourrissent parfois quand ils n’ont pas d’autre nourriture. La force et la puissance de ces herbes sont si grandes que, une fois qu’ils les ont reconnues et goûtées, ils n’ont besoin d’aucune autre nourriture, soit pendant la moitié d’une année, soit pendant quatre mois ; et pourtant leurs chairs n’en sont ni diminuées ni affaiblies. Et si, plus tard, ils ont faim et ne trouvent pas d’autre nourriture, ils se sustentent à nouveau de ces racines, dont ils ont fait une fois l’expérience.

Suit l’hypothèse : Et si l’homme pouvait aussi reconnaître ces herbes et ces racines, s’en procurer et en manger… Mais l’homme, par le péché originel, a perdu cette connaissance première, il éprouve la nostalgie des origines et ne peut plus que rêver de retrouver cette unité perdue. Hildegarde évoque ainsi la Genèse, mais aussi, dès le chapitre I, le livre de Tobie, à propos de la baleine.

I. Baleine, De Cete, De Ascha
L’emploi médical que Hildegarde préconise du foie de baleine ou du fiel d’ombre s’inspire du Livre de Tobie, VI, 5 : L’ange lui dit : Ouvre-le, enlève le fiel, le cœur et le foie ; mets-les à part.

II. Esturgeon beluga, Sturgeon beluga ou Giant, Acipenser Huso

L’esturgeon beluga est chaud que froid. Il aime la splendeur nocturne de la lune et des étoiles, et la nuit plus que le jour. Il se repose pendant la journée. Il prospère dans les eaux rapides et les apprécie. Il travaille si dur à nager en elles que sa chair devient douce à cause de l’effort. Il nage au milieu de l’eau et cherche rarement le fond. Il mange de la nourriture propre et, par conséquent, sa viande est bonne à manger pour les personnes en bonne santé, même si elle fait un peu mal aux personnes malades. Il se reproduit comme les autres poissons (…).

III. Joints IV. Esturgeon commun V. Saumon VI. Poisson-chat VII. Lasz VIII. Cavilat ou Coto

IX. Brochet, Hecht, Esox Lucius

Le brochet est plus chaud que froid. Il vit heureux dans la partie propre des eaux du milieu. Il aime la journée et est impétueux et féroce, comme les bêtes de la forêt. Partout où il habite, il mange du poisson et vide ces eaux des autres poissons. Recherchez des aliments propres et ayez une viande coriace et saine. Il est bon et sain à manger pour le malade, et il a une chaleur équilibrée et douce, donc sa chair est bénéfique.

X. Barbo XI. Tente XII. Snapper XIII. Elsua XIV. Flet XV. La truite XVI. Monuwa XVII. Perche XVIII. Saboga XIX. Poissons qui ont une coquille XX. Prends-le XXI. Rotega

XXII. Hareng, Allec, Clupea Harengus

Le hareng provient de l’air froid et a une nature instable et froide. Il aime la journée et vit à la surface et au fond de l’eau. Il recherche des aliments propres. Quand il vient d’être attrapé et qu’il est encore frais, il n’est pas bon à manger (…). Cependant, si le hareng est frais, une fois cuit et encore chaud après la cuisson, versez-y du vin mélangé avec du vinaigre et laissez-le mariner. Ce sera beaucoup moins nocif pour celui qui en mange.

XXIII. Crass XXIV. Leucisco XXV. Dorade blanche XXVI. Pafenduno XXVII. Tench XXVIII. Goby
XXIX. Stechela XXX. Loach épineux XXXI. Rulheubt

Cancer, Mosaïque, XIIe siècle, chœur de l’abbatiale Saint-Philibert de Tournus

XXXII. Crabe, Cancer, Astacus fluviatilis

Le crabe est plus chaud que froid ; sa chaleur provient plus de la terre que de l’air. Il aime le jour et la nuit, alors il marche en avant aidé par le soleil devant son visage et en arrière favorisé par la lune. Il a une chair saine. Les malades et les bien-portants peuvent en manger, sauf ceux qui ont l’estomac froid et bouché, car ils peuvent à peine digérer la nourriture qu’ils ont mangée, car les crabes sont un aliment trop fort qui ne leur apporte pas la santé (…).

XXXIII. Anguille XXXIV. Lot XXXV. Punbelen XXXVI. Lamproie

Martine Petrini-Poli

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *