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Les arbres et leurs vertus dans le Livre des Subtilités d’Hildegarde de Bingen

Voici la onzième parution de la série consacrée aux œuvres naturalistes et médicales d’Hildegarde de Bingen (1098-1179), qui font suite aux précédentes publications de Narthex sur sa trilogie mystique. Extraordinaire figure du XIIe siècle, abbesse bénédictine et musicienne, Sainte Hildegarde a eu de remarquables intuitions médicinales, étayées par ses observations de la nature. Dans le livre III des Subtilités des créatures, elle dresse un inventaire de 63 espèces d'arbres, et livre une description détaillée de leurs caractéristiques et de leurs vertus.
Publié le 17 septembre 2020
Écrit par Martine Petrini-Poli

Le Livre III de la Physica ou Livre des Subtilités des créatures divines d’Hildegarde de Bingen (vers 1150-1160) s’ouvre sur une préface puis traite de 63 espèces d’arbres (De arboribusDes arbres). La préface indique la méthode d’approche par le double critère antique de la théorie des humeurs (chaleur ou froid, sécheresse ou humidité). Chaque chapitre reprend cette sélection, en y joignant les remèdes aussi bien pour l’homme que pour les animaux. A l’image du microcosme et du macrocosme, « l’âme dans le corps est comparable aux sucs d’un arbre, elle est vraiment comme le pouvoir qu’a l’arbre de faire pousser des fruits. »

Préface

Tous les arbres contiennent soit de la chaleur soit du froid, comme les herbes. Toutefois, certains arbres sont plus chauds que les autres, certains plus froids, parce que certains contiennent plus de chaleur que les autres qui sont chauds, et certains plus de froid que ceux qui sont froids.

En effet, les arbres sont fertiles, et ceux qui portent de vrais fruits, comme les arbres de la forêt, sont plus froids que chauds ; mais les arbres de la forêt qui portent des fruits plus nombreux et plus grands que ne le font les autres, sont plus chauds que les autres arbres de la forêt. Ceux qui ont des fruits de petite taille et en petit nombre sont plus froids que les autres arbres de la forêt.

Critères de classement des arbres : chaleur et humidité

Les quinze premières essences d’arbres décrites dans la Physica d’Hildegarde de Bingen sont dans l’ordre : I.  Pommier, II. Poirier, III. Noyer, IV. Cognassier, V.  Pêcher, VI. Cerisier, VII. Prunier, VIII. Sorbier (Rowan), IX. Mûrier noir, X. Amandier (De amygdalo), XI. Noisetier, XII.  Châtaignier, XIII. Néflier, XIV. Figuier, XV. Laurier. Le critère de classement est celui des herbes : La chaleur des herbes signifie l’âme et le froid le corps.

I. Pommier (Affaldra) [Pirus malus] :

Pommier, Tacuinum Sanitatis, manuel médiéval basé sur le Taqwim as-sihhah, traité médical arabe du XIe siècle par Ibn Butlan de Bagdad

Le pommier est chaud et humide et a une humidité si élevée qu’il coulerait même s’il n’était pas maintenu par la chaleur (…). Le fruit de cet arbre est doux et facilement digestible. Les aliments crus ne nuisent pas aux personnes en bonne santé. Les pommes poussent à partir de la rosée lorsqu’elle est pleine de vigueur, c’est-à-dire du premier sommeil de la nuit jusqu’au jour où elle se brise presque, car elles préfèrent que la rosée se développe. Ils sont bons pour les personnes en bonne santé à manger crus, car ils mûrissent sous la force de la rosée. Les pommes crues sont un peu nuisibles aux malades à cause de leur faiblesse. Mais cuites ou rôties, les pommes sont bonnes pour les personnes malades et en bonne santé. Une fois que les pommes ont vieilli et que la peau s’est contractée comme des raisins secs, elles sont bonnes pour les personnes malades et en bonne santé à manger crues.

X. Amandier (De amygdalo) : L’amandier est tout à fait chaud et a en lui un peu d’humidité ; son écorce, ses feuilles et sa sève ne valent pas grand-chose pour la médecine, car toute sa force se trouve dans son fruit. Celui qui a le cerveau vide, un mauvais teint sur le visage et mal à la tête mangera souvent les amandes de son fruit : cela remplit le cerveau et redonne un beau teint. Celui qui a le poumon malade et le foie affaibli mangera souvent ces noyaux, soit crus soit cuits : ils donnent force au poumon, n’assèchent pas l’homme, mais le rendent fort.

Les arbres au diapason des sentiments humains

V. De persichbaumLe pêcher est plus chaud que froid : il y a autre chose en lui : il a quelque ressemblance avec l’envie. Sa sève est plus utile que son fruit pour la médecine.

VI. De cerasoLe cerisier est plus chaud que froid et ressemble tout à fait au jeu, qui a un aspect joyeux, mais est aussi également nocif.

VII. De prunibaumLe prunier est plus chaud que froid ; il est sec et piquant comme l’épine : il est image de la colère.

XI. De haselbaumLe noisetier est plus froid que chaud et ne vaut pas grand-chose pour la médecine ; il est l’image de la lascivité.

XII. De Kestenbaum [Castanea sativa] – Le châtaignier

Châtaignier, Tacuinum Sanitatis, manuel médiéval basé sur le Taqwim as-sihhah, traité médical arabe du XIe siècle par Ibn Butlan de Bagdad

La châtaigne est complètement chaude, mais elle a une grande énergie mélangée à cette chaleur. Il symbolise la discrétion. Son essence et son fruit sont utiles contre toutes les maladies qui attaquent l’homme. Une personne virgichtiget (goutteuse) et donc irascible, car le gicht (la goutte) est toujours accompagné de colère, doit faire cuire les feuilles, l’écorce et les fruits dans l’eau. Prenez souvent un bain de sauna avec ce liquide. Son gicht (sa goutte) cessera, et il aura un caractère doux. Si une épidémie tue du bétail, écrasez l’écorce de cet arbre et versez-la dans l’eau. Mettez-le souvent dans la boisson pour les ânes, les chevaux, les vaches, les moutons et les porcs ainsi que pour tous les autres animaux. L’épidémie s’arrêtera et ils seront guéris. 

Il est curieux de constater que ces quinze premiers chapitres du Livre III offre, à trois siècles de distance, les mêmes espèces d’arbres que l’on découvre sur le plan des jardins de l’abbaye bénédictine suisse de Saint-Gall, ainsi que sur le Capitulaire De Villis (c. 795) de Charlemagne. Cependant à ces arbres s’ajoutent des arbres plus méridionaux : XVI. Olivier, XVII. Palmier dattier, XVIII. Citron, XIX. Cèdre (Cedrus) [Juniperus Phoenicea et Oxycedrus] : Le cèdre est chaud et assez sec, il représente la fermeté. Quiconque souffre de la rate, écrase les branches et le bois de cet arbre lorsque le cèdre est vert et a de la sève jusqu’à ce qu’il les réduise en poudre. Préparez un remède avec du miel cuit, mangez-le avec modération après votre repas, et votre rate retrouvera la santé.

Vertus alimentaires et thérapeutiques des arbres 

Après les chapitres consacrés aux XX. Cyprès, XXI. Sabina, XXII. Buis, XXIII. Épicéa, XXIV. Linden, vient le chapitre XXV. Chêne, dont Hildegarde souligne la valeur nutritive pour le porc qui vivait en liberté dans les bois et se nourrissait de glands : « Certains animaux se nourrissent de ses fruits et cela les engraisse : c’est le cas du porc ». Comme pour le porc, tout est bon dans l’arbre : écorce, sève, feuilles, graines, racines, cendres, poudres, effluves, sauna…

XXVI. Hêtre, XXVII. Frêne (Ash ou Asch(Fraxinus excelsior) : Les cendres sont plus chaudes que froides. Suivez ce conseil. Si une personne est fatiguée par la gicht (la goutte) d’un côté ou l’autre du corps comme si tous ses membres étaient cassés et meurtris, faites bouillir des feuilles de cendres dans l’eau et placez le malade, nu, sur une toile de lin. Égoutter l’eau, placez les feuilles chaudes et cuites autour d’elle, en particulier là où c’est douloureux. Faites-le souvent et elle ira mieux.

XXVIII. Tremble, XXIX. Aulne, XXX. Érable, XXXI. If, XXXII. Bouleau, XXXIII. Pin albar ou Pin sylvestre (pinus silvestris) (Fornhaff) : Le pin sylvestre est plus chaud que froid. Il est également humide, ce qui signifie chagrin, et il n’a pas de bonheur dans sa nature. Mais sa sève est très précieuse pour les onguents et les collyres (…). Si l’épidémie tourmente et tue les animaux du troupeau, placez des branches fraîches de cet arbre devant ces animaux pour qu’ils en reçoivent l’odeur. Emmenez-les à un endroit où ces arbres poussent, de sorte que l’odeur passe dans leurs narines (…).

Le pinus silvestris est lié à la forêt, silva. Les arbres sauvages de la forêt (silvestres arbores) sont présentés, dans la préface de ce livre, comme produisant les meilleurs fruits, plus gros et plus nombreux que ceux des arbres cultivés. Puis suivent aux chapitres XXXIV. Portefeuille XXXV. Orme des montagnes XXXVI. Saule, XXXVII. Chèvre saule, XXXVIII. Fragula, XXXIX. Felbaum, XL. Cornouiller mâle XLI. Mascel, XLII. Myrte, XLIII Genévrier (Wacholderbaum) [Juniperus communis] :

Genévrier, Tacuinum Sanitatis, manuel médiéval basé sur le Taqwim as-sihhah, traité médical arabe du XIe siècle par Ibn Butlan de Bagdad

Le genévrier est plus chaud que froid et représente un excès. Prenez vos fruits, faites-les cuire dans de l’eau et filtrez cette eau avec un chiffon. Ajoutez du miel à cette eau, un peu de vinaigre, de réglisse et un peu moins de gingembre que de réglisse. Faites-le cuire à nouveau, mettez-le dans un petit sac et faites un vin épicé. Buvez-le souvent, à jeun et après avoir mangé. Il diminue et atténue la douleur dans la poitrine, les poumons ou le foie (…).

XLIV. Aîné, XLV. Gelbaum, XLVI. Cornouiller, XLVII. Orme champêtre, XLVIII. Harbaum, XLIX. Schulbaum, L. Taray ou Pruma, LI. Agenbaum, LII. Rose musquée, LIII. Prunellier, LIV. Vigne (Vitis) [Vitis vinifera] : La vigne a une chaleur et une humidité brûlantes. Son feu est si fort qu’il change son jus en une saveur différente de celle des autres arbres et herbes. Ce grand feu rend son bois si sec qu’il est différent des autres bois. La vigne est un bois tordu du sol, plus que les autres arbres similaires. Avant le déluge, la terre était fragile et ne produisait pas de vin. Lorsqu’elle a été humidifiée et renforcée par le déluge, elle a produit du vin (…). Le vin tiré de la vigne, s’il est pur, donne au buveur du sang bon et sain ; mais s’il est trouble, il donne du mauvais sang et comme saupoudré de cendres. Le vin de Franconie et le vin fort produisent une sorte de tempête dans le sang, donc celui qui veut le boire doit le mélanger avec de l’eau (…)

Vigne, Tacuinum Sanitatis, manuel médiéval basé sur le Taqwim as-sihhah, traité médical arabe du XIe siècle par Ibn Butlan de Bagdad

Le Livre III se termine par ces arbres : LV. Marronnier d’Inde LVI. La fumée LVII. Mousse LVIII. Pommade d’Hilarion LIX. Sysemera LX. Contre la scrofule LXI. Palmier dattier LXII. Sapin rouge LXIII. Tribulus. Parmi les 63 espèces, quatre n’ont pu être identifiées à ce jour : Feldbaum (39), Pruma (50), Agenbaum (51) et Sysmera (59).

Martine Petrini-Poli

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