Il existe une longue tradition monastique de culture des plantes, qui commence avec les moines du désert d’Egypte et se poursuit avec les carrés des simples (plantes sans composés) de tous les monastères médiévaux.
Le Capitulaire de Villis
Promulgué vers 795 par l’empereur Charlemagne, le Capitulaire de Villis est une ordonnance qui décrit 91 plantes, recommandées dans la vie quotidienne pour se soigner, se nourrir, se vêtir et travailler. Ces plantes médicinales (les simples), aromatiques (cumin, aneth, armoise, coriandre, safran), textiles (lin, chanvre, ortie, cardère pour carder la laine), tinctoriales (garance, pastel, souci), les fruits et légumes, la vigne, le houblon et l’orge, permettant de vivre en autarcie, doivent être cultivées dans les maisons royales, abbayes, monastères, hôpitaux, maladreries et léproseries. Strabon, moine de l’abbaye de Reichenau près de Constance en Allemagne, décrit en 842, dans un poème, le Liber de cultura hortorum, 26 plantes cultivées dans les monastères.
L’Abbaye bénédictine de Saint-Gall en Suisse alémanique
Le jardin des simples désigne celui des plantes médicinales, qualifiées de « simples » contrairement aux préparations composées, dites « magistrales », des apothicaires.
La règle de saint Benoît, la plus répandue dans les couvents du Moyen Âge, indique que le monastère doit comporter des jardins. Au jardin claustral destiné à la prière, s’ajoutent les jardins d’utilité tels que le potager (hortus), le verger (pomarius) et le jardin des simples (herbularius) où les moines obéissent à la règle de travailler (labora). Le jardin des simples désigne celui des plantes médicinales, qualifiées de « simples » contrairement aux préparations composées, dites « magistrales », des apothicaires. Ce jardin clos qui côtoie l’infirmerie s’inspire du plan de l’abbaye bénédictine de Saint-Gall, dessiné vers 820 sur un manuscrit composé de cinq peaux de parchemin cousues. Les jardins bordés de plessis étaient cultivés en carrés, selon le multiple de 4, un chiffre symbolique renvoyant aux 4 éléments de l’Univers, aux 4 points cardinaux…
La pharmacopée médiévale des moines se divise en 6 grands registres correspondant à des pathologies précises : les fièvres, les maux des femmes, les blessures, les purges, les maux du ventre et les intoxications venimeuses. Pendant longtemps, les jardins de simples ont été cultivés majoritairement par des religieux qui apportaient des soins non seulement aux habitants des monastères, mais également aux hôtes, religieux ou laïcs, aux pèlerins comme aux indigents.
La Physica ou Livre des Subtilités des créatures divines
A son tour, Hildegarde (1098-1179), abbesse bénédictine de Bingen, dans la Physica ou Liber subtilatum diversarum naturarum, Livre des subtilités des créatures divines, nous donne des informations sur 300 végétaux environ (230 plantes et 64 arbres). L’ouvrage est écrit en haut allemand du XIIe siècle, et non en latin. Composé de 230 chapitres, le Livre I sur les plantes est le plus long des 9 Livres de la Physica.
La référence au Livre I de la Genèse est présente dans l’ensemble de l’œuvre d’Hildegarde de Bingen. « Dieu dit : « Que la terre produise l’herbe, la plante qui porte sa semence, et que, sur la terre, l’arbre à fruit donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. » (…) Et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour. » Genèse 1, 11.
« Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » Genèse 1, 26-27.
« Lors de la création de l’homme, une terre particulière fut tirée de la terre : c’est l’homme. Et tous les éléments étaient à son service, car ils sentaient que celui-ci était vivant, et ils coopéraient avec lui à toutes ses entreprises, et lui coopérait avec eux. »
Dans le Livre des Oeuvres divines, Hildegarde de Bingen écrivait déjà : « Lorsque Dieu créa le ciel et la terre, il divisa la terre, de sorte qu’une partie de cette terre soit immuable et que l’autre puisse changer, à partir de laquelle Dieu façonna aussi l’homme. » Ce lien à la Création se retrouve dans la préface d’Hildegarde de Bingen du Livre I sur les plantes de la Physica qui s’ouvre sur ces mots : « Lors de la création de l’homme, une terre particulière fut tirée de la terre : c’est l’homme. Et tous les éléments étaient à son service, car ils sentaient que celui-ci était vivant, et ils coopéraient avec lui à toutes ses entreprises, et lui coopérait avec eux. Et la terre fournissait sa verdeur, selon l’espèce et la nature et le mœurs et tout l’environnement de l’homme. En effet, la terre, avec ses plantes utiles, offre un panorama des fonctions spirituelles de l’homme, mais avec ses plantes inutiles, elle fait apparaître ses fonctions mauvaises et diaboliques (…). » Ainsi la fougère met en fuite le diable, car les superstitions se mêlent aux références bibliques et à l’approche naturaliste.
Ces lignes nous révèlent la vision d’Hildegarde de la création et l’évocation d’une nature, où le diable est présent, ce qui justifie le recours aux analogies entre l’homme et la nature, telle que Dieu l’a voulue, avant qu’Adam et Eve laissent le Jardin d’Eden à l’abandon. Hildegarde décrit une terre animée par « une sueur, qui produit les herbes inutiles », « une humeur, qui produit les herbes comestibles et utiles », et un « suc », d’où naissent « la vigne et les autres arbres fruitiers ». Chacune des 230 plantes est décrite selon les mêmes critères, liés à la théorie antique des humeurs : sa chaleur ou froideur, sa nature humide ou sèche, ses propriétés, le remède, les risques et la prescription, sous forme de recette. Tous les modes de préparation et d’absorption sont évoqués. On retrouve l’influence du traité médical de Galien, à base de plantes dotées de qualités premières (chaud ou froid, sec ou humide), et prescrites selon le type de déséquilibre, qui combat le mal par son contraire. « Si nous perdons de la chaleur, une plante nous réchauffera. Si nous en avons en excès, une autre amènera de la froidure. » Cependant, Hildegarde ajoute souvent que la guérison n’a lieu qu’avec l’aide de Dieu.
Martine Petrini-Poli