Du fait que nous n’avons aucun témoignage sur l’ouvrage « Les Causes et les Remèdes » avant 1220 et que l’unique manuscrit date de 1250-1275, il convient de rester prudent quant à l’attribution de l’œuvre, dont le texte n’a pas encore été définitivement établi. Continuer à lire Hildegarde de Bingen dans l’optique « d’une sorte de sagesse médicale que notre époque commence à apprécier », comme l’écrit Pierre Monat, traducteur de l’ouvrage, lui fait du tort – sans parler des désagréables surprises qui guettent ceux qui cherchent chez elle des remèdes aux maux d’aujourd’hui. (Laurence Moulinier, auteur d’une thèse sur L’œuvre scientifique d’Hildegarde de Bingen, 1994, Paris VIII).
Tandis que les Livres I et II examinaient les causes des maladies, les Livres III, IV et V ne traitent plus des causes, mais bien de remèdes. L’auteur examine les diverses maladies qui peuvent frapper l’homme, organe par organe, et propose des remèdes, souvent plusieurs pour chaque affection ; parfois aussi, le même remède est présenté à plusieurs reprises, avec de légères variantes.
Le Livre III sur les maladies et remèdes ne contient qu’une vingtaine de pages et envisage la manière de traiter la chute des cheveux, la folie, les maux de tête, les affections des yeux selon leur couleur (vairs, ignés, multicolores, troubles, noirs), les maux de dents, du cœur, du poumon, du foie, de la rate, de l’estomac, la stérilité et il se termine sur la manière d’utiliser les aromates. En tête du livre III, Hildegarde rappelle que les remèdes ne seront efficaces que si Dieu le veut bien :
Pour les maladies décrites ci-dessus, les remèdes cités ci-dessous, révélés par Dieu, délivreront l’homme ; ou bien celui-ci mourra, ou bien Dieu ne veut pas qu’il soit délivré.
Voici le remède pour soigner la folie : Si, sous l’effet de pensées multiples et diverses, les connaissances et le bon sens de quelqu’un viennent à disparaître, au point qu’il sombre dans la folie, que cette personne prenne de la tanaisie et trois fois autant de fenouil, qu’elle fera cuire ensemble dans de l’eau (…). Le suc de tanaisie diminue les humeurs et les empêche de dépasser la mesure dans leurs débordements, et ramène l’homme à la raison ; quant au suc de fenouil, il les amène à un heureux et joyeux équilibre.
On notera que le fenouil est le remède universel qui sert aussi bien pour un accouchement difficile que pour les soins d’une brebis. Le Livre IV sur les remèdes contient 30 pages. Il envisage la manière de lutter contre les effusions de sang, la luxure, l’illusion, le hoquet, le poison, la colère et la tristesse, le fou-rire, le vomissement, les chancres, les ulcères, les maux de tête, la claudication, les fièvres tierces et quartes, la vermine et toutes sortes de parasites. Trois paragraphes sont consacrés à la lèpre et six aux animaux domestiques (brebis, cheval, âne, porc, chèvre, bœuf). Le livre se termine par une question : Comment on perd la mémoire ? Pour lutter contre l’oubli : Prends alors de l’ortie, pile-la pour en extraire le suc ; ajoute un peu d’huile d’olive, et, quand tu vas dormir, frottes-en tes tempes et ta poitrine ; fais-le souvent et tu deviendras moins sujet à l’oubli.
Le Livre V, plus médical, comporte une vingtaine de pages. Il porte d’abord sur les signes organiques et psychiques, annonciateurs et présages de vie et de mort. L’auteur explique comment les yeux, les urines, le pouls, les selles, peuvent donner quelques indications sur les chances de survie d’un malade : Les yeux de l’homme sont les fenêtres de son âme. Il existe alors des traités sur la saignée (De Natura Rerum d’Isidore de Séville et de Bède le Vénérable), sur le pouls De pulsu ou sur les urines De urinis. C’est une première observation clinique des symptômes. La folie peut être aussi un signe de mort, quand l’âme retire les ailes de la raison. Puis se glisse un paragraphe sur les cerises et l’ivresse qu’elles causent ; le remède proposé est d’y mêler du vin, qui est souvent utilisé comme fortifiant. Enfin sont évoqués les signes qui se déroulent du 1er au 30e jour de la lune.
Cette dernière partie du Livre V vient tout droit des astrologues de l’antiquité, par le relais de Bède le Vénérable (v.672-735) : il s’agit de déterminer le caractère et le futur état de santé de quelqu’un non d’après le quantième de son jour de naissance mais de sa conception dans le cycle lunaire. Cette enluminure figure le calendrier lunaire du Liber Floridus (1121) de Lambert, chanoine à la collégiale Notre-Dame à Saint-Omer dans les Flandres, contemporain d’Hildegarde de Bingen (1098-1179). Il fait référence aux encyclopédies d’Isidore de Séville, Bède le Vénérable et Raban Maur, qui faisaient autorité dans ce domaine. Dans le Liber Floridus, Lambert ne cite pas seulement ces trois encyclopédistes, mais aussi presque cent autres sources, la plupart des auteurs de la fin de la période antique et du début du Moyen Âge. Au lieu d’un classement alphabétique et d’une classification rationnelle, l’encyclopédie médiévale a une composition organique. C’est une compilation en prise avec de nombreux traités médicaux, comme dans l’ouvrage « Les Causes et les Remèdes ».
Martine Petrini-Poli