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Karl Rahner, prêtre et poète

Voici la quatrième parution d'Art & Théologie, nouvelle section des Ecrits mystiques, qui explore aujourd'hui le versant poétique de l'oeuvre du jésuite allemand Karl Rahner (1904-1984) à travers ses écrits de 1948 à 1964, souvent encore inédits. On y découvre la subtilité de ses multiples perceptions du mystère, qui sont autant de « portes sur l'infinité » - et le mystère divin.
Publié le 14 novembre 2019
Écrit par Martine Petrini-Poli

Parmi les trente-neuf volumes des Œuvres complètes du grand théologien Karl Rahner (1904-1984) en cours de parution en français (tous déjà sortis en Allemagne entre 1995 et 2018), le douzième fait partie de ceux que l’éditeur a appelés « Construction (1949-1964) », entre « Fondements » et « Déploiement ». Ce volume 12 des Œuvres complètes du théologien jésuite allemand regroupe des contributions des années 1948 à 1964, pour beaucoup inédites.

L’ensemble d’une trentaine de textes présentés ici et écrits, donc, durant une quinzaine d’années, présente un aspect un peu disparate, comme l’indique le sous-titre. « Les différentes contributions forment une constellation autour d’un axe majeur à ce moment précis : le mystère qu’est Dieu présent se communique dans le Verbe fait chair aux hommes qui reçoivent de lui la grâce et la plénitude au cœur de leur histoire », explique Évelyne Maurice, de l’Université de Fribourg, qui a dirigé l’édition du présent ouvrage.

Le thème dominant de ces pages est celui du mystère : « Mystère(s) au sens le plus strict » : « il n’y en a que trois, qui sont la source de tous les autres : celui de la Trinité, celui de l’Incarnation, celui du don que Dieu fait de lui-même, dans la grâce et dans la gloire, à sa créature spirituelle et finie », écrit Karl Rahner. Il sonde aussi le mystère de la maladie, de la souffrance et de la mort, dans un court chapitre rempli de délicate sobriété :

« À l’épreuve de la vérité en temps de maladie » : « Librement s’accepter comme créature du Dieu éternel, qui dans le temps, se sait d’emblée orientée vers son accomplissement, sans persister dans l’acquis et sans crainte devant ce qui est encore à venir, ceci est la vertu devenue patience de l’existence. C’est d’elle que la patience du quotidien et la patience dans la maladie donnent témoignage. En elle, chacun est appelé à grandir et à se prouver. »

Le mystère de la poésie est évoqué par cette image : Les paroles du poète sont comme des portes…

« Le poète n’est pas d’abord un homme qui dit, sous une forme agréable et superflue, en « rimes », en paroles sentimentales et avec prolixité, ce que d’autres – les philosophes et les savants – ont dit plus clairement, plus sobrement et plus intelligemment. À vrai dire, il y a aussi des « poètes » de ce genre, qui n’en sont pas, mais seulement des rimailleurs, des versificateurs (…) Mais lorsqu’un mot originel est réellement prononcé et que la chose apparaît dans la parole comme au premier jour, alors un poète est à l’œuvre. Alors un poète travaille, même si son nom n’est pas mentionné dans l’histoire de la littérature, et s’il se tient lui-même simplement pour un philosophe ou un théologien » !

Le mystère de la poésie est évoqué par cette image : Les paroles du poète sont comme des portes…

« Le poète appelle le prêtre ». Pourquoi ? Eh bien, tout simplement parce que « les paroles originelles que le poète prononce sont des paroles de nostalgie. Elles disent quelque chose d’imagé, d’intuitif, de concret. Mais c’est l’individuel concret qui renvoie à quelque chose au-dessus de lui, le proche qui suggère le lointain. Les paroles du poète sont comme des portes, belles et fermes, claires et sûres.

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Alors le prêtre devient poète et le poète devient prêtre. Cela réussit rarement. Si cela arrivait souvent, ce serait trop de beauté lumineuse pour nos cœurs.

Mais ce sont des portes sur l’infinité, des portes sur l’illimité à perte de vue. Elles appellent ce qui n’a pas de nom. Elles s’étendent vers l’insaisissable. Elles sont des actes de foi en l’esprit et en l’éternité ; des actes d’espérance en un accomplissement qu’elles ne peuvent se donner elles-mêmes. Des actes d’amour pour les biens inconnus ». Alors, la rencontre peut parfois se faire, même si, hélas ! trop rarement ; en effet, « maintenant qu’en est-il si le prêtre prédicateur, le théologien au sens parfait du mot, devient lui-même poète pour répandre parfaitement son message d’en-haut ? Et si le poète, bienheureusement rassasié par la réponse qu’il a perçue à sa question, dit lui-même ce qu’il entend ? (…) Qu’en est-il donc dans cette hypothèse ? Alors – heureux, quoique rare événement – le prêtre devient poète et le poète devient prêtre. Cela réussit rarement. Si cela arrivait souvent, ce serait trop de beauté lumineuse pour nos cœurs ».

Enfin, le volume se clôt sur le mystère de l’enfance : « L’enfance elle-même touche au mystère de Dieu ».

« Et si elle confine ainsi à l’Absolu, ce n’est ni par la frontière de la vieillesse et de l’âge mûr, ni par celle de l’âge qui vient après elle, mais par elle-même. Son originalité peut nous échapper, sembler se dissoudre dans ce chronologiquement lui succède, et n’avoir d’autre justification, d’autre noblesse, que de jouer un rôle de préparation. En fait, il n’en est rien »

Martine Petrini-Poli

Références bibliographiques

Karl Rahner, Œuvres, volume 12, sous la direction d’Évelyne Maurice, Cerf, 2019, 712 pages

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