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Livre I – chapitre 2 de l’Imitation de Jésus-Christ

L'Imitation de Jésus-Christ, en latin "Imitatio Christi", est un best-seller médiéval du mystique allemand Thomas a Kempis. Au fil des semaines, vous êtes invités à en découvrir quelques extraits choisis ; c'est le chapitre 2 qui s'ouvre aujourd'hui, avec les vertus d'humilité et de charité face au péché d'orgueil.
Publié le 21 février 2019
Écrit par Martine Petrini-Poli

Le thème de l’humilité domine l’ouvrage de l’Imitation de Jésus-Christ qui exalte la figure du Christ serviteur : Vous êtes venus pour servir, et non pour dominer (I, 17). La plus haute vertu, à l’origine de toutes les autres vertus, est l’humilité. Le chapitre 2 du Livre I montre le peu d’estime de soi-même que ressent l’homme en la présence de Dieu.

Thomas a Kempis devant le monastère du Mont Sainte-Agnès, avec l’Imitation de Jésus-Christ tourné vers le lecteur, et le pasteur Waaljer. A l’horizon, le Zuiderzee et la ville de Kampen
Avoir d’humbles sentiments de soi-même

1. Tout homme désire naturellement de savoir ; mais la science sans la crainte de Dieu, que vaut-elle ? Un humble paysan qui sert Dieu est certainement fort au-dessus du philosophe superbe qui, se négligeant lui-même, considère le cours des astres.

Celui qui se connaît bien se méprise et ne se plaît point aux louanges des hommes.

Quand j’aurais toute la science du monde, si je n’ai pas la charité, à quoi cela me servirait-il devant Dieu, qui me jugera sur mes œuvres ? (I Cor. 13, 2-3)

2. Modérez le désir trop vif de savoir ; on ne trouvera là qu’une grande dissipation et une grande illusion. Les savants sont bien aise de paraître et de passer pour habiles.

Il y a beaucoup de choses qu’il importe peu ou qu’il n’importe point à l’âme de connaître ; et celui-là est bien insensé qui s’occupe d’autre chose que de ce qui intéresse son salut.

La multitude des paroles ne rassasie point l’âme ; mais une vie sainte et une conscience pure donnent le repos du cœur et une grande confiance près de Dieu.

3. Plus et mieux vous savez, plus vous serez sévèrement jugé, si vous n’en vivez pas plus saintement.

Quelque art et quelque science que vous possédiez, n’en tirez donc point de vanité ; craignez plutôt à cause des lumières qui vous ont été données.

Si vous croyez beaucoup savoir et savoir bien, souvenez-vous que c’est peu de chose près de ce que vous ignorez.

Ne vous élevez point en vous-même (Rom. 11, 20) : avouez plutôt votre ignorance.

Comment pouvez-vous songer à vous préférer à quelqu’un, tandis qu’il y en a tant de plus doctes que vous et de plus instruits en la loi de Dieu ?

Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve ? Aimez à vivre inconnu et à n’être compté pour rien.

4. La science la plus haute et la plus utile est la connaissance exacte et le mépris de soi-même.
Ne rien s’attribuer et penser favorablement des autres, c’est une grande sagesse et une grande perfection.

Quand vous verriez votre frère commettre ouvertement une faute, même une faute très grave, ne pensez pas cependant être meilleur que lui ; car vous ignorez combien de temps vous persévérerez dans le bien.

Nous sommes fragiles ; mais croyez que personne n’est plus fragile que vous.

Francis Picabia, Adam et Eve, série Transparence, 200X110cm, 1931, collection privée

Le péché originel est le sentiment d’orgueil et d’autosuffisance de l’homme. Or Thomas a Kempis demande à l’homme d’abandonner l’illusion de supériorité : Si vous voulez apprendre quelque chose qui vous aidera vraiment, apprenez à vous voir comme Dieu vous voit et non comme vous vous voyez dans le miroir déformé de votre propre importance (…). C’est la leçon la plus grande et la plus utile que nous puissions apprendre : se connaître pour ce que nous sommes vraiment, admettre librement nos faiblesses et nos échecs et avoir une opinion humble de nous-mêmes à cause d’eux.

De plus, l’humilité conduit à emprunter le chemin de la souffrance : Planifiez comme vous le souhaitez et organisez tout ce que vous pouvez, mais vous rencontrerez toujours des souffrances, que vous le vouliez ou non. Allez où vous voulez, vous trouverez toujours la croix … Dieu veut que vous appreniez à supporter des ennuis sans réconfort, à vous soumettre totalement à lui et à devenir plus humble face à l’adversité.

Dans la partie dialoguée entre Jésus et l’âme chrétienne du Livre III, le disciple est invité à suivre le Christ : Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous afin que mon humilité t’apprît à vaincre ton orgueil.  Il est convié à emprunter le parcours christique de l’humble oblation du Fils qui s’en remet entièrement à la volonté du Père, comme il est proposé au Livre IV, 8, « De l’oblation de Jésus-Christ en la croix et de sa propre résignation ».

L’écrivain romantique Chateaubriand explique dans le Génie du christianisme (1802) que la prédication de l’Évangile a changé les normes de la morale : « Chez les anciens, par exemple, l’humilité passait pour bassesse et l’orgueil pour grandeur : chez les chrétiens, au contraire, l’orgueil est le premier des vices, et l’humilité une des premières vertus. […] pour nous, la racine du mal est la vanité, et la racine du bien la charité. » (Génie du christianisme, IIe partie, livre III, chap. 1.)

C’est ce que confirme le philosophe Comte-Sponville dans son Petit traité des grandes vertus, publié en 1995 : Aimer son prochain comme soi-même, et soi-même comme un prochain : « Là où est l’humilité, disait saint Augustin, là aussi la charité. » C’est que l’humilité mène à l’amour, comme Jankélévitch l’a rappelé, et tout amour vrai, sans doute, la suppose : sans l’humilité, le moi occupe tout l’espace disponible, et ne voit l’autre que comme objet (de concupiscence, non d’amour !) ou comme ennemi. L’humilité est cet effort, par quoi le moi essaie de se libérer des illusions qu’il se fait sur lui-même et — parce que ces illusions le constituent — par quoi il se dissout. Grandeur des humbles. Ils vont au fond de leur petitesse, de leur misère, de leur néant : là où il n’y a plus rien, où il n’y a plus que tout. Les voilà seuls et nus, comme n’importe qui : exposés sans masque à l’amour et à la lumière.

 

Martine Petrini-Poli

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